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Valeny, le président normal
Il était le meilleur joueur du PES United. Aussi discret qu’efficace, le défenseur central français Valeny mène aujourd’hui la même vie qu’à l’époque de la Ligue des Masters : une existence dans l’ombre qui ferait presque oublier à tout le monde l’immense joueur qu'il était. L’heure est au devoir de mémoire avec un homme aussi grand par le cœur que par la taille.
Dans cette procession quotidienne, il est l’un des plus grands fidèles. Au sens propre comme au sens figuré. Alors, quand Lily sort de l’école, c’est vers le ciel qu’elle regarde pour trouver son papa au milieu de la foule zombifiée des parents qui déambulent, les yeux rivés sur leur smartphone. Aussi costaud que lorsqu’il foulait les terrains, Valeny en impose dans cet étroit passage du 12e arrondissement qui mène vers les écoles primaires « Mixte A » et « Mixte B ». Chaque jour, il vient chercher sa fille. Pourtant, à chaque fois, il ressent un soulagement quand son regard croise enfin celui de Lily, qui fend la foule pour lui sauter dans les bras tel Moïse entre les eaux. Aujourd’hui, c’est vendredi, et Valeny, égal à lui-même, est pile à l’heure. 16h à son poignet d’homme jamais en retard. 16h05 sur la Flik Flak de Lily, à qui le paternel tente d’enseigner les vertus de la ponctualité avec une technique bien connue des retardataires.
Sur le chemin de la maison, des enfants avec des miettes de pain au chocolat sur la bouche, des nounous qui demandent comment s’est passée la journée et un ballon qui, sur un secteur piéton, roule vers les pieds de Valeny comme guidé par les dieux du foot. L’ancien défenseur central du PES United aura 42 ans ce dimanche, et comme tous les quadragénaires qui ont un jour aimé le football un peu plus que de raison, il prie toujours pour que le ballon vienne vers lui quand il voit des gamins jouer. Sobre, il ne tente pas de folie et renvoie la balle dans les pieds du gosse dont le contrôle fait comprendre à tous les passants qu’il s’agissait d’une passe niveau Ligue des Masters. Arrivé en bas de son modeste immeuble de l’avenue Daumesnil, le roc ouvre la porte, salue la gardienne, prend son courrier et appuie sur le bouton de l’ascenseur sans jamais quitter sa fille du regard.
Nutella vs Nociolatta
Valeny est de ces hommes qui sourient avec les yeux, et son regard n’est pas le même quand il est avec Lily. Dans ce 45m2 parisien, rien ne laisse deviner que le père n’est pas devenu ce qu’il aurait dû être. Pas de trophée recouvert de poussière sur une commode, pas de médaille ni même de photo d’équipe. Une personne polie dirait que la déco est spartiate. Ceux qui en ont fréquenté savent que c’est une décoration de footballeur modeste. Ici, seule la chambre de Lily dégage autre chose que de la simplicité. Mais l’odeur qui se diffuse dans l’appartement n’émane ni du poster de Justin Bieber, ni de celui de Kylian Mbappé, mais de la cuisine.
La petite le sait : son père est de ceux qui ne badinent pas avec le goûter. 16h30 sur le micro-ondes LG, 16h35 sur la Flik Flak. Le menu est aussi carré que la routine de Zizou dans la pub Volvic. Brioche tressée au beurre toastée. Nutella pour Lily. Nociolatta pour le padre. Un verre d’Ice Tea pêche pour Lily. Café allongé pour le padre. La première raconte sa journée au second, mais on sent que leur complicité n’est pas faite de mots. Tous deux profitent de l’instant, car, comme l’indiquait le filet de colin sur le menu de la cantine, aujourd’hui, c’est vendredi. Et dans une heure, Lily partira chez sa maman pour y passer le week-end. Valeny déteste ces week-ends.
L’île Morris’
Cyril a deux moustaches. La première, naturelle et poivre et sel. La seconde, crémeuse et couleur café. Premier arrivé au Morris’, pub irlandais de la capitale, il jette le reste de sa pinte de Guinness au fond de sa gorge pour témoigner son respect.
