- Foot et politique
Top 10 : foot et politique en 2019
Par Nicolas Kssis-Martov
Pour paraphraser Clemenceau, le foot est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux footballeurs. Et de fait, en 2019 comme les autres années, le ballon rond s'est révélé l'occasion d'ausculter ce monde et ses crises politiques. Petit retour partiel et partial sur 365 jours qui, entre saluts patriotiques turcs et racisme persistant, a démontré que le stade ne peut et ne doit pas être un sanctuaire.
Here comes Megan Rapinoe…
La Coupe du monde féminine en France a plutôt représenté un succès – y compris populaire -, consacrant finalement et fort logiquement la sélection américaine. Mais ce qui a surtout émergé, c’est la figure de Megan Rapinoe, leader autant sur le terrain que médiatique des Yankees. Ses engagements – notamment contre Donald Trump – et ses prises de position assumées comme une partie intégrante de son « job » de joueuse pro ont redessiné au féminin le portrait d’un foot conscient, progressiste et ayant des choses à dire. Le Ballon d’or 2019 suffira-t-il à éviter une défaite aux démocrates, en 2020 ?
La Turquie vous salue bien
La Turquie est en ordre de bataille. Et notamment ses troupes, écrasant tranquillement de braves Kurdes qui nous ont sauvés de Daesh. Or, du côté de « La Sublime Porte » , on y voit surtout une juste croisade et Erdoğan l’occasion de rassembler son peuple autour des belles valeurs patriotiques héritées d’Atatürk (père laïc de la nation). Le football a répondu à l’appel, avec un salut militaire qui semble daté d’un autre temps aux yeux de l’Europe. De quoi choquer Roxana Maracineanu, qui a exigé en retour des sanctions après le match au SDF pour les qualifications à l’Euro 2020. L’UEFA a sévi : 50 000 euros pour l’attitude des supporters, et une petite tape amicale pour la sélection nationale. Tout le monde peut continuer à fermer les yeux….
La Chine n’Özil pas
Restons en ambiance ottomane, avec Mesut Özil qui s’indigne publiquement sur Twitter du sort peu enviable réservé à la minorité musulmane ouïghoure par l’Empire du Milieu capitalo-communiste. « Des corans sont brûlés… Des mosquées détruites… Les écoles islamiques interdites… Des intellectuels religieux tués les uns après les autres… Des frères envoyés par la force dans des camps. » En Chine, où l’on connaît l’importance stratégique du foot dans la géopolitique du soft power, ce cri du cœur largement repris dans les médias n’a pas fait sourire. Réponse immédiate, et finalement pas si bête : l’international allemand d’Arsenal a été retiré des versions locales de Pro Evolution Soccer (PES), avec la bénédiction de l’éditeur, pendant qu’Arsenal prenait ses distances. La Chine est un grand marché, la NBA est bien placée pour le savoir…
Thuram et la mémoire dans la peau
S’exprimant dans la foulée des cris de singe proférés contre Lukaku à Cagliari, Lilian Thuram a réveillé les démons du foot. Surtout en France : « Il faut prendre conscience que le monde du foot n’est pas raciste, mais qu’il y a du racisme dans la culture italienne, française, européenne et plus généralement dans la culture blanche. » Il est alors accusé de promouvoir un racisme anti-blanc alors qu’il essaye de comprendre la persistance de celui envers les noirs dans un sport où pour le coup, ils sont plutôt bien représentés. Le déferlement polémique qui suit a souligné que si tout le monde dénonce le racisme, tout le monde n’a finalement pas le droit de le faire publiquement. La multiplication des cas en Italie ou en Angleterre répond assez bien, sur le fond.
Chili, footballeurs et ultras derrière la contestation
Dans un monde où le vent des révoltes populaires a soufflé au Sud en 2019, le football s’est parfois placé aux avant-postes. Exemple avec le Chili, secoué par une contestation sociale sans précédent contre le président Sebastián Piñera. La sélection nationale, par la voix de son capitaine Gary Medel, ainsi décidé de s’impliquer en refusant de jouer : « Aujourd’hui, le Chili doit jouer un match plus important : celui de l’égalité et du changement pour que tous les Chiliens vivent dans un pays plus juste. » En outre, les groupes de supporters ont surmonté leur division et ont largement répondu présent dans la rue aux côtés des manifestants. Obtenant, avec le syndicat de joueurs, la suspension du championnat. De quoi faire rêver la CGT et les cheminots, en France….
Une ministre interdite de stade
Autre contexte en France : en visite au Red Star, Roxana Maracineanu a dû écourter sa présence à Bauer devant l’hostilité de certains supporters guère favorables à la réforme du système de retraite que défend le gouvernement dont elle est membre. Depuis, le club s’est platement excusé. Noël Le Graët a hurlé au scandale, et une enquête a même été ouverte par le parquet de Bobigny. Un incident qui survient alors que les instances du foot français, FFF et LFP, rallument le conflit avec des ultras. Qui, de Bordeaux à Saint-Étienne, voient s’annoncer une année 2020 très dure pour eux et leur cause. Un beau gâchis après les espoirs d’accalmie sous la houlette de l’Instance nationale du supportérisme chapeautée par le ministère des Sports, et les gestes conciliants du ministre de l’Intérieur incitant les préfets à limiter les interdictions de déplacement.
Platini, le retour… des affaires
Michel Platini voulait revenir dans le monde du football ? Sauf que comme le clamait le regretté Pierre Bérégovoy, « Urgence, enfin, dans la lutte contre la corruption » . Le Parquet national financier a donc ouvert une information judiciaire au sujet des conditions d’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Ce qui replace l’ancien héros des Bleus au centre de toutes les attentions, avec en embuscade Nicolas Sarkozy – à l’époque président de la République – et un mystérieux dîner sous les ors des palais de la République. Ici, parler de son amour du jeu pourra difficilement occulter les enjeux diplomatiques et financiers qui ont présidé à une telle décision.
France-Algérie, les frères
Au bled, le peuple – et notamment les ultras – manifeste et revendique contre un pouvoir corrompu capté par quelques-uns, souvent à galons. Chez nous, les enfants en garde partagés entre les deux pays ont célébré, de Menilmontant à Paris à la Canebière à Marseille, la victoire des Fennecs et ses nombreux binationaux en finale de la CAN. Une fête parfois gâchée, comme c’est souvent le cas en pareille situation, par des débordements (sur les Champs-Élysées, dans la capitale) parfois dramatiques (à Montpellier). De quoi réveiller les vieilles peurs, au lieu de s’interroger d’une rive à l’autre de la Méditerranée, sur les relations et histoires communes autour de la même passion pour le ballon rond. Et nos politiques d’en remettre une couche, que ce soit sur les crispations sécuritaires ou les délires identitaires avec une Marine Le Pen qui demandait d’ « interdire, au nom de l’ordre public, le drapeau algérien » . Pour le moment, le France-Algérie est d’ailleurs toujours reporté.
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Par Nicolas Kssis-Martov