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Van Persie et Feyenoord, souvenirs d’un mariage explosif

Par Romain Duchâteau
Van Persie et Feyenoord, souvenirs d’un mariage explosif

Plus de douze ans après avoir quitté le Feyenoord Rotterdam, Robin van Persie s’apprête à affronter pour la première fois le club de ses débuts. Des retrouvailles qui feront probablement ressurgir certains épisodes tumultueux. Car si, à ses premiers pas, l’attaquant néerlandais était présenté comme l’un des grands talents de demain, il ne cessait de toiser son monde.

De loin, c’est l’assurance et l’allure des grands attaquants racés qu’il dégage. De près, Robin van Persie affiche un visage juvénile, le sourire au coin des lèvres, le regard intrépide. Comme prêt à faire succomber l’Europe plus que quiconque ce soir-là, du haut de ses dix-neuf ans. Le Feyenoord Rotterdam dispute alors la deuxième finale de Coupe de l’UEFA de son histoire contre le Borussia Dortmund. Devant 46 000 spectateurs garnissant l’écrin du De Kuip, le tableau est parfait pour apprivoiser la lumière. Durant plus d’une heure sur la pelouse, le jeune Néerlandais, maillot soigneusement rentré dans le short et numéro 32 arboré dans le dos, laisse entrevoir un immense talent dans son couloir gauche.

L’élégance, évidemment, frappe déjà le cœur de l’assistance. Les premiers contrôles délicieux, ce pied gauche délicat et la finesse de ses déplacements, aussi. Mais, malgré les promesses, RVP doit laisser les lauriers à d’autres partenaires ce 8 mai 2002. Buteurs et décisifs, Pierre van Hooijdonk et Jon Dahl Tomasson seront désignés comme les principaux artisans d’un succès devenu depuis historique.

Qu’importe, l’enfant de Rotterdam, lui, se gargarisera personnellement du titre de meilleur espoir de l’Eredevisie, succédant ainsi à des noms prestigieux tels que Van Bommel, Kluivert, Seedorf ou encore Overmars. Les premiers émois avant une romance passionnée avec Feyenoord ? Finalement non. L’histoire, heurtée et tempétueuse, s’achèvera par un divorce plus que houleux.

Destinée écrite et esthétisme

À désormais trente-trois ans et les tempes grisonnantes plus prégnantes que jamais, Robin van Persie court tant bien que mal après une splendeur passée. Peut-être parce que, très tôt, le gracieux gaucher avait le monde à ses pieds. Avec, comme premier fan, son père Bob. Pour ce dernier, sa progéniture était tout simplement destinée à embrasser le parcours des plus grands, après avoir notamment consulté une voyante qui, un jour, lui souffle cette prédiction : « Une étoile du foot est née. Il sera riche et célèbre. » En attendant de la rendre véridique, son fiston débarque au Feyenoord Rotterdam à l’âge de seize ans dans la foulée d’un passage contrarié chez le voisin de l’Excelsior, son véritable club de cœur où il œuvre aujourd’hui pour l’académie et où une tribune porte son nom.

Rapidement, le gamin doué d’une technique fine surclasse les autres. Tout en ayant une vision singulière et définie du football.

Je pense que le football est l’endroit où ma créativité s’exprime. Comme mes parents, je vois des choses que les autres ne voient pas.

Fils d’une mère peintre et décoratrice de bijoux et d’un paternel sculpteur, Robin a été élevé dans l’amour de l’esthétisme, ainsi que du culte de la liberté et de l’épanouissement de l’individu. Plus tard, l’ex-attaquant de Manchester United racontera d’ailleurs combien l’éducation de ses parents a façonné son style de jeu : « Je pense qu’il y a un lien créatif entre mes parents et moi. Et je pense que le football est l’endroit où ma créativité s’exprime. Comme eux, je vois des choses que les autres ne voient pas. Quand je vois un terrain de football, je le regarde comme si c’était ma toile. Et j’y vois des solutions, des possibilités, des espaces pour m’exprimer. »

Alors que le natif du quartier de Kralingen apprend les bases de son métier au centre de formation, cette fascination pour la beauté finit par en agacer certains. « Aux matchs, la manière dont jouait l’équipe et le score importaient peu pour son père, du moment que son fils faisait de belles choses, confie Jan Gosgens, l’un de ses coachs dans les catégories de jeunes au Feyenoord. Et quand on gagnait, c’était uniquement grâce à son fils » .

