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Yassine El Ouatki : « Les détections, c’est la plus grosse arnaque du sport moderne »

Propos recueillis par Adel Bentaha

Formé au Havre puis au PSG, Yassine El Ouatki n'a jamais eu sa chance en France. Alors en février dernier, il a décidé de réaliser son rêve à Varberg, en Suède. Entre déceptions, solitude et station balnéaire.

Yassine El Ouatki : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Les détections, c’est la plus grosse arnaque du sport moderne<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Bonjour Yassine. Quatre mois après ton arrivée au Varbergs BoIS, en Suède, quel bilan fais-tu ?

Adaptation express mais réussie, je dirais. Je m’attendais à trouver du jeu long, des duels et des physiques de bûcheron, mais j’ai été agréablement surpris. Il y a pas mal de jeu direct, parce que les Scandinaves restent imposants, mais sinon, ça joue vraiment bien au ballon. En tant que milieu de terrain, tu sens que t’es la plaque tournante et que les défenseurs ne t’esquivent pas en balançant n’importe quoi devant.

Techniquement, les mecs sont très doués, même élégants, mais coincent un peu au niveau tactique, notamment dans le placement, où ils ont parfois tendance à un peu trop suivre le ballon.

Pour ceux qui ne connaissent pas, décris-nous brièvement l’Allsvenskan, le championnat suédois.

Pour les équipes que les gens connaissent déjà, comme l’AIK, Elfsborg ou Malmö, je dirais que c’est plutôt milieu de tableau en Ligue 1. On le voit d’ailleurs en Coupe d’Europe où les Suédois sont assez régulièrement présents. Pour le reste, comme Varbergs, c’est de la partie haute de Ligue 2, en comparant grossièrement. Techniquement, les mecs sont très doués, même élégants, mais coincent un peu au niveau tactique, notamment dans le placement, où ils ont parfois tendance à un peu trop suivre le ballon.

La Suède représente donc beaucoup pour toi.

C’est en Suède que j’ai lancé ma carrière, tout simplement…

En repartant un peu en arrière, on voit que tu reviens d’assez loin. Du 95 déjà.

Exactement. Je suis originaire de Saint-Ouen-l’Aumône, dans le Val-d’Oise. C’est là-bas que j’ai commencé à vraiment jouer, à l’ASSOA. Puis en 2014, à 16 ans, Le Havre me repère pendant un tournoi régional et me fait signer deux ans dans son centre de formation. Mais à ce moment-là, jamais je ne fais du football mon objectif de vie. Enfin, un peu quand même, mais pas vraiment. (Rires.)

C’est-à-dire ? 

Moi, tout ce que je voulais, c’était jouer au football. Une petite carrière en Ligue 2 m’aurait largement suffi. Je n’envisageais rien de plus extravagant que de vivre du football.

On me reprochait de ne pas être suffisamment “athlétique” sur le terrain. Mais je suis un milieu axial pur, j’utilise surtout ma vision de jeu. Je ne vais pas courir balle au pied sur 40 mètres.

Mais qu’est-ce qui a coincé au Havre ?

On me reprochait de ne pas être suffisamment « athlétique » sur le terrain. Mais je suis un milieu axial pur, j’utilise surtout ma vision de jeu. Je ne vais pas courir balle au pied sur 40 mètres. À ce moment-là, je joue avec Rafik Guitane, Pape Gueye, Ferland Mendy. Tout se passe bien sportivement, mais au bout de la deuxième année, je comprends qu’on ne me garde pas. Généralement, c’est au printemps de ta deuxième année que tu sais si tu es gardé ou pas, car tu reçois les premières convocations en équipe de France, mais aussi les premières rumeurs pour intégrer le groupe pro. En avril, moi je n’avais toujours rien, donc j’ai compris que c’était mort.

Tu signes rapidement à Rouen tout de même.