« Vous êtes venu voir Valeny ? Il arrive toujours à 18h40 le vendredi. Asseyez-vous, on va causer un peu. » S’asseoir au Morris’, même vide, est plus compliqué qu’il n’y paraît. Si tous les tabourets en bois se ressemblent, Cyril, lui, est capable de distinguer celui de Valeny de celui d’Alain. C’est d’ailleurs sur celui-là qu’on a le droit de s’asseoir. On se sentirait presque chanceux. « Ici, il n’y a guère qu’Alain et moi qui savons qui était Valeny. Déjà parce que la plupart du temps, on diffuse du rugby. Ensuite parce que Val’, il n’est pas trop du genre à la ramener. Les seuls moments où son passé refait surface, ce sont les soirs où des trentenaires viennent se mettre une caisse. Il arrive alors qu’on le reconnaisse. Et il réagit toujours de la même manière : il sourit, il offre un shot et il se casse », sabre Cyril, en commandant sa deuxième Guinness.
Valeny cache au Morris’ son autre vie et a quasiment toujours caché son autre vie au Morris’. Seul footballeur ayant eu droit d’y mettre les pieds, Espimas, l’autre Français du PES United, oscille entre rire et nostalgie quand il entend le nom du QG de son ami de toujours. « Le Morris’, c’est l’ancêtre du Twister. Tu commences, tu es à l’endroit, tu finis, tu es à l’envers », se marre l’ex-milieu de terrain, depuis son Sud, avant de reprendre son sérieux. « Pour Valeny, cet endroit est une base qui lui a permis de rester en phase avec la vraie vie. Celle avec les gens normaux, qui ont une vie que certains jugeraient banale, voire pénible, mais qu’on a parfois besoin de se rappeler quand on évolue dans le monde du football. Je vous parlais de quelques cuites, mais parfois, Val’, il y allait juste pour boire un Perrier et taper le carton. Ce con-là, il est aussi fort au tarot qu’au foot. » À 18h39, le tapis de cartes est sorti. Cyril a été rejoint par Alain et d’autres habitués, alors que l’ombre de Valeny se dessine devant la porte d’entrée.
Devenu éducateur spécialisé
Le bruit de ses Air Max 270 sur le parquet gondolé du Morris’ rappelle la bête qu’il est. Il serre des mains, claque des bises, ôte sa veste en jean Carhartt et pose ses fesses sur un tabouret dont on aurait juré qu’il était fait sur mesure tellement il avait sa forme. Sans même qu’il ait encore ouvert la bouche, une pinte d’eau avec un soupçon de sirop de menthe se retrouve catapultée devant lui.
Il en prend trois gorgées avant de dire ses premiers mots. « Ça vous dérange si je joue aux cartes pendant qu’on discute ? C’est notre petit rituel ici, et si je ne les cogne pas, ils passent un mauvais week-end », dit-il, avec la politesse de celui qui pose la question, mais la fermeté de celui qui donne la réponse. « De footballeur, j’avais le talent, la passion et certainement le dévouement. Mais ça s’arrête là. J’ai été un leader par l’exemple, mais je ne me suis jamais, ô grand jamais, senti en phase avec le milieu dans lequel j’évoluais. Au cours de ma carrière au PES United et lors de nos déplacements en Ligue des Masters, j’ai toujours trouvé les gens méprisants et déconnectés de la réalité. Alors évidemment il y a eu des bonnes rencontres, avec Espi ou Raùl, avec qui je partageais des valeurs, mais j’ai surtout côtoyé une bonne brochette de branleurs », regrette-t-il, en ramassant des cartes. « Et je ne leur jette pas la pierre. C’est moi qui n’étais pas à ma place. Ma place, elle était chez moi cet après-midi. Et elle est sur ce tabouret. »
Elle est aussi à son boulot. Retraité depuis presque dix ans, Valeny est devenu éducateur spécialisé : « Ce que je voulais faire avant le foot et que je m’étais juré de faire après si jamais je faisais carrière. » La partie de tarot finie et remportée, il s’autorise un shot de rhum passion avant de tourner le dos au comptoir, pour faire face à la télé. Ce vendredi soir, c’est Ligue 1, et il n’y a guère que Valeny pour convaincre le boss de diffuser du football. Ces matchs, il les vit comme un coach. Tantôt à reprendre le placement du défenseur – « Gabriel, de Lille, c’est très fort. Je me vois un peu en lui » -, tantôt à déplorer le niveau de certaines équipes sans jamais oser le « c’était mieux avant ». Le match terminé, ses amis arrachés, le père de Lily fait un tour aux toilettes. À côté de lui, un homme parle à l’urinoir pendant qu’il pisse. Puis regarde Valeny. « Vous seriez pas l’ancien joueur du PES United ? Et Castolo, il va bien ? Quel frère c’était, lui. Je vous jure que vous étiez le meilleur joueur de cette équipe, monsieur. » Valeny ne sait pas si Castolo va bien. Il ne l’aimait pas. Il sourit au jeune homme, lui propose un shot, trinque « au bon vieux temps », puis met les voiles. Il rentre toujours à pied. En « pilote automatique ». Ce chemin, il le connaît par cœur. C’est celui sur lequel il se demande si sa vie n’aurait pas été mieux s’il avait été comme les autres.
