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Vîrus : « J’étais plus Keyser Söze que Franck Sauzée »

Propos recueillis par Chris Diamantaire
Vîrus : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J&rsquo;étais plus Keyser Söze que Franck Sauzée<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Avant d'explorer les tréfonds de l'âme humaine et de faire des jeux de mots bizarres dans ses morceaux, Vîrus a mis quelques « petits ponts à des grands cons » sur les pelouses de Normandie. Entretien avec un rappeur qui préfère le foot en crampons qu'en chaussons.

Il faut qu’on mette quelque chose au clair d’entrée : tu aimes le foot ou pas ?Je ne peux pas dire que je n’aime pas le foot, c’est comme si je crachais sur mes origines. Je viens d’un environnement footeux. Je volais des images Panini quand j’étais petit, c’est comme ça que j’ai commencé à voler d’ailleurs. Quand tu débutais dans la vie sociale, il fallait être bon au foot ou en bagarre pour être valorisé. À la télé, je n’avais pas le choix, dès qu’il y avait un match, on regardait. Mais le foot à la télé ne m’a jamais passionné plus que ça. J’ai commencé en pré-débutant et j’ai arrêté en moins de 17, ça a été court, mais central. Je jouais 10 et j’ai fini 7 parce que je courais très vite. Quand t’es gamin, t’as déjà des mecs qui viennent te repérer. Tu fais des détections et tu finis par jouer dans le club le plus en vogue de ton périmètre.

J’étais dans l’équipe de l’Eure avec Mathieu Bodmer et l’étape d’après, c’était l’équipe de Normandie. On était deux pour une place. On a fait une détection en plein hiver pendant une semaine et sur le dernier match, il m’a niqué.

Chez nous, c’était Pacy-sur-Eure. L’équipe première n’était pas loin de la D2 à l’époque. Après, t’avais les équipes départementales. Moi, j’étais dans celle de l’Eure avec Mathieu Bodmer et l’étape d’après, c’était l’équipe de Normandie. On était deux pour une place. On a fait une détection en plein hiver pendant une semaine et sur le dernier match, il m’a niqué. Mais attention, lui, il était ultra chaud. Quand tu les vois en pro, c’est marrant parce que t’as l’impression que le talent se dilue. Ce qui ressort, ce sont juste les monstres. C’est comme Bernard Mendy. Le mec était très fort et il a fini ballon de plomb. Mon grand frère a joué avec lui. Il est allé plus haut que moi : équipe de Normandie, centre de formation, sélections pour l’équipe de France… Et il s’est fait recaler à cause de sa taille.

Tu devais déjà avoir un sacré niveau pour postuler l’équipe de Normandie…Quelques années plus tard, j’ai recroisé mon dernier entraîneur. Tac, je baisse la tête en espérant qu’il ne me reconnaisse pas parce que ça s’est arrêté salement. Il me dit : « T’as été con, je ne dis pas que t’aurais été pro, mais t’aurais au moins pu en faire ton métier, jouer en CFA… » Mais je n’ai pas regretté du fait de tout ce que ça t’impose, ne serait-ce qu’en matière d’hygiène de vie. T’es ado, c’est la période où se jouent les virages à l’école et dans le foot, et j’ai pris carrément l’autre virage. J’étais plus Keyser Söze que Franck Sauzée (Rires.). Plus le niveau s’élève, plus il commence à y avoir des exigences sur ta gueule. On ne s’amuse plus, ça devient du charbon. Je préférais traîner. Le foot, c’était devenu un rythme que je ne pouvais plus tenir. J’ai fait l’erreur d’avoir de bons résultats scolaires en plus. Je me suis retrouvé tout seul comme un connard en seconde générale. Je me faisais chier. On avait cours du lundi au samedi matin, deux entraînements par semaine et le match le dimanche matin. Et comme on jouait à un niveau intéressant, on devait faire de la route. Du coup, je me levais sept jours sur sept hyper tôt. Tout ça m’a gavé parce que tu vois tes potes se taper des délires sans toi. C’est marrant parce qu’à Pacy, on avait joué contre l’équipe nationale du Qatar lors d’un match de présaison. Je ne comprenais pas. Laurent Hatton, alors coach de Pacy, est ensuite parti entraîner au Qatar. Certains joueurs du club y sont allés aussi. Et ça, c’était dans les années 1990. Le délire avec le Qatar ne date pas d’hier. Bref, il fallait trancher entre profiter de la vie ou s’investir à fond. Et tu deviens quelqu’un qui avait des chances à l’école, des chances dans le foot et qui se tire une balle dans les deux pieds. Quand j’annonce que j’arrête l’école, il y a une réaction. Quand j’annonce que j’arrête le foot, la réaction est multipliée par dix.

Tu supportais un club ?Chez nous, c’était Saint-Étienne, mais je n’ai jamais été fan d’une équipe.