Je rebondis à Rouen, en U19 nationaux, mais je n’y reste qu’un an. Là, c’était au niveau des résultats que ça coinçait, puisqu’on finit relégués. Dans le même temps, j’obtiens mon bac S, j’entame mon parcours d’éducateur spécialisé, et les galères commencent…

 

La galère de se retrouver sans point de chute ?

Les « détections », c’est la plus grosse arnaque du sport moderne. Tu te retrouves dans une session avec 40 joueurs et deux entraîneurs pour superviser tout le monde. Moi, j’ai fait Angers, Amiens, Quevilly et même des clubs amateurs, et je n’ai jamais eu le moindre retour. Logique, les coachs ne peuvent pas avoir un avis sur autant de monde, en deux ou trois jours. Sans compter le fait que mes agents de l’époque faisaient n’importe quoi… Dès que j’avais une piste pour une détection, ils disaient à mes parents que j’allais signer professionnel. Vous imaginez les faux espoirs qu’ils suscitent ? Ma mère voyait des mecs en costume cravate vendre du rêve à son fils, donc elle sautait de joie.

Dès que j’avais une piste pour une détection, ils disaient à mes parents que j’allais signer professionnel. Vous imaginez les faux espoirs qu’ils suscitent ? Ma mère voyait des mecs en costume cravate vendre du rêve à son fils, donc elle sautait de joie.

Mais les coachs que tu rencontrais te parlaient, des fois ?

Je me souviens d’un test que j’ai fait à Marignane-Gignac, vers l’automne 2017. Tout se passe bien, le coach me veut, etc. Je rentre chez moi pour récupérer mes affaires et le lendemain, je tombe sur un article disant que ce même coach était parti pour Aubagne. Bon, j’étais un peu surpris parce que tout cela s’était fait en deux jours, mais je me disais qu’il allait sûrement me demander de le rejoindre à Aubagne. Et bien jamais ! Je n’ai plus eu de nouvelles de lui. Je l’ai appelé une dizaine de fois, et il avait changé de numéro. Voilà le football.

Quand on regarde ton parcours, on a l’impression que tout s’enchaîne. Chômage, puis le PSG où tu restes six ans.

Après cette période un peu bizarre, je suis rentré dans le 95 et me suis mis à fond dans l’obtention de mon diplôme d’éducateur, histoire d’avoir une roue de secours. J’ai toujours voulu travailler dans ce secteur, que ce soit en tant que coach sportif ou dans l’accompagnement individuel. Je suis allé jusqu’au bac +3. L’option PSG est arrivée par un mec de mon quartier, qui connaissait l’un des coachs du National 3. Comme c’était mon pote, et que c’était en région parisienne, j’ai accepté de faire la journée d’essai. Heureusement, cette fois, ça s’est bien passé, et j’ai repris le football en club fin 2017.

On gagnait entre 900 euros et un peu plus du Smic en N3 au PSG, donc la plupart avaient un travail à côté. Moi, j’étais encore étudiant et chez mes parents, donc je n’avais pas vraiment à me plaindre.

Tu peux expliquer le fonctionnement de ce PSG de National 3 ?

En fait, l’équipe de N3 est un fourre-tout. Entre les jeunes qui n’ont pas le niveau en réserve, d’anciens professionnels qui tapent leurs derniers ballons, et des mecs, comme moi, en quête de rebond. C’est par exemple là-bas que l’an dernier, j’ai vu les premiers pas d’Ismaël (Gharbi) et El Chadaille (Bitshiabu). On gagnait entre 900 euros et un peu plus du Smic, donc la plupart avaient un travail à côté. Moi, j’étais encore étudiant et chez mes parents, donc je n’avais pas vraiment à me plaindre. Mais le jour où ils ont décidé de stopper la réserve, là c’était devenu le bordel complet. (Le PSG a décidé de supprimer son équipe réserve à l’été 2019, NDLR.)

C’était fait de manière un peu chaotique.