Jeune, marquer des buts classiques ne l’intéressait pas. Il était là pour marquer uniquement de jolis buts. Il préférait l’esthétique à l’efficacité.

Foppe de Haan, ancien sélectionneur des U20 néerlandais, ne tient pas un discours différent : « Jeune, marquer des buts classiques ne l’intéressait pas. Il était là pour marquer uniquement de jolis buts. Il préférait l’esthétique à l’efficacité. » À l’époque, il a notamment une affection toute particulière pour les coups de pied arrêtés, les frappes lointaines ou les raids en solitaire. Une façon singulière d’envisager son métier qui ne l’empêche pas de signer son premier contrat professionnel à dix-sept piges. Profitant d’une hécatombe de blessures au sein de l’équipe première, Van Persie s’intègre progressivement et boucle une première saison avec dix-sept apparitions (dix pour deux buts en Eredivisie, sept en Coupe de l’UEFA). Avec son titre de meilleur espoir glané, sa notoriété prend alors de l’épaisseur.

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Arrogance et conflit générationnel

Il faut dire qu’au début des années 2000, le joyau jouit d’une réputation flatteuse aux quatre coins des Pays-Bas. « On sentait déjà un garçon avec du potentiel. Il avait cette rapidité d’exécution avec son pied gauche, un bon dribble, une bonne technique, une bonne frappe de balle, explique Didier Martel, ancien attaquant au Vitesse Arnhem (2000-2004) qui l’a affronté plusieurs fois et désormais scout à Utrecht. À l’époque, tout le monde disait qu’il allait devenir le nouveau Van Basten. C’était la future grande star des Pays-Bas. » Oui, Robin se sait pétri de talent et meilleur que les autres. Alors il cultive une différence qui vire à une insolente arrogance. N’appréciant guère la voiture offerte aux joueurs par le sponsor du club, l’espoir néerlandais se paye un coupé Mercedes qu’il juge bien plus classe.

Une attitude hautaine qui transparaît également lors des entraînements où son laxisme est mal perçu.

Il fallait faire des ateliers compliqués pour l’intéresser. S’il jugeait un exercice trop facile pour lui, il le prenait par-dessus la jambe.

« Il fallait faire des ateliers compliqués pour l’intéresser. S’il jugeait un exercice trop facile pour lui, il le prenait par-dessus la jambe, se remémore Jan Gosgens. Mais Rotterdam est une ville industrielle et portuaire. Ici, le snobisme des gens d’Amsterdam et, par extension des joueurs de l’Ajax, est assez mal vu. » Certains partenaires ne lui pardonneront pas ses écarts. En premier lieu la star de l’équipe, Pierre van Hooijdonk, qui lui voue encore maintenant une haine viscérale. Et pour cause, un mois seulement après son arrivée dans l’équipe première, RVP défie l’autorité du capitaine lors d’un match. Tireur de coup de pied arrêté patenté dans l’équipe, ce dernier se voit voler au nez et à la barbe un coup franc par son cadet devant 50 000 personnes. Conséquence de cet acte effronté, les deux hommes ne sont pas loin de se foutre sur la gueule.

