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Yoann Gourcuff-Rafael Nadal, échange de balles

Par Florian Lefèvre et Mathieu Rollinger
Yoann Gourcuff-Rafael Nadal, échange de balles

D'un côté, il y a le roi de la terre battue, en quête d'un onzième sacre à Roland-Garros en 2018. De l'autre, un esthète du football inaccompli, désormais à la recherche d'un club depuis la fin de son contrat au Stade rennais. Étant jeunes, ils hésitaient l'un et l'autre entre le foot et le tennis. Il y a vingt ans, Rafael Nadal et Yoann Gourcuff se croisaient à l'Open Super 12 d'Auray, dans le Morbihan.

Auray, charmante bourgade bretonne, en a vu défiler des grands personnages. Le 4 décembre 1776 d’abord, lorsque a débarqué l’Américain Benjamin Franklin pour demander le soutien de la France dans la guerre d’indépendance des colons révoltés face au royaume de Grande-Bretagne. Plus de deux siècles plus tard, c’est une autre conquête de l’Ouest qui se trame sur les bords du golfe du Morbihan. Car chaque année, lors des vacances de février, la ville portuaire accueille les meilleurs espoirs du tennis mondial âgés de douze ans. En 1998, parmi les 64 joueurs en lice dans le tableau masculin de l’Open Super 12, il y a Rafael Nadal, qui représente l’Espagne, mais aussi le champion local, sélectionné par la Ligue de Bretagne : Yoann Gourcuff. Ces deux-là ont un point commun : il vont bientôt devoir faire un choix entre le foot et tennis, sports dans lesquels ils excellent.

Pendant les dix jours du tournoi, Rafael Nadal loge avec son oncle et entraîneur Toni chez une famille d’accueil. Monsieur et Madame Lebourg sont aux petits soins. « Le matin, je préparais le petit-déjeuner, rembobine Michel vingt ans après. Un chocolat et des croissants. Et je voulais toujours qu’il parte avec une banane. Un jour, Rafael l’avait oubliée. Alors, je lui avais ramenée sur place. Toni, il se marrait. Plus tard, quand il me téléphonait, il me narguait un peu en me disant : « N’oublie pas les bananes !«  » Rafael est timide et ne parle pas français, mais son oncle arrive à se faire comprendre : « Toni nous avait expliqué que Rafael hésitait entre le foot et le tennis. Et, c’est Auray qui l’a décidé. » Vraiment ?

Gourcuff, champion du Morbihan, Nadal, buteur des deux pieds

« Rafael jouait autant au foot qu’au tennis, confirme Joan Suasi, son ami et voisin d’enfance à Porto Cristo, sur l’île de Majorque. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de jeux vidéo, alors on faisait du sport toute la journée, à commencer par du foot dans la rue. » Les deux potes jouent aussi au tennis et disputent ensemble le tournoi annuel de beach soccer de l’île. « Rafael avait une licence au club de Manacor, précise Joan. Son poste, c’était buteur. Et il était capable de marquer des deux pieds.1 » Car, en 1998, le Majorquin peut s’appuyer sur une figure familiale : son autre oncle, Miguel Ángel Nadal – surnommé « Tarzan » pour son physique de colosse –, est défenseur central du FC Barcelone et s’apprête à disputer la Coupe du monde en France avec la Roja.

En Bretagne, le jeune Yoann Gourcuff suit les traces de son père, un ballon au pied et une raquette en main. « Moi aussi, j’étais partagé dans ma jeunesse entre foot et tennis en compétition, confie Christian Gourcuff. Yoann a suivi le même chemin en commençant plus tôt. Il a tout de suite montré des dispositions. Dans un premier temps, c’était même plus net au tennis. Yoann a fait toutes les compétitions de jeunes, des finales, dont le championnat de Bretagne. Il a été champion du Morbihan. » Le garçon fait preuve d’un caractère bien trempé, de belles bases techniques et se fait remarquer sur le circuit régional, où il croise un certain Christophe Kerbrat. « On était tout le temps ensemble pendant les tournois, raconte l’actuel défenseur de l’En Avant de Guingamp qui jonglait lui aussi entre foot et tennis. On était petits, on avait des rapports d’enfants, de copains. Maintenant quand on se croise, on en rigole. En revanche, Yoann était meilleur que moi pour jongler avec la balle de tennis. »

Les succès locaux lui ouvrent les portes de l’Open d’Auray, à une quarantaine de kilomètres de route de son club de Larmor-Plage. « Il avait une capacité d’apprentissage technique hors du commun, notait son ancien entraîneur de tennis Jean-Loïc Le Guellaff dans un long portrait consacré à Gourcuff dans le SO FOOT #123. Pete Sampras était sur le circuit, et il arrivait à reproduire son service quasiment à l’identique, avec la voûte plantaire relevée. Il avait cette capacité à assimiler une technique en regardant et en jouant. »

Break d’entrée pour Nadal

Sur les courts morbihannais, les observateurs sont impressionnés et les jeunes filles se pâment devant Nadal, tous intrigués par ce gamin qui a déjà l’attitude, le gros coup droit lifté et les mimiques qu’il étalera sept ans plus tard au grand public, lors de sa première victoire à Roland-Garros. Une supériorité évidente qui permet à l’Espagnol de décrocher le titre à la fin de la dizaine, en venant à bout du lauréat 1997, Jamie Murray, le frère d’Andy. « En finale, il perdait 4-0 ! Il a suffi d’un mot de Toni pour qu’il mette 6-4 à l’Anglais(sic). Après, l’autre n’a plus touché une bille » , se souvient Michel, le logeur.