Un joueur de la réserve m’a raconté que l’annonce n’a même pas duré cinq minutes : un dirigeant est venu dans le vestiaire et leur a dit : « Les mecs, on supprime la réserve, il faut que vous trouviez un club d’ici trois ou quatre mois. » Il a fermé la porte et s’est barré. Moi, je me souviens qu’un jour en arrivant à l’entraînement, je suis passé devant le terrain de la réserve. Il y avait tous les joueurs, avec leurs parents et des agents en train de négocier des contrats dans de nouveaux clubs. C’était surréaliste de voir ça dans un club comme le PSG.

Et concernant les conditions de travail ?

Les conditions étaient plutôt bonnes. Comme ils fermaient la réserve, ils nous ont autorisés à utiliser leurs installations, donc c’était assez professionnel. Le seul problème, c’est qu’une fois la réserve fermée, certains jeunes qui n’avaient pas réussi à trouver de nouveaux clubs sont venus jouer avec nous. Et forcément, il y a eu embouteillage. La situation ne s’est réglée qu’après le Covid, quand ils ont réussi à structurer leurs U19.

Quand on se voit le jour du rendez-vous, on me dit que le projet, ce n’est plus d’aller en Suède, mais en Estonie. Je me suis dit : “Voilà, encore des escrocs. Qu’est-ce que je vais foutre en Estonie !”

Le monde professionnel te paraît loin à ce moment-là ?

Je n’ai pas vraiment abandonné l’idée d’un contrat pro, mais disons que j’avais pris du recul. D’ailleurs, quand j’ai reçu la proposition pour signer en Suède, en février dernier, je n’y ai même pas prêté attention. C’était après un match contre Drancy, et un agent – qui deviendra mon agent actuel donc – est venu me voir pour m’expliquer le projet. Il m’a dit qu’il travaillait principalement en Scandinavie, et qu’il était intéressé par mon profil. J’accepte un rendez-vous avec ses associés, mais vraiment par politesse. J’étais tellement dégoûté par tout le bordel du monde professionnel que je n’avais plus envie de me remettre là-dedans. D’ailleurs, quand on se voit le jour du rendez-vous, on me dit que le projet, ce n’est plus d’aller en Suède, mais en Estonie. Je me suis dit : « Voilà, encore des escrocs. Qu’est-ce que je vais foutre en Estonie ! » Finalement, ils m’ont envoyé les billets d’avion deux semaines plus tard, direction Varberg.

C’était quoi la Suède pour toi ?

Tout ce que je connaissais du pays, c’était Malmö, donc j’ai poncé le Wikipédia du football suédois pendant deux semaines. Je me suis renseigné sur les clubs, les joueurs, les coachs, le règlement. Je ne voulais pas passer pour un guignol en arrivant là-bas. Mon arrivée était malgré tout folklorique. Je débarque à l’aéroport de Göteborg et je ne trouve personne pour m’accueillir. Je panique, car je n’avais que le numéro français de mon agent, et ma puce ne passait pas. C’est une hôtesse de l’air qui m’a passé le code Wi-Fi de l’aéroport pour le contacter sur WhatsApp. En fait, il était coincé dans les embouteillages… J’ai vraiment flippé, en pensant que j’avais encore été arnaqué. (Rires.)

En France, j’avais l’habitude du bordel, des clubs mal gérés, des dirigeants incompétents.

Et le mode de vie suédois alors ?

Sans tomber dans le cliché sur la Scandinavie, tout est carré ! L’entraîneur connaissait mon parcours par cœur, les dirigeants aussi. J’ai directement compris qu’ils me voulaient. J’étais là pour un essai de quatre ou cinq jours, et au bout du premier, ils m’ont dit que c’était bon. Un exemple tout bête : en rentrant préparer mes affaires à Paris, le directeur sportif me dit qu’il m’enverra mes billets de retour en Suède deux jours après, à 15 heures précises. Eh bien c’était chose faite à la minute près. L’organisation était tellement réglée que j’en devenais méfiant. En France, j’avais l’habitude du bordel, des clubs mal gérés, des dirigeants incompétents.

On imagine que tu apprécies ton nouveau quotidien.

