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Viser l’Aliou Cissé, ça ne leur fait pas peur

Par Simon Butel
Viser l’Aliou Cissé, ça ne leur fait pas peur

Sous sa houlette, le Sénégal est enfin ressorti des poules de la Coupe d'Afrique des nations en 2017, s'est qualifié pour la seconde Coupe du monde de son histoire en 2018, et a retrouvé cette semaine le dernier carré de la CAN, treize ans après s'y être invité pour la dernière fois. À deux marches seulement d'un titre historique, Aliou Cissé apparaît pourtant plus critiqué qu'adulé, la faute, principalement, à un fonds de jeu au rabais. Et aussi un peu à El-Hadji Diouf, dont la voix porte toujours autant au pays.

« Souvent, mes homologues ont tendance à parler de nous. Qu’ils s’occupent d’eux, qu’ils s’occupent de leurs équipes. Qu’est-ce qu’il connaît de la mentalité du Sénégal ? Qu’est-ce qu’il connaît de notre peuple ? Comment peut-il dire qu’on n’a pas le mental ? On est numéro 1 africain depuis trois ans, on est allé à la Coupe du monde 2018, c’est notre première défaite depuis quatre ans sur la scène continentale. Je pense qu’aujourd’hui, une équipe qui n’a pas le mental ne fait pas ce parcours-là. » À l’heure de répondre en conférence de presse à Sébastien Migné, le sélectionneur français du Kenya, qui suggérait que le Sénégal avait du mal à gérer la pression, Aliou Cissé n’a pas fait dans la demi-mesure. Son équipe non plus, d’ailleurs : dès le lendemain, lors de la troisième journée de la phase de groupes de cette CAN 2019, les Lions de la Téranga ont passé à tabac leurs adversaires kényans (3-0), les écartant du même coup de la course aux huitièmes de finale. Fin du débat ? Pas vraiment : cette pression que brandissait Sébastien Migné, Aliou Cissé et ses ouailles sont condamnés cet été à la traîner partout avec eux comme un taulard traînerait son boulet.

Quinze millions de sélectionneurs, émoi, émoi, émoi

C’est que les Lions ont déçu leur monde, l’an dernier en Russie, lors d’une Coupe du monde où ils ont débarqué auréolés de ce statut de numéro 1 africain, mais dont ils n’ont pas vu le second tour. Qu’importe si ce Mondial n’était que le second – après 2002 – auquel la sélection participait. Qu’importent les circonstances malheureuses de son élimination dès les poules, jugée au nombre d’avertissements. Qu’importe, aussi, qu’aucune autre des cinq nations africaines engagées ne soit parvenue à rallier la phase à élimination directe : les Sénégalais, qui voyaient en Coulibaly, Gueye ou Mané les dignes héritiers de Ferdinand Coly, Papa Bouba Diop et El-Hadji Diouf, quart-de-finalistes au Japon et en Corée du Sud seize ans plus tôt, attendaient nettement mieux. Dans un pays où « une défaite en équipe nationale est vécue comme un drame » , comme l’expliquait Omar Daf (présent lors de l’épopée asiatique de 2002 et aujourd’hui entraîneur adjoint de la sélection) au Monde au printemps 2018, les quinze millions de sélectionneurs n’ont pas tardé à déverser leur spleen sur leur cible privilégiée : Aliou Cissé.

