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Une Vinotinto aux accents politiques

Par Adrien Candau
Une Vinotinto aux accents politiques

Plus de 120 morts, un parlement privé de la majorité de ses pouvoirs et une vague colossale de manifestations: le Venezuela s'enfonce dans une crise sécuritaire et politique à l'issue incertaine et les footballeurs ne pouvaient rester indifférents à la situation. Un engagement qui concerne aussi bien les stars de la sélection nationale, que les joueurs évoluant dans les divisions inférieures du football local.

Il s’avance vers la caméra avec la résolution de quelqu’un qui sait déjà parfaitement ce qu’il a en tête. Ce jeudi 8 juin, le Venezuela vient d’obtenir une qualification historique pour la finale du Mondial U-20, mais le sélectionneur de la Vinotinto, Rafael Dudamel, a d’autres préoccupations en tête : « Président, déposons les armes. Ces gens dehors qui vont s’exprimer dans la rue veulent seulement une meilleure vie et un meilleur Venezuela, un Venezuela qui sache rire et profiter de la vie. » Un jour plus tôt, Neomar Lander, un jeune de 17 ans, venait de perdre la vie lors d’une manifestation à Caracas. Un dénouement sinistre parmi d’autres, alors que la brutalité de la répression des mouvements de contestation au pouvoir en place ne faiblit pas. De quoi inciter de nombreux acteurs du football vénézuélien à abandonner leur habituelle neutralité politique.

Vidéo

« Pour protester, le seul outil efficace reste internet et les réseaux sociaux »

En mai dernier, onze internationaux, parmi lesquels l’attaquant du Rayo Vallecano Nicolás Fedor Miku, le défenseur de Troyes Oswaldo Vizcarrondo ou encore le joueur de West Bromwich Salomón Rondón demandaient ainsi via une vidéo publiée sur les réseaux sociaux l’arrêt des violences à l’encontre des manifestants. Le capitaine de la Vinotinto, Tomás Rincón, ne mâchait lui aussi pas ses mots pour dénoncer la brutalité des politiques de répression : « C’est une honte. C’est cruel et inacceptable. » Certains cadres de l’équipe nationale, comme le défenseur Roberto Rosales (66 capes), ne se limitent par ailleurs pas à condamner la force parfois létale déployée à l’encontre des opposants. Ces derniers mois, le défenseur de Málaga a ainsi multiplié les messages sur Instagram et Twitter, où il n’hésite plus à se positionner fermement à l’encontre du gouvernement Maduro : « Comment pouvons-nous faire confiance à un gouvernement qui se moque de ses propres citoyens, qui se fiche des difficultés que des millions de Vénézuéliens vivent et de la misère de leur quotidien ? Jusqu’à quand allons-nous accepter cela ? »

« Au Venezuela, les médias n’ont que très peu de marge d’expression vis-à-vis du pouvoir en place » , pose l’ancien attaquant nantais Fernando Aristeguieta, rentré cet été dans sa patrie natale pour évoluer au Caracas FC. « Les chaînes de télévision ne couvrent qu’assez peu les manifestations et encore moins les morts qui en découlent. La radio est un peu plus libre, mais la TV reste de très loin le vrai média d’influence. Donc, pour protester, le seul outil à disposition reste Internet et les réseaux sociaux, où la parole reste relativement libre. »

Le silence pour réponse

Le terrain reste néanmoins un moyen d’expression. Fin avril dernier, les joueurs du Deportivo Lara et de l’Anzoátegui imposaient de leur propre initiative une minute de silence lors d’un match de première division vénézuélienne, en solidarité des victimes des brutalités policières. Un geste d’autant plus marquant que l’arbitre venait de donner le coup d’envoi de la rencontre, alors que la Fédération s’était opposée à l’organisation d’un tel hommage. « C’est un geste qui a eu une énorme répercussion, y compris à l’étranger » , avance Aristeguieta. « Ensuite, même si la Fédération, qui soutient Maduro, s’y opposait, les minutes de silence se sont multipliées dans tous les stades du pays. Et la fédé a finalement dû se résoudre à en organiser une avant chaque match. »

Loin des projecteurs, le football vénézuélien « du bas » , amateur comme semi-professionnel, est autant, sinon plus proactif. L’attaquant du Gran Valencia Édgar Rito (deuxième division) s’est ainsi retrouvé incarcéré deux semaines pour avoir participé à une manifestation anti-gouvernementale, avant d’être remis en liberté début août. Le sort a malheureusement été moins clément envers Jose Villasmil et Ender Peña, deux joueurs qui évoluaient au sein des équipes de jeunes de Puente Real et Lotería del Táchira, des formations de San Cristobal. Ils ont tous les deux perdu la vie alors qu’ils protestaient contre la formation d’une assemblée constituante souhaitée par Nicolás Maduro. Une assemblée qui s’est finalement approprié le pouvoir législatif, alors que c’est l’assemblée nationale, où l’opposition est majoritaire, qui le détenait auparavant. « La Fédération n’a même pas publié un seul communiqué pour saluer la mémoire des deux joueurs tués » , s’insurge Aristeguieta.

Football politisé

Il faut dire que la Fédération vénézuélienne ne s’attendait sans doute pas à ce que les footballeurs du pays, célèbres ou non, s’impliquent autant dans l’action politique ces derniers mois : « C’est complètement inédit de voir autant de joueurs professionnels ou amateurs se mobiliser comme ça dans le pays » , poursuit Aristeguieta. « Par exemple, avant, en sélection nationale, absolument personne ne parlait de politique, c’était un sujet très délicat. Ici, on a coutume de dire que la politique divise et que le sport rassemble, donc on ne mélangeait pas les deux. Mais là, tous les joueurs se sont rendu compte que ce qui se passait était trop grave et qu’il fallait agir. »

En attendant, après plusieurs mois chaotiques, la rue vénézuélienne, elle, s’est enfin calmée. L’opposition a accepté mi-août de négocier une trêve, en attendant la tenue des élections régionales en octobre prochain. « Certains rejettent ce consensus et avancent qu’on ne peut pas passer d’accord avec un gouvernement qui a tué près de 120 personnes, conclut Aristeguieta. Je comprends leur colère, mais personnellement, je pense que c’est une bonne chose… Maintenant, on espère que c’est un autre type de combat qui commence. »

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Par Adrien Candau

Propos de Fernando Aristeguieta recueillis par AC

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