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Transferts : une décennie d’injustes prix

Par Adrien Candau
Transferts : une décennie d’injustes prix

Pour marquer la fin de cette décennie de football européen, l’Observatoire du football, un groupe de recherche faisant partie du Centre international d’étude du sport (CIES), s'est lancé dans une synthèse de l'évolution des prix et balances de transferts des clubs du Big 5, de 2010 à 2019. Un rapport qui, couplé avec d'autres données communiquées par l'UEFA en janvier dernier, permet de mettre des chiffres et des statistiques sur des impressions et ressentis qui en inquiètent plus d'un, depuis un bon moment : oui, le mercato européen est devenu une dinguerie financière, où la Ligue 1, à l'image de ses équivalents hollandais et portugais, semble s’être progressivement résignée à accepter son statut de championnat transitoire.

S’il ne fallait retenir qu’un chiffre, c’est peut-être celui-là : 181%. Soit l’inflation totale depuis 2011 des prix des joueurs achetés par les équipes des cinq grands championnats européens, calculée par l’observatoire du football, un groupe de recherche chapeauté par le Centre international d’étude du sport (CIES). Une étude qui avance aussi que l’inflation annuelle moyenne des transferts a même été de 25,8% au cours des cinq dernières années. Dément ? Oui. Insoutenable ? Pas pour tout le monde. La Ligue 1, toujours nommément incluse dans le fameux Big 5 par le CIES et l’UEFA, semble plus que jamais reléguée en périphérie de la dimension économique dans laquelle sont inscrits ses homologues anglais, espagnols, italiens et allemands. Et si le championnat français, pour qui arriver en finale de C1 dans les années 1990 et 2000 restait encore du domaine du possible, avait sportivement basculé de l’autre côté, à savoir celui des perdants de la mondialisation du football européen ?

Difficile de trancher définitivement, mais certains chiffres communiqués par le CIES n’incitent pas à un optimisme délirant. Notamment la balance des transferts, une donnée qui retranscrit le différentiel entre les achats et les ventes de joueurs effectués par les clubs des championnat du Big 5, entre 2010 et 2019. Un bilan déficitaire de 6 milliards en Premier League, 1,2 milliards en Italie, 800 millions en Espagne, 758 millions en Allemagne et… bénéficiaire de 359 millions en France.

Traduction : quand les autres grands championnats achètent beaucoup plus qu’ils ne vendent, la Ligue 1 fait précisément le contraire. De fait, alors que les montants des transferts ont significativement gonflé depuis le début de la décennie, les budgets de nombreux clubs de l’Hexagone, s’ils ont souvent augmenté, n’ont progressé que dans des proportions beaucoup plus raisonnables. Exemple avec Bordeaux, Saint-Étienne, Rennes, Toulouse ou Marseille, qui tablaient respectivement sur des budgets estimés autour de 80, 55, 45, 40 et 140 millions d’euros en 2011, et dont les budgets annuels étaient de 70, 74, 68, 35 et 150 millions d’euros en 2018-2019. Difficile pour ces clubs, dans de telles conditions, de s’aligner sur l’inflation des prix parfois délirante qui caractérise celle des joueurs achetés par les écuries anglaises, espagnoles, italiennes et allemandes. Des clubs étrangers auxquels on ne peut dans la majorité des cas plus que vendre des joueurs, à défaut d’en acheter.

Mécanisme de survie

Si Mediapro, qui a acquis pour une somme au montant presque inespéré les droits TV de la Ligue 1 en mai 2018, permettra sans doute de remettre un peu d’argent dans la tirelire du football hexagonal, ce dernier n’en reste pas moins plombé par son manque d’attractivité hors du territoire français (les droits TV à l’international du championnat de France sont de 80 millions, contre 1,3 milliard pour la Premier League, 650 millions pour la Liga, 370 millions pour la Serie A et 250 millions pour la Bundesliga). S’ajoutent aux problèmes de la Ligue 1 ses recettes billetteries et merchandising limitées, mais aussi les régulations économiques plus strictes et contraignantes auxquelles les clubs du championnat sont soumis. « Si les clubs français dégagent effectivement globalement moins de surface financière que les équipes des autres championnats du Big 5, ils doivent aussi composer avec la DNCG, qui est très stricte quant au contrôle de la dette des clubs. Elle ne leur permet pas facilement de s’endetter lourdement » confirme Loïc Ravenel, collaborateur scientifique au CIES depuis 2011.

