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Vila Mimosa, champion du monde de la prostitution

Par Joachim Barbier, Vincent Riou et Javier Prieto-Santos, à Rio
Vila Mimosa, champion du monde de la prostitution

Le plus vieux métier du monde n'a pas été le grand perdant de ce Mondial. Pendant la compétition, la clientèle, composée de supporters de tous bords, aurait connu un boom de 30%. Vérification à Vila Mimosa, le quartier chaud de Rio de Janeiro. Une certaine idée de l'enfer sur terre.

C’est le quartier des entrepôts de gros, ceux du géant de la bière Brahma et des camions frigorifiques qui chargent des carcasses de bœuf au milieu de la nuit. Au milieu de ce décor d’activités industrielles : Vila Mimosa. Un nom de lotissement pavillonnaire varois qui cache le plus grand bordel à ciel ouvert de Rio de Janeiro. Des bars à putes miteux, dont certains de quelques mètres carrés, ce qui n’a pas empêché d’installer une estrade à pole dance, se succèdent. Tout est gras, le sol, l’air, les murs, la bouffe, les peaux. Une pluie assommante, comme celle qui tombe dans Blade Runner, a douché les (h)ardeurs des clients en ce soir déprimant de milieu de semaine. À part les sonos qui balancent invariablement des compils de Baile Funk, on pourrait se croire dans un bordel pour GI perdu au fin fond du delta du Mékong à la fin des années 60. Le cœur dégoulinant de Vila Mimosa est une sorte de galerie marchande sombre dans laquelle on entre comme dans un train fantôme pour adultes. Des bars, toujours, sans nom, mais qui acceptent les paiements en carte Visa et Mastercard, des filles en string à l’entrée pour endosser le rôle de tête de gondole. Dans l’un d’entre eux, la serveuse, une trentenaire lesbienne qui y travaille depuis 6 ans, assure dans un sourire : « Vous savez, on s’y fait à la longue » . Son garçon de salle, une petite mamie avenante, prodigue les mêmes attentions que si elle travaillait dans un salon de thé. Sauf qu’elle propose aux clients des beignets de morue, vide les cendars et donne quelques conseils : « Il faut aller voir les filles, ce n’est que 50 reais (17 euros). Elles sont toujours ok pour une passe. » Un colosse habillé comme un coach assistant se pointe avec une grande Noire qui souffle d’énormes bulles avec son chewing-gum. Elle lâche quelques billets pour avoir le droit de monter son client au premier, par un petit escalier en fer forgé. Vingt minutes plus tard, il redescend seul. À la question de savoir quelles nationalités de supporters ont profité le mieux de l’ambiance de Vila Mimosa, la serveuse place Argentins et Colombiens au top. Et les Français ? « Vous êtes les premiers que je vois. » Elle s’excuse : « Il y a peu de filles ce soir, vous devriez revenir demain. »

Aux Argentins le prix citron, aux Coréens le prix orange

Vila Mimosa a généré son lot de métiers et de besoins périphériques. Le long de la rue, un vendeur de brochettes fait mariner morceaux de poulet et abats plus ou moins identifiables. La brochette est à 5 reais mais Erica, qui attend dans la fumée du barbecue, en demande 50 (17 euros) « pour faire ce que vous voulez » . Petite blonde de 32 ans et mère d’une fille de 12 ans, elle habite à Niteroi, de l’autre côté de la baie, et suit des études d’infirmière. Chaque mois, elle doit débourser 900 reais (300 euros) pour ses cours. « Les jours ensoleillés, je peux me faire 1000 reais en une soirée, cinq fois plus que le salaire mensuel brésilien. » Habillée d’une mini-jupe rose bonbon pour le bas et d’un bomber pour le haut, Erica travaille à Vila Mimosa depuis seulement quelques jours. Suffisamment longtemps, en tout cas, pour déterminer que les Argentins et les Africains sont les pires clients : « Ils négocient, ils sentent mauvais et sont violents. » Les Colombiens, les Coréens et les Équatoriens, remportent quant à eux le prix orange : « Ils payent et se comportent bien. » Erica fait aussi le tapin à Copacabana où la passe monte à 150 dollars. Sur les 50 reais exigés à Vila Mimosa, elle en refile 10 au tenancier. « Les propriétaires sont des Brésiliens mais personne ne les connaît, enfin moi, je ne le connais pas. » Les salles de plaisir ressemblent à un vestiaire, des lits vulgaires rafraîchis par un ventilateur poussif. La capote est fournie contre 2 reais, le PQ pour s’essuyer est gratuit. Erica relativise : « Il y a pire comme situation. Je suis libre de partir quand je veux et de ne pas travailler. C’est juste un endroit pour travailler, pas une prison. Je n’ai pas de mac et ici, on m’offre une protection que je n’ai pas dans la rue. »

Pigalle, ambulance et préfet amoureux

Erica fixe ses limites : « Tout sauf la violence. Je veux bien qu’on me tire un peu les cheveux et qu’on me mettre une petite tape sur le visage ou sur les fesses, mais je ne veux pas finir à l’hosto » . Hier, un des clients d’Erica, l’étudiante en médecine, a fini dans une ambulance : « Pendant une sodomie, il s’est cassé la bite en deux. Il était horrifié et moi aussi. C’est la première fois dans l’histoire de la Vila que cela arrive » . Pleine d’histoires du quotidien, elle en a aussi de moins glauques. Comme celle de son amitié avec un préfet de Brasilia : « Il est venu ici, il m’a apprécié et m’a proposé 8000 reais (2700 euros, ndlr) pour rester avec lui pendant trois jours. Il y avait du champagne, on a mangé dans les meilleurs restos, il m’a offert des vêtements. C’était super. Il m’a appelée récemment pour me dire qu’il reviendrait. » Pretty Woman assure qu’aucune fille ne s’est lancée dans la prostitution pour satisfaire les besoins des supporters venus avec la Coupe du monde. « Il y a déjà beaucoup de filles, celles de Rio et du Minas Gerais. » Elle demande : « Comment sont les filles à Paris ? Elles ont des gros seins, des fesses ? » Elle n’a jamais entendu parlé de Pigalle. Une passe dure en moyenne 30 minutes. « Pour les taureaux. Pour les autres, c’est juste le temps d’une baise. » Les non-habitués, les touristes, avaient l’air perdu selon Erica : « Ils sont gênés, ils ne savent pas comment faire ni comment s’y prendre alors que c’est simple pourtant, non ? » La Coupe du monde a fait exploser son chiffre d’affaires mais elle espère qu’il s’arrêtera avant les JO : « Cela voudra dire que j’ai eu mon diplôme d’infirmière » .

Par Joachim Barbier, Vincent Riou et Javier Prieto-Santos, à Rio

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