« Le meilleur avec Trésor ? »
Il n’a pas envie de parler de son divorce, mais il ouvre machinalement la porte de la chambre de Lily pour vérifier si tout va bien. De retour dans le salon, il propose une tisane, « les 2 marmottes, mes préférées », et sort une grande boîte d’un placard.
« C’est tout ce que j’ai gardé de mon ancienne vie. Je n’en parle jamais. Je ne la sors jamais. Mais en même temps, c’est la seule interview que je donnerai. Puis le rhum passion, ça monte vite à la tête. » Dans ce fourre-tout en carton, des couvertures de magazine et des coupures de presse par dizaines. « Maman ne pouvait pas s’empêcher de le faire. Ça me gênait, au fond. Mais aujourd’hui, je suis content d’avoir ça. » « Valeny, le nouveau Desailly ? », « Thuram-Valeny, la nouvelle garde noire après Trésor-Adams », « Valeny, trop grand pour le PES United ? »… Autant de titres qui rappellent à quel point l’homme qui souffle sur sa tasse d’infusion cynorhodon-hibiscus est un peu plus que le petit prince du tarot. « Il avait tout juste 20 ans quand on est devenus champions du monde, se rappelle Aimé Jacquet. Desailly-Blanc, c’était intouchable, sans doute l’une des meilleures charnières au monde. Mais quand j’y repense et que je vois le niveau qui a été le sien par la suite, j’aurais aimé le prendre à la place de Frank Lebœuf. Valeny, il mérite d’être champion du monde. Et il aurait aussi mérité d’occuper une place plus importante dans le paysage du football français. »
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Même son de cloche chez Marcel Desailly, joint par téléphone : « Ah, ah, ah ! Valeny ! Je suis un mordu de Valeny.
J’aurais adoré jouer avec lui. Chelsea le voulait quand j’y étais pour prendre ma suite lors de mon départ à Al Gharrafa. » S’il se sait apprécié de ces grands noms du foot hexagonal, Valeny est vite rattrapé par son appétence pour une vie normale. Il range soigneusement les coupures de presse, ferme la boîte de Pandore et prend une grande inspiration. « C’était bien », dit-il, peut-être pour faire semblant de ne rien regretter. « Valeny, c’était ma star ! » reprend Espimas. « Moi, je l’appelais Kravitz. Vous voyez pourquoi, hein ? Il joue super bien de la guitare, en plus. On est ringards aujourd’hui, notre avis ne compte plus, alors je peux le dire : pour moi, il est le meilleur défenseur de l’histoire du foot français avec Marius Trésor. »
Il est 19h ce dimanche, 18h55 sur sa montre, quand Lily tape à la porte. Elle pose soigneusement son sac à dos dans l’entrée, serre très fort son père dans ses bras et lui dit qu’hier, elle a gagné son match de foot 3-0. Elle aurait adoré que son père vienne la voir, mais elle sait qu’avec maman, ça ne se passe pas très bien. Elle lui a quand même dédicacé un but pour son anniversaire. Le dimanche soir, chez eux, c’est plateau repas devant le match de 21h. Et malgré son amour de la routine qui rassure Lily, ce soir ne sera pas comme tous les autres. Certes, le menu, cordon bleu et purée maison, est le même. Mais pour ses 42 ans, Valeny a décidé de faire un cadeau à sa fille. Ce soir, il va ressortir la boîte du placard. Ce soir, il va lui dire qui il était. Et demain, quand il viendra la chercher à l’école, il aura peut-être l’air encore plus grand.
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Par Swann Borsellino