Plus tard, c’est un rendez-vous pour un massage qui ravive l’animosité entre les deux compatriotes. « J’avais pris rendez-vous avec le kiné, pas lui, je n’allais pas lui céder ma place sous prétexte que j’étais le plus jeune » , se justifiera l’ex-Red Devil avec cette suffisance toujours palpable. Pris en grippe par Van Hooijdonk, le gaucher se met à dos la majorité du vestiaire de Feyenoord. Un conflit de générations qui s’étire pendant ses trois saisons là-bas. « J’avais l’habitude de jouer avec des jeunes de mon âge, avec mes potes et, d’un coup, je me retrouvé avec des mecs de trente-trois ans ou trente-quatre ans qui étaient là juste pour cachetonner une dernière fois, balançait sans détour l’attaquant il y a quelques années. Je me rappelle avoir tenté un geste lors d’un match de Coupe UEFA contre Eindhoven, et l’un d’eux m’a balancé : « Ne refais plus jamais ça, tu joues avec mon argent, là. » »

Les relations qu’il entretient avec son coach apparaissent tout aussi détestables. Bert van Marwijk abhorre son comportement de diva et l’exclut à plusieurs reprises de l’équipe professionnelle, notamment pour la Supercoupe de l’UEFA contre le Real Madrid en août 2002.

Quand les gens passent leur temps à dire que tu es nul, tu arrêtes juste de les écouter et tu deviens borné.

En outre, quand le Batave foule les pelouses, c’est en tant qu’ailier gauche et non numéro 10 comme il l’exige. Le point de non-retour est franchi : « Je n’ai jamais eu l’impression que ces gens qui passaient leur temps à me critiquer me faisaient confiance. Je me souviens avoir été assis plusieurs fois sur le banc en pensant que je n’étais pas assez bon pour être numéro 10, que j’étais juste un ailier gauche moyen. Quand les gens passent leur temps à dire que tu es nul, tu arrêtes juste de les écouter et tu deviens borné. Ils m’ont hurlé dessus comme si j’étais un chien. »

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« J’ai vraiment cru que j’allais mourir »

C’est lors d’une rencontre avec la réserve de Feyenoord que sa trajectoire bascule. Face au rival honni de l’Ajax, le 15 avril 2004, Van Persie est pris à partie par les ultras d’Amsterdam qui l’insultent copieusement.

Quand tu es au sol, évanoui, un mec peut te mettre un coup de couteau et c’est fini.

Alors que les jeunes de l’Ajax mènent 1-0, le Hollandais volant parvient à égaliser. Surtout, en guise de célébration, il envoie quelques baisers à une foule déjà hostile à son égard. La provocation de trop pour la quarantaine de hooligans présents qui, au coup de sifflet final, déboulent sur la pelouse et rossent le joueur. « Je n’ai pas envie d’exagérer, mais j’ai vraiment cru que j’allais mourir, s’épanchait-il en 2014. Quand tu es au sol, évanoui, un mec peut te mettre un coup de couteau et c’est fini. Les semaines d’après, je ne pouvais pas dormir sans me réveiller en sueur après un énième cauchemar. Il fallait que je fasse quelque chose. Je suis allé voir un psy et il m’a aidé. »

Ce soir-là, Robin a été saisi d’effroi, mais il a aussi fini de convaincre Steve Rowley, chef scout d’Arsenal, venu en personne pour le superviser. Quelques semaines après, sa signature chez les Gunners est actée. L’actuel attaquant de Fenerbahçe quitte les Pays-Bas avec ses travers et son lot de promesses. Mais sans jamais être parvenu à marquer de son empreinte le club de ses débuts (76 matchs toutes compétitions confondues, 21 buts et 9 assists). Bien des années plus tard, Van Persie reconnaîtra quand même avoir sa part de responsabilité dans ce passage au goût d’inachevé : « J’étais jeune, immature, très ambitieux et impatient. » Depuis, le temps a adouci les rancœurs passées. Et, ce soir, l’Europe fait figure de scène idéale pour officialiser une réconciliation attendue.

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Par Romain Duchâteau

Tous propos extraits du So Foot n°94, So Foot n°117 et du Daily Mail, sauf ceux de Didier Martel recueillis par RD

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