J’aimais bien les écoles : Nantes et Auxerre. Mais aujourd’hui, je n’entends parler que d’individus. On fait des stars, comme dans le son.

J’aimais bien les écoles : Nantes et Auxerre. Je regarde ça d’un œil lointain, mais je n’entends parler que d’individus aujourd’hui. On fait des stars, comme dans le son. C’est l’air du temps, je n’en souffre pas. Mais je vais davantage kiffer une action où les onze joueurs vont toucher la balle qu’une action où un mec va en dribbler dix autres et te mettre une lucarne. Le foot devrait se jouer les yeux fermés. T’as déjà vu les aveugles ? Ça déchire !

Tu ne joues plus du tout aujourd’hui ?J’ai repris une licence pour tester et j’ai été blessé alors que ça ne m’était jamais arrivé. Le problème, c’est que quand tu perds ton physique, tu perds ta technique et il n’y a pas pire comme sensation. Enfin, tu l’as ta technique, mais cinq ou dix minutes. Quand tu vois des mecs foncièrement plus mauvais que toi te mettre à l’amende parce qu’ils tiennent davantage le pavé, ça fait mal. Ça reste du battle. Ce qui est mortel dans le foot, c’est que t’as des trucs humiliants. Le mec qui met un petit pont, s’arrête et te dit « la prochaine fois, tu mets un grillage hein »… Je vois ça comme un ring. Tu entres sur le terrain avec pour seule idée : « Faut qu’on les nique ! » Il y a toujours une violence sous-jacente, chez les acteurs comme les spectateurs.

Au-delà de tes péripéties d’ado, qu’est-ce qui t’a éloigné du foot ?Ce n’est pas le foot en soi qui m’a saoulé. Ce qui me dérange, c’est son rôle anesthésiant. Je ne peux pas m’empêcher de voir la carotte.


C’est un peu le sens de ton morceau Champion’s League. Carrément. Le délire de Champion’s League est venu comme ça : on discute avec des potes et ça ne parle que de foot.

Passé l’adolescence, être fan, c’est révéler que tu ne feras pas partie du jeu.

Je ne comprenais rien parce que je ne suis plus, je ne connais pas les joueurs… Ça me saoulait, j’avais envie de ramener un ballon : « Vas-y, fermez vos gueules, venez, on joue ! » À un moment, je me suis dit que ça avait pris trop de place. Déjà, moi, je sens que je ne suis pas fait pour être spectateur. Chacun son tempérament. Je ne suis fanatique de rien. C’est aussi une question d’orgueil. J’ai besoin d’être acteur. Passé l’adolescence, être fan, c’est révéler que tu ne feras pas partie du jeu. Je n’ai jamais été remplaçant au foot. Et je ne sortais pas. C’est une mentalité. J’ai baigné dedans depuis toujours. Après, si le foot est aussi populaire, c’est qu’il y a des raisons objectives. Déjà, les règles défoncent. Et puis ça crée du lien. C’est une occasion de se retrouver, de boire des bières, d’être joyeux. Rien qu’à l’échelle locale, il y a des gens qui n’auraient jamais pu se rencontrer en dehors du foot. Mais il ne peut pas masquer ce qui se passe en dehors. Le foot est en première ligne, mais après tu peux tout mettre : le tiercé… Deux trucs de prolétaires. D’où peut venir la « guerre » sociale ? Du prolétariat. Et le foot et le tiercé sont deux mondes schizophrènes où il y a énormément d’argent, mais qui tiennent grâce à ceux qui n’en ont pas.

Le foot et le tiercé sont deux mondes schizophrènes où il y a énormément d’argent, mais qui tiennent grâce à ceux qui n’en ont pas.

Il y a aussi l’aspect « ascenseur social » pour le footballeur, à double tranchant. Porté aux nues tant qu’il se confine au rôle qu’on veut bien lui donner, renvoyé à sa condition de privilégié illégitime dès qu’il en sort…Le problème n’est pas de savoir si le footballeur a conscience des problèmes sociaux, mais de prendre conscience qu’il est le problème social. C’est comme les rappeurs. Tant qu’ils mettent un chapeau, chantonnent et font danser les enfants, tout va bien. Mais le jour où tu fais un truc de travers… Il y a une lutte des classes incroyable à travers le foot. Que tu sois Ribéry ou Giroud, elle existe par rapport à ce qu’ils représentent. Ribéry, il parle mal, et alors ? Les médias ont le choix de s’intéresser à d’autres profils. Moi, je kiffe sa grammaire. C’est un artiste, je lui envie trop de phases. Ils le prennent pour un teubé, mais pour avoir le niveau qu’il a avec ses pieds, il faut qu’il ait un cerveau de malade. Le foot, c’est avec la tête.

Ribéry, il parle mal, et alors ? Les médias ont le choix de s’intéresser à d’autres profils. Moi, je kiffe sa grammaire. Ils le prennent pour un teubé, mais pour avoir le niveau qu’il a avec ses pieds, il faut qu’il ait un cerveau de malade.

