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Atalanta, et l’Italie est là

Par Adrien Candau

En éclipsant complètement Leverkusen ce mercredi en finale de Ligue Europa (3-0), la Dea de Gian Piero Gasperini a mis fin à 14 ans de disette pour les clubs transalpins, dans les grandes compétitions européennes. Pour ceux qui en doutaient encore, l’Atalanta est bien la plus belle chose qui soit arrivée au football italien ces dix dernières années.

Atalanta, et l’Italie est là

Au départ, il n’y avait rien. Ou alors si peu. Un petit club de province qui n’intéresse que sa propre ville et sa périphérie. Jusqu’à 2016, et la venue d’un type pas franchement tape-à-l’œil. Gian Piero Gasperini est petit, grisonnant et pas très imposant. Lorsqu’il débarque à Bergame, le club de la ville, l’Atalanta se cherche, à l’image d’un football italien en quête de renaissance. Le monarque Juventus règne alors sur une Serie A déclinante, plombée par la crise structurelle que traversent les deux clubs de Milan. Il y a du changement dans l’air. Encore faut-il le comprendre.

La loi du système

Quand la Vieille Dame se calcifiera tactiquement les années suivantes en pratiquant un football rétrograde, Gasperini se pointe à Bergame avec ses idées fixes. L’Italie du football connaît alors vaguement la recette de celui qui a entraîné plusieurs années les équipes de jeunes de la Juve, avant de réussir deux mandats concluants au Genoa en Serie A (de 2006 à 2010, puis de 2013 à 2016). Elle le méprise un peu, aussi, regardant avec condescendance cet entraîneur qui s’était planté à l’Inter, quelques années plus tôt. Embauché en 2011 par les Nerazzurri, le Mister sera en effet resté cinq misérables matchs sur le banc lombard, avant de se faire virer. Pas sa faute, à entendre le principal intéressé :  « L’Inter savait que mon système était le 3-4-3. Je connais d’autres formations, mais c’est celle qui me semble la plus efficace quand j’entraîne une équipe, point. Je crois que la controverse autour de mon système a été un prétexte pour me virer rapidement. »

Mon idée de la défense, c’est de raccourcir les attaques adverses. Pour ça, il faut défendre en allant de l’avant.

Gian Piero Gasperini, en 2016

Gian Piero Gasperini parle souvent de système. Le sien. Celui que ses joueurs doivent apprendre à comprendre et à maîtriser, sous peine de se voir reléguer sur le banc ou la liste des transferts. Un système qui promeut un football joueur, protagoniste, mais qui n’a paradoxalement pas l’obsession de la possession. En pleine « Guardiola-mania », le bonhomme trace sa propre route, dans le sillage de ses inspirations néerlandaises. Sa déclaration d’intention, son plus bel incipit, date de fin 2016, alors que l’Atalanta commence à faire bouger la hiérarchie du football italien. « Dans les années 1990, 90% des équipes italiennes jouaient en 4-4-2, se rappelait alors le Gasp’ pour la Gazzetta dello sport. Mais en Europe, je trouvais l’Ajax fantastique : ils jouaient en 3-4-3, on avait l’impression que les joueurs dansaient. Après avoir vu ça, jouer à quatre derrière m’a ennuyé, donc j’ai aussi commencé avec trois défenseurs. Les attaquants adverses ne voyaient plus la balle, car nous avions la main sur la possession. Mon idée de la défense, c’est de raccourcir les attaques adverses. Pour ça, il faut défendre en allant de l’avant. »

Nouvelle école

La première danse de son Atalanta, de 2016 à 2018, est provocante, osée. Parfois un peu rustre, mais enthousiasmante. Les jeunes loups – Kessié, Spinazzola, Petagna, Hateboer et Caldara – sont lâchés. La meute agit de manière unie, comme mue par un esprit tribal. Beaucoup partiront. Ils seront remplacés. Importants mais pas incontournables, ils servent une idée. Celle d’une petite équipe qui joue comme une grosse. Dans un 3-5-2 immuable. Avec un pur avant-centre – Petagna, Zapata, Scamacca plus tard – qui a charge de régner dans la surface de réparation. Le tout est structuré par un marquage individuel survitaminé, où le défenseur central bergamasque peut se retrouver à suivre son vis-à-vis dans la surface adverse.

Le projet est là, solide. Vient désormais l’heure de déclarer le temps des prodiges. En 2019, c’est la deuxième danse de la Dea version Gasperini qui s’ouvre. Un ballet plus élégant, plus ciselé, plus technique, où les artistes Papu Gómez et Josip Iličić font figure de maître à jouer. À 5 minutes d’éliminer le PSG en quarts de finale de la Ligue des champions 2020, l’Atalanta régale, mais ne gagne pas. L’essentiel, pourtant, est ailleurs : Gasperini inspire toute une génération montante d’entraîneurs, d’Igor Tudor à Ivan Jurić, en passant par Thiago Motta. Impossible, aussi, de ne pas voir un peu de son influence dans l’Italie de Roberto Mancini, flamboyante vainqueur de l’Euro 2021 grâce à un pressing de dératé, un 4-3-3 modulable en 3-5-2, et des automatismes collectifs travaillés aux petits oignons.

Dans une ville qu’on appelle Bergame

À Bergame, la musique est bonne, et s’affine en 2023. Cet été-là, Gasperini renouvelle encore son onze : Gianluca Scamacca – colosse aux pieds agiles – vient se planter dans les seize mètres adverses, secondé par son binôme Charles De Ketelaere, étrange technicien filiforme en quête de rédemption. Une doublette augmentée de la présence de la flèche nigériane Ademola Lookman, qui déménage tout sur son aile avec les Bleu et Noir depuis 2022. La troisième valse peut débuter. Elle sera furieuse, âpre et dévastatrice. Surtout en Ligue Europa. Le Sporting de Rúben Amorim est dominé en huitièmes. Le Liverpool de Klopp piétiné en quarts. Marseille est croquée à Bergame en demies. Leverkusen est atomisé en finale.

Gasperini est quelqu’un qui a apporté quelque chose de nouveau au football. Il a inspiré de nombreux entraîneurs en Italie, dont je fais partie…

Daniele De Rossi

L’Atalanta, ce club qui n’a jamais rien gagné sauf une Coupe d’Italie en 1963, a réussi là où la Juve, l’Inter et le Milan ont échoué depuis 14 ans. Depuis 2010, aucune C1 ou C3 n’avait en effet été glanée par le foot transalpin. Gian Piero Gasperini, qui a remporté le premier trophée de sa carrière à 66 ans, avait donc bien raison sur toute la ligne. Dans ce petit club de province, il aura largement participé à changer la physionomie d’un football italien où les équipes offensives sont désormais légion. Daniele De Rossi, qui entraîne désormais la Roma, lui rendait d’ailleurs hommage en ce sens, début mai : « Gasperini est quelqu’un qui a apporté quelque chose de nouveau au football. Il a inspiré de nombreux entraîneurs en Italie, dont je fais partie… » Son Atalanta aura démontré qu’il n’est, décidément, jamais trop tard pour changer. Pour gagner non plus.

Par Adrien Candau

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