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Troyes et le projet P.E.S.C.A.R.A.

Par Éric Maggiori
Troyes et le projet P.E.S.C.A.R.A.

Troyes pourrait remonter en Ligue 1, pendant que Pescara redescend en Serie B. Une coïncidence ? Non. Car les deux clubs sont intimement liés. La preuve.

La scène se passe à l’été 2009. Saverio Mancinelli sirote un Aperol Spritz sur le bord de mer. Il fixe l’horizon, la mer Adriatique, les parasols à rayures jaunes et blanches alignés sur la plage. Ses pensées sont ailleurs. Le club dont il gère la crise financière depuis un an, Pescara Calcio, vient de faire faillite. Mancinelli n’a rien pu faire pour empêcher la banqueroute. Alors, Mancinelli enquille les verres et les clopes, le cœur lourd. À la table à côté de lui, un autre homme sirote un Crodino avec un peu plus d’entrain. Lui a le sourire. Ou du moins, des rêves plein la tête. Il s’appelle Daniel Masoni. Il vient de reprendre les rênes du club de l’ESTAC de Troyes, tout juste relégué en National. Les deux hommes s’ignorent, puis leurs regards finissent par se croiser. Attirés et intrigués par leur solitude respective, un rapprochement de chaises en plastique s’effectue et une discussion s’engage. Ça parle faillite, football, troisième division. « Moi, je ne peux plus rien faire pour Pescara, le club a fait faillite » explique Mancinelli. « Tu te trompes, lui rétorque Masoni. On peut toujours faire quelque chose. Laisse-moi te montrer. »

Ratures et tablette de chocolat blanc

Pendant tout le reste de l’été, entre une virée à Rimini et une soirée en boîte à Riccione, Masoni planche ainsi sur son nouveau projet. L’idée ? Créer un clone de l’ESTAC de Troyes en Italie, à Pescara. Dans son petit cahier Clairefontaine acheté fièrement en 2005 dans un supermarché ATAC, avant que celui-ci ne soit rebaptisé Simply Market, le projet a un nom de code : Projet ESTAC Spritz Code Aperol Rive Adriatique, soit P.E.S.C.A.R.A. Masoni gribouille des graphiques, des chiffres. Il fait des ratures et des petits dessins à côté. Parfois, il arrache même une page. Il passe des coups de fil. Son objectif est simple : que Troyes et Pescara ne forment qu’un seul et même club, afin de pouvoir infiltrer à la fois la France et l’Italie et ainsi commencer une conquête de l’Europe.

Il lui faut brouiller les pistes. Sa première idée, celle de rebaptiser son nouveau club ESTAC Pescara, est rapidement jetée dans la corbeille. Il faut un camouflage plus subtil. Alors, Masoni ressort un vieux catalogue 1999 des supermarchés ATAC, avant que ceux-ci ne soient rebaptisés Simply Market, et feuillette. L’illumination arrive à la page 23. Celle des tablettes de chocolat. Lindt ? Côte d’Or ? Non. Les yeux de Masoni flashent sur la tablette Chocolat Blanc de Galak. Il repense alors à Oum, le gentil dauphin blanc des pubs Galak qui aidait Yann et Marina sur leur bateau juste pour gratter un carré de chocolat à la fin. Ce sera donc le dauphin. Delfino Pescara. Un nom qui en jette.

Daniel et Daniele

Le projet P.E.S.C.A.R.A. est mené à bien lors de la saison 2009-2010. L’ESTAC et le Delfino sont tous les deux en troisième division. Masoni tire les ficelles, s’amuse à prêter et reprêter des joueurs dans un club et dans l’autre juste en truquant les licences et parfois même en grimant leur visage. Et cela paye. À la fin de la saison, le premier est promu en Ligue 2, le second en Serie B. Un problème va alors rapidement se poser. Troyes et Pescara deviennent indissociables. Quand l’un perd, l’autre perd aussi. Quand l’un gagne, l’autre gagne aussi. Masoni ne comprend pas. Il passe un coup de fil à Mancinelli pour demander des conseils. La réponse est sèche : « Rappelle-moi plus tard Daniel, je suis actuellement sur la côte amalfitaine avec un certain Dmitri qui me parle de son projet de conquérir le monde en commençant par le rachat de l’AS Monaco, un barjot. »

Alors, Masoni avance dans le brouillard. Comme si le monstre qu’il avait créé était devenu trop ingérable pour lui. À la fin de la saison 2010-2011, Troyes et Pescara terminent tous les deux dans le ventre mou de la D2. Masoni sent qu’il a besoin d’aide. Il se pose dans son jardin. Et dégaine son carnet d’adresses, couverture en cuir rouge vieilli, qu’il avait acheté dans un supermarché ATAC en 2003, avant que celui-ci… Bref, Daniel regarde tous les noms de son répertoire, un par un. Un nom lui saute alors aux yeux. Celui de Daniele Sebastiani. Les deux hommes s’étaient rencontrés en 1997 en Sicile (oui, Masoni adore voyager en Italie). Ils avaient sympathisé autour d’un panino alla porchetta dégusté un samedi soir à la Vucciria. Mais ne s’étaient plus reparlé depuis. Or, Masoni en est convaincu : il doit déléguer Pescara à une version italienne de lui-même. Daniel et Daniele. Logique. Limpide. Le 29 novembre 2011, Daniele Sebastiani est ainsi nommé nouveau président du Delfino Pescara.