Déjà contesté avant le mondial, après avoir pourtant guidé son équipe jusqu’en quarts de finale de la CAN 2017 – le Sénégal n’était plus sorti des poules depuis 2006 –, l’ancien capitaine de la sélection a alors dû essuyer une deuxième salve de critiques, plus vives encore. Avec, dans le rôle du leader vocal, un certain El-Hadji Diouf. Jamais le dernier pour l’ouvrir, et encore moins pour tailler son ex-coéquipier, à qui il reproche notamment de ne pas avoir consulté les anciens – et lui le premier, évidemment – contrairement à ce qu’il s’était engagé à faire au moment de sa prise de fonctions, « Ousseynou » a ainsi réclamé la tête de Cissé l’été dernier. En vain. Cissé est donc reparti au combat, ses hommes ont marché sur leur groupe de qualification à la CAN 2019 (cinq victoires, un nul, douze buts inscrits et deux petits buts concédés, ce qui a fait du Sénégal la meilleure défense des éliminatoires) et sont aujourd’hui dans le dernier carré de la compétition pour la première fois en sept éditions. Sans pour autant dissiper les doutes et les critiques, qu’elles émanent de Diouf – avec qui Cissé s’est par ailleurs pris le bec en janvier dernier, en marge d’un match de gala entre les Lions de 2002 et une sélection africaine – ou du commun des mortels sénégalais.

Parole à la défense

Ces critiques, sur quoi portent-elles, d’ailleurs ? Sur le choix des hommes, et sur l’entêtement du sélectionneur à convoquer des garçons jugés moins performants en clubs que d’autres au nom de la logique de groupe, une idée qui se défend toutefois. Sur son incapacité, paradoxalement, à trancher définitivement entre ses deux systèmes préférentiels, le 4-3-3 et le 4-2-3-1. Une indécision assumée par l’homme aux lunettes de créateur de mode, dans une interview donnée à l’hebdomadaire Jeune Afrique : « Nous avons des joueurs capables d’évoluer dans n’importe quelle configuration, rien n’est figé et je considère que c’est l’une des qualités de cette équipe. » Plus récemment, c’est sur le contenu de la préparation à la CAN – un amical face à une D3 espagnole, Murcie (victoire 7-0), et un autre face au Nigeria (victoire 1-0) – que l’ancien milieu de terrain parisien s’est fait blâmer. Sans que cela lui hérisse les dreads, là encore : « Certains de nos joueurs sortent à peine d’une saison intense. Je veux éviter les blessures. » D’aucuns regrettent aussi le management trop rigoureux, limite militaire, de Cissé, ce qui lui a d’ailleurs valu d’être rapidement surnommé « Yahya Jammeh » (ancien dictateur à la tête de la Gambie de 1996 à 2016) par ses détracteurs.

Mais la principale source de frustration se situe ailleurs : sur le terrain. Et sur ce jeu déployé par les Lions de la Téranga, trop défensif, pas assez ébouriffant et clairement en deçà des attentes engendrées par la qualité, sur le papier, de l’effectif. Mais comment reprocher au sélectionneur de « la tanière » de privilégier la solidité au spectacle ? Dans la lignée des qualifications où elle avait signé cinq clean sheets en six matchs, son équipe n’a jusqu’ici encaissé qu’un but, lors de la défaite en poules face à l’Algérie, ce qui en fait la co-meilleure défense du tournoi avec les Fennecs. Cela ne garantit pas d’aller au bout, la Côte d’Ivoire en sait quelque chose (en 2012, les Éléphants se sont inclinés en finale face à la Zambie sans avoir encaissé le moindre pion), mais ça aide : depuis le début de la décennie, la défense la plus hermétique s’est soit imposée (Égypte 2010, Cameroun 2017), soit invitée en finale (Côte d’Ivoire 2012, Burkina Faso 2013, Ghana 2015). Cela a en tout cas suffi au Sénégal pour surmonter les obstacles ougandais en huitièmes (1-0) et béninois (1-0) en quarts. Opposés ce dimanche soir à la Tunisie d’Alain Giresse, l’homme à qui Cissé a succédé en 2015, les coéquipiers de Sadio Mané sont ainsi à 90 minutes – ou 120 – d’une deuxième finale dans le tournoi, après celle perdue en 2002 aux tirs au but face au Cameroun. Et à deux succès, donc, d’un tout premier titre continental, mais aussi de faire taire El-Hadji Diouf. Et s’il était surtout là, l’exploit ?

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