Sur Champion’s League, tu samples la première scène du film Coup de tête. Classique ! Le monde amateur avec toute l’emprise sociale du foot à l’échelle locale. Dans les bonus du DVD, Jean-Jacques Annaud t’explique l’immersion qu’il a dû faire pour que son film soit crédible. Que ce soit en amateur ou en pro, ce qui est intéressant, c’est l’impact similaire que ça peut avoir sur la vie privée des gens. C’est juste une question d’échelle, c’est démultiplié en fonction des enjeux. Après, t’as des trucs en amateur que tu ne verras jamais dans le foot pro. T’as des tacles qui n’existent qu’en amateur ! (Rires.) C’est ça qui défonce. J’ai joué dans différentes ambiances. Des gardiens avec la bière à côté du poteau ou qui fumaient quand il n’y avait pas d’actions, j’en ai vu. Le foot, ça va d’Hollywood jusqu’au fin fond du terroir. C’est pas compliqué : dans chaque village en France, t’as une église et un stade de foot. La force du foot, c’est qu’il comporte une grande dimension stratégique, mais qu’il reste accessible à tous. Tu n’as besoin de rien. Et c’est là que le parallèle est peut-être le plus fort avec la culture hip-hop. Tu n’as pas besoin de raquette, de table, de crosse, de glace ou même de pelouse, juste d’un truc qui roule. Et le hip-hop, c’est pareil. T’es chez toi, t’as rien, t’es personne. Tu peux quand même écrire, danser…

Tu vois une analogie entre le foot et le rap ?Elle est évidente. Ne serait-ce que dans les termes : signature, carrière, technique… La différence, c’est que tu peux faire cavalier seul dans la musique. J’ai l’impression de faire du rap en CFA. C’est tranquille, t’es à ton rythme. Je retrouve dans l’écriture les mêmes sensations. Quand je sors de la cabine, je ressens le même truc que quand je marquais un but. La différence, c’est que tu n’as pas la valorisation immédiate. Le match de foot est très proche du concert en revanche. T’es en scène et, selon comment tu fumes les gens ou pas, t’as une valorisation plus ou moins importante. Dans le rap comme dans le foot, à partir du moment où tu as ta singularité, tu es le meilleur. Le but de chacun, c’est de faire son Illmatic. Tu vois, Madjer, je n’ai aucune idée de ce qu’il a fait de plus, mais il a marqué l’histoire parce qu’il a inventé un truc à un instant clé.

Il y a des tournures de mots où tu sais et tu sens que tu viens de faire une petite papinade.

C’est rare, mais il y a des tournures de mots où tu sais et tu sens que tu viens de faire une petite papinade. Si avec deux pieds et un ballon, tu réussis à inventer un truc, alors avec tous les mots qui existent, une bouche, un cerveau, je ne désespère pas de papinader. On ne parle pas de sous, c’est entre toi et toi : une satisfaction que tu tires d’une petite trouvaille. Dans le foot, je vois de l’artistique, et dans l’artistique, je vois de l’esprit foot. Et le plus footballeur des rappeurs, c’est Booba parce qu’il est en mode compétition non stop.

Il y a des personnages que tu affectionnes dans le foot ?La mort de Louis Nicollin m’a fait le même effet chelou que celle de Columbo. Je ne suis pas dans la nostalgie, mais t’avais des bonshommes qu’on ne retrouvera plus. Un truc à la con : qui va remplacer Thierry Roland ? Il arriverait aujourd’hui avec son rire chelou, personne ne le prendrait, le gars. Ce que je kiffe dans le foot comme dans le rap, c’est que ce sont des reflets de l’évolution de la société. À l’époque, t’avais Higuita dans les buts de la Colombie. Tu vois sa ganache ? Au basket, t’avais Dennis Rodman. Aujourd’hui, ils passeraient pour des mecs chelous ! J’aime bien Courbis aussi. Le mec, ça se voit tout de suite que c’est un putain d’escroc. (Rires.)

Tu as un souvenir de terrain qui t’a marqué plus qu’un autre ?Louper un penalty, c’est vraiment dur. C’est un des rares moments où tous les yeux sont sur toi. T’es seul et c’est là où tu apprends le plus sur toi-même. J’ai un respect de psychopathe pour les mecs qui doivent tirer un péno en finale de Coupe du monde. J’adore quand les gardiens tirent dans les séances. J’en ai raté un un jour, j’étais en dépression. C’est comme les lancers francs. Techniquement, tu sais que le mec sait le faire. Mais la pression… Tout est dans la tête. Moi, je n’aimais pas quand des gens regardaient derrière la rambarde ou dans les tribunes. J’aurais voulu jouer à huis clos.

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Propos recueillis par Chris Diamantaire

Tous les projets de Vîrus enregistrés à huis clos sont disponibles sur https://rayondufond.com/

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