Changer son fusil d’épaule

La route vers le succès passe aussi par les entraîneurs. Les Daniel’s misent tout sur un autre binôme : Zeman et Furlan. D’ailleurs, dans la tête de Masoni, ces deux coachs ne sont en réalité qu’un seul, c’est d’ailleurs pour cela qu’il les appelle « Zerlan » (à prononcer « Zerlane » ), aussi bien quand il parle de l’un que de l’autre. La saison 2011-2012 est triomphale. À la fin de l’année, Troyes et Pescara sont tous les deux promus en première division. Masoni reçoit alors un texto de Mancinelli. « Félicitations, Dani. Mais fais gaffe à Dmitri, son projet a l’air de tenir beaucoup plus la route que le tien. » De fait, le bonhomme se rend vite compte que les bases de son projet ne sont pas assez solides. Avoir plus de soixante joueurs sous contrat dans deux pays différents, tout cela en restant caché et en avançant en mode camouflage pour ne pas se faire griller, c’est compliqué. Très compliqué. Et lorsque à la fin de la saison 2012-2013, Troyes et Pescara sont tous les deux relégués, Masoni comprend qu’il doit changer son fusil d’épaule.

Il lui faut un ambassadeur. Un joueur qui ferait ouvertement le lien entre les deux clubs, tout en étant, en sous-marin, un espion parfait. Masoni pense un temps à Benjamin Nivet. Trop évident. Trop chauve. Son choix se porte finalement sur Jean-Christophe Bahebeck, joueur prêté à l’ESTAC en 2012-2013. Bahebeck se voit remettre une mission de la plus haute importance : il devra préparer le terrain à une nouvelle stratégie, un nouveau plan d’attaque de façon que personne, jamais, ne remarque que Troyes et Pescara sont en fait le même club. Mais que, parallèlement, chacun ait sa propre courbe de progression. Arrêter cette mascarade où, quand l’un descend, l’autre descend aussi, quand l’un monte, l’autre monte aussi, etc. Les recherches du trio JCDD (Jean Christophe, Daniel, Daniele) durent deux ans. Deux années au terme desquelles Troyes est promu en Ligue 1 pendant que Pescara, lui, reste en Serie B. C’est la première fois que les deux siamois sont séparés. Masoni doute. Il sue à grosses gouttes. Il a perdu le contrôle. On est bien loin du moment où un dauphin blanc décidait à la place de son cerveau.

Un prêt à Pescara

Les rendez-vous secrets entre Masoni et Bahebeck ont lieu à Saint-Étienne, pour ne pas éveiller les soupçons. Le 30 août, en plein rush de fin de mercato, le président a besoin de son espion pour peaufiner les effectifs et les derniers choix. « RDV au sous-sol du Barberousse à 15h30, viens seul. » « Je peux pas chef, j’ai match avec Sainté à 14h. » « J’ai besoin de toi. Débrouille-toi, simule un malaise en plein match. » Jean-Chri s’exécute. Par des gestes forts comme celui-ci, il gagne la confiance de Masoni. Et lui explique ses desseins : « L’idée, c’est que l’on soit toujours en première division. Quand Troyes sera en D1, Pescara sera en D2. L’année suivante, l’un monte, l’autre descend. Comme ça, on assure une présence incessante dans l’élite. » Son discours tient la route et convainc le boss. À la fin de la saison 2015-2016, Pescara est effectivement promu en Serie A pendant que Troyes est relégué en Ligue 2. Pour le récompenser de son bon travail, Masoni envoie Bahebeck en prêt à Pescara pour qu’il aille profiter un peu de la côte Adriatique et des Aperol Spritz, posé sous un transat à rayures jaunes et blanches.

Après une saison passée en Serie A, Pescara est à nouveau relégué en Serie B au terme de la saison 2016-2017. Comme convenu, Troyes devrait pour sa part remonter, pour continuer d’assurer une présence linéaire parmi l’élite. À l’aube de disputer le dernier match de la saison contre Sochaux, Masoni reçoit un nouveau texto de son ami Mancinelli. « Je t’avais dit pour Dmitri. T’aurais dû te joindre à notre projet M.O.N.A.C.O. Là, je suis sur un yacht à Cannes en train de fêter le titre de champion de France. » Énervé, vexé, furieux, Masoni jette son téléphone portable par terre. Un peu penaud au moment de contempler son mobile qui gît en morceaux sur le sol, il le ramasse, le pose sur sa table de nuit et monte dans son grenier. D’un gros carton, il ressort un bon vieux téléphone fixe à cadran, qu’il avait acheté dans un supermarché ATAC en 1995. Avant, bien avant, que le Spritz ne lui monte à la tête.

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est possiblement fortuite.

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