Bien sûr. Les Suédois sont hyper ouverts d’esprit. Leur principe est simple : tant que tu ne fais pas de mal à la communauté, tu fais ce que tu veux. Un jour, je suis entré dans un restaurant et j’y ai trouvé différentes salles de prière. J’étais sidéré, parce que c’était tellement pratique, mais aussi tellement simple. C’est aussi ça la laïcité. Pareil en club, je me souviens que pour mon premier repas à la cantine, je n’avais pris que des légumes, car je ne savais pas si la viande était halal. Le chef l’a remarqué, et le lendemain, il a commandé tout un stock de viande halal. J’étais super gêné, je l’ai remercié pendant deux jours. (Rires.)

Tu n’as pas raté un seul match depuis ton arrivée. On sent que l’adaptation sportive s’est faite toute seule.

Le coach Persson est un ancien milieu de terrain de très haut niveau, qui a joué au même poste que moi. (Joakim Persson a notamment évolué à l’Atalanta ou au Hansa Rostock et est également international suédois, NDLR.) Donc tout de suite, il y a eu une connexion naturelle. Varbergs, c’est un peu comme le Paris FC en France. Un club très porté sur la post-formation, avec énormément de jeunes joueurs. (Le club dispose du quatrième plus jeune effectif du championnat, NDLR.) Dis-toi qu’à 24 ans, je suis l’un des plus vieux de mon équipe !

On m’a vendu Varberg comme une magnifique station balnéaire, mais tout ce que j’ai croisé à la plage, c’est des mouettes.

Et en dehors du terrain, tu fais quoi de tes journées ?

Je suis là depuis février, et franchement je n’ai pas grand-chose à faire… On m’a vendu Varberg comme une magnifique station balnéaire, mais tout ce que j’ai croisé à la plage, c’est des mouettes. (Rires.) Bon, j’attends l’arrivée des beaux jours parce qu’en voyant des reportages sur la ville, c’est vrai qu’en été, la population passe de 35 000 à près de 100 000 personnes et que l’endroit est sublime. Sinon, je ne fais pas grand-chose, à part rester chez moi et m’entraîner pour rattraper le retard que j’ai sur les autres au niveau de la préparation. J’habite tout seul, je n’ai pas d’enfants et ne suis pas encore marié, donc quand je sors, c’est vraiment pour visiter les alentours. Je suis aussi à 30 minutes de Göteborg, donc quand j’ai besoin de passer un peu de temps en ville, je prends ma voiture et je vais y faire un tour. Je suis dans la pure découverte en Suède.

Pas trop compliqué d’être souvent seul ?

Passer le ramadan seul a été un peu compliqué. Mais heureusement, j’ai mes coéquipiers kosovars, Ismet (Lushaku) et Dion (Krasniqi), qui m’invitaient presque tous les jours. Là, je suis en train de finir les démarches pour que ma famille puisse venir plus régulièrement. En revanche, l’un des avantages d’être seul, c’est que j’apprends l’anglais plus vite, à force de le parler. Le suédois par contre, c’est un autre délire. J’ai essayé de prendre des cours la première semaine, et j’ai abandonné. Les études aussi ont leurs limites. (Rires.) Les mecs vont te dire le même mot, mais selon la manière dont ils le prononcent, il ne veut pas dire la même chose. C’est n’importe quoi. En plus, ils parlent tous vite, je ne capte rien. Vive l’anglais !

En attendant que ton LV3 suédois s’améliore, où est-ce qu’on te retrouve à l’avenir ?

Pour commencer, j’aimerais qu’on se maintienne avec les mecs. On a mal démarré et on est derniers, donc ce serait sympa de grimper un peu au classement. Et sur le long terme, pourquoi ne pas retrouver la France ? J’aimerais bien goûter au football pro chez moi. J’ai signé mon premier contrat à 24 ans, donc que ce soit en Ligue 2 ou le rêve ultime de la Ligue 1, je me sens prêt à relever tous les défis.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Adel Bentaha

Photos fournies par le joueur.

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