Yo Gourcuff a beau être doté « d’un coup droit et d’un revers assez stylés, avec pas mal d’élégance dans le jeu de fond de court » d’après son père, il a rangé sa raquette dans son étui depuis un bout de temps, éliminé au premier tour. Mais les deux athlètes ont tout de même déjà pu affirmer ce qui continue de les caractériser aujourd’hui. Cette expérience bretonne ouvre l’appétit à Nadal, et cette victoire fondatrice restera comme sa première dans un tournoi international.

Pour le Breton, gagner n’est pas une fin en soi. « Yoann avait surtout le souci de l’esthétisme. Le joueur de tennis ressemblait au joueur de foot qu’il est devenu » , corrobore son paternel. « J’ai connu des clubs où il y avait la culture de la gagne, alors que moi j’ai plus la culture du plaisir » , expliquait ainsi Yoann pour SO FOOT en avril dernier. D’ailleurs, s’il admire dans son enfance la star du circuit mondial de l’époque, Pete Sampras, c’est moins pour ses montées au filet que pour son allure. Mais le natif de Ploemeur ne serait pas arrivé à un classement de 15/3 à douze ans sans une âme de compétiteur : « Yoann s’énervait vite, surtout quand il avait un sentiment d’injustice. Il pouvait sortir de la partie sur des trucs comme ça, relève Christian Gourcuff, se rappelant de quelques raquettes brisées. Il vivait mal la défaite. Comme au foot. »

Changement de côté

Cette rencontre à distance sera aussi la dernière, chacun bifurquant ensuite naturellement vers son sport. Douze ans, l’âge où sonne la fin de la récré, où il faut trancher pour mieux grandir, quitte à mettre de côté un amour de jeunesse. Centre de formation ou intégration du circuit jeune, les entraînements intensifs ferment petit à petit la porte de l’autre discipline. Pour Nadal comme Gourcuff, finalement, le choix se fait naturellement. « Bien lui en a pris de choisir le tennis, valide Miguel Ángel Nadal. Aujourd’hui, le football lui permet de se divertir durant son temps libre. Certes, il n’en a pas beaucoup, mais dès qu’il le peut, il se met à regarder des matchs pour se changer les idées. » Et plutôt que suivre la tradition de son île – les Baléares étant principalement acquises aux Blaugrana – et de son Barcelonais d’oncle, Rafael est devenu un fervent supporter du Real Madrid. « Je n’étais pas forcément très heureux, mais que veux-tu, je n’allais pas le forcer à aimer une autre équipe s’il supportait le Real Madrid. Il était assez grand pour choisir de lui-même… » , souffle Miguel Ángel. Les liens de Gourcuff aujourd’hui avec le tennis ? Il a un court chez lui en Bretagne et tape ponctuellement la balle – mais plus forcément avec Christian, « c’est la mobilité qui me manque » , précise celui-ci.

À vrai dire, cette ambivalence des deux hommes entre foot et tennis aura un impact jusqu’à leur entrée dans le monde professionnel. Comme autant de cordes à leurs arcs respectifs. « Le tennis est extrêmement intéressant pour le footballeur : dans les déplacements, la coordination, l’appréciation des trajectoires, les appuis…, analyse Christian Gourcuff. Au foot, il y a des exigences aérobies supérieures. Je l’ai constaté pour moi : le tennis est une excellente préparation au footballeur sur le plan physique. » L’Espagnol a gardé du football cette fibre spectaculaire et populaire, qu’il cherche à intégrer à son tennis. Comme des souvenirs d’enfance bien conservés dans un tiroir. Et que n’hésite pas à sortir Philippe Le Diraison. L’actuel manager général du tournoi d’Auray et trésorier de l’époque a gardé dans ses classeurs un exemplaire d’une lettre signée d’un certain Rafael Nadal en 2010, à l’occasion de la 25e édition du tournoi. « Chers amis, écrit l’Espagnol, dans un français parfait, il y a déjà douze ans, en remportant l’Open Super 12 d’Auray, j’ai pris la décision d’opter pour le tennis, pour tenter une carrière internationale… » Nadal a fait le bon choix, et ce n’est pas Monsieur Lebourg qui dira le contraire : « Quand il a gagné son premier Roland-Garros, ma femme en a pleuré. Elle avait même sorti le champagne ! » Et avec un onzième titre dans la mire de l’Espagnol, la coupe n’est pas près de désemplir sur les bords du Morbihan.

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Par Florian Lefèvre et Mathieu Rollinger

Propos recueillis par FL et MR, sauf ceux de Yoann Gourcuff, Jean-Loïc Le Guellaff et Miguel Ángel Nadal, tirés de précédents articles dans SO FOOT et sur sofoot.com.

(1) Rafael Nadal mange et écrit de la main droite, et à ses débuts, c’est Toni qui a eu l’idée de le faire jouer au tennis de la main gauche car, au départ, il jouait des deux côtés et se décalait toujours sur le côté gauche quand il voulait frapper un point gagnant. Le fait que Rafa joue de la main gauche avec un œil directeur droit lui a permis de développer son coup droit fantastique avec plus de préparation. (à voir à ce sujet : Rafael Nadal, les secrets d'un géant)

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