Les conséquences pour la Ligue 1 ? « Pour rester signifiants dans une économie aux prix et au fonctionnement inflationnistes, les clubs français sont obligés de vendre des joueurs pour pouvoir exister, et nécessairement équilibrer leurs budgets » , poursuit Ravenel. En ce sens, la banalisation du trading de joueurs au sein des clubs de Ligue 1 ne répond sans doute plus seulement à une politique de profits au détriment du sportif, mais aussi à un mécanisme de survie nécessaire, dans un environnement économique où les clubs français sont soumis à une pression financière croissante. À titre d’exemple, parmi les 20 équipes ayant le bilan de transferts net le plus positif sur la période 2010-2019 au sein des clubs du Big 5, on retrouve pas moins de neuf clubs français, dont trois aux cinq premières places (Lille qui mène la danse, puis Monaco et Lyon, respectivement deuxième et quatrième).

De quoi sérieusement se demander si la Ligue 1 n’est pas déjà devenue, comme la Liga Nos ou l’Eredivisie, un championnat majoritairement formateur et post formateur, destiné à seulement exporter ses talents, sans vraiment en profiter. « La question pour les analystes, c’est d’ailleurs de savoir si la France fait toujours partie du Big 5. Si on l’en exclut, ça suscite autant de problèmes que lorsqu’on l’y inclut. La Ligue 1 a une surface financière inférieure à celle des quatre grands championnats historiques, mais reste un cran économiquement au-dessus des ligues portugaise, russe ou hollandaise, nuance Loïc Ravenel. Néanmoins, on sent que le championnat est dans une phase de transition et adopte un modèle de plus en plus basé sur l’émergence et la vente de joueurs. Un modèle où les clubs cèdent leurs éléments à des équipes issues du Big 5, mais recrutent de plus en plus en dehors de ce même Big 5. »

L’autre Europe du foot

Si la Ligue 1 continuait à dériver de plus en plus loin de ses équivalents espagnols, italiens, anglais et allemands, elle ne ferait finalement que rejoindre le clan des « autres ». À savoir, le reste de l’Europe du foot, cet ensemble de championnats dit intermédiaires voire mineurs, qui, sans s’appauvrir, voient le gouffre économique qui les sépare des plus grandes ligues du continent s’élargir d’année en année. Selon le rapport du CIES, l’analyse des équipes ayant bénéficié des indemnités de transferts payées par les clubs du Big 5 lors des dix dernières années montre que la plupart de l’argent reste à l’intérieur de ces championnats, soit 66% du total.

Dans le même ordre d’idées, un rapport de l’UEFA publié en janvier et portant sur la période 2008-2017 démontrait que la part d’investissement des clubs du continent n’appartenant pas au Big 5 sur le marché mondial avait significativement baissé ces dernières années : selon ce document, cette dernière aurait diminué de moitié de 2008 à 2017 (de 21% à 10%), quand celle des dépenses de transferts des clubs du Big 5 est passée de 69% à 75%. Une tendance de plus en plus inégalitaire, accentuée par certaines réformes pilotées par l’UEFA elle-même, comme celle de la C1 en 2016. Voilà qui augure sans doute une décennie 2020 ponctuée de transferts toujours plus gratinés, mais aussi de compétitions où la France, exception faite du PSG, devra peut-être se résoudre à faire de plus en plus de la figuration.

Par Adrien Candau

Tous propos recueillis par AC

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