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- Entretien avec Tony Vairelles
Tony Vairelles : « En prison, j’étais plein de rage »
Condamné le mois dernier à cinq ans de prison, dont deux avec sursis, par le tribunal judiciaire de Nancy, pour violences avec armes à l'encontre de vigiles d'une boîte de nuit de Meurthe-et-Moselle, l'ex-international français va faire appel. Tout comme ses trois frères, Fabrice, Jimmy et Giovan, également sanctionnés. Tony Vairelles revient ici sur une affaire qui a empoisonné sa vie pendant dix ans, à l'occasion d'un livre, Balles au centre.
Il y a un peu moins de dix ans, à l’automne 2012, So Foot consacrait la Une de son centième numéro à Tony Vairelles qui vivait ses derniers feux sur des terrains anonymes de Lorraine. Un week-end complet et seize pages du magazine attestaient que l’ancienne chauve-souris du RC Lens et de l’Olympique lyonnais, qui a hanté les bords de touche de l’Hexagone pendant vingt ans, n’était pas tout à fait un footballeur comme les autres. Si loin, si proche. Singulier et foutrement sincère. Un mec simple, qui vivait en bande, lâché dans l’enclos professionnel post-arrêt Bosman. L’année précédente, une nuit d’octobre 2011, son nom était réapparu dans les gazettes à l’occasion d’un fait divers comme il en existe tant dans ce pays, une fusillade sur le parking d’une boîte de nuit contre des videurs. Après cinq mois de détention préventive, lui et les siens auront attendu onze ans pour en connaître le verdict le mois dernier. À l’occasion de Balles au centre (Hugo Sport), un livre prévu de longue date, le Nancéien reçoit sur la terrasse de son éditeur, près de la place de l’Étoile, à Paris. Blouson siglé Red Skins, sweat-shirt tacheté de bleu et houppette de psychobilly, il affiche une fin de quarantaine pimpante. Entretien avec un homme rare.
Dans quelles dispositions étais-tu au moment d’écrire ce livre ?Cela faisait plusieurs fois qu’on me sollicitait. Ce n’est pas que ça ne m’intéressait pas, mais il fallait que ça puisse toucher les gens. Ma carrière, les amateurs de foot la connaissent un peu, et les autres s’en foutent. Il n’y avait pas vraiment d’intérêt. Romain Jacquot, qui faisait partie de ceux qui avaient demandé, est revenu à la charge quand on a lié sympathie. J’ai pris quelques jours de réflexion. « Écrire un livre oui. Je suis très cinéphile. Alors, commençons à partir du moment où tout a basculé pour moi. » Je ne regrette vraiment pas. Le livre me plaît parce que c’est moi. Romain a réussi à se placer dans ma tête. On a passé des heures au téléphone à modifier une phrase, une virgule, un mot. Je l’assume à 100%.
La structure du livre navigue entre ces cinq mois de détention en préventive (purgés entre fin 2012 et début 2013, NDLR) et ta vie d’avant… Le point de départ, c’est l’instant où je passe du paradis à l’enfer, on peut appeler ça comme on veut. Je ne peux pas croire que ça se passe comme ça et malheureusement, si. Avant, quand je voyais un reportage télé où des gens en prison clamaient leur innocence, je me disais : « Innocent, innocent… si t’es en prison, c’est que tu ne l’es pas tant que ça. La justice ne condamne pas des gens sans aucune preuve. » Quand on le vit soi-même, on a un regard différent. On réfléchit : « Ah, j’ai peut-être été vite en besogne. » Dorénavant, je tournerai sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler. Cela m’a fait évoluer, dans le bon sens, j’espère. En prison, on a le temps de gamberger, de faire des petits flash-back sur sa propre vie, de s’interroger. « Pourquoi j’ai réussi et pas à un autre ? » « Comment ai-je fait ? » Cela permet de relativiser, de se rendre compte que beaucoup de choses se jouent dans la tête.
Les faits remontent à 2011. Pourquoi la procédure a t-elle duré aussi longtemps ? J’aimerais bien le savoir. Peut-être à cause de son côté médiatique. Ils voulaient être sûrs des choses. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on a attendu dix ans pour rien, surtout quand on voit le verdict. On se disait qu’ils passaient du temps sur l’enquête, qu’elle permettrait de nous innocenter. On était confiants, sûrs de ne rien avoir fait. On n’est pas des anges, hein, mais on était persuadés de ne pas être condamnés. Ou alors qu’on m’explique. J’étais sur ce parking de boîte de nuit, mais à part ça, mes frères et moi n’avons tiré sur personne.
Quelqu’un a tiré néanmoins…Bien sûr. On l’a dit.
Qui a tiré, alors, si ce n’est ni toi ni tes frères ?On ne sait pas. Certainement une autre personne qui a eu des déboires avec ces personnes-là (les videurs). Malheureusement, si on fait le calcul de tous les gens qui se sont plaints, des dépositions contre eux, il y en a eu pas mal… On les a entendus, ces coups de feu, on n’a jamais nié qu’ils existaient. S’il y a un élément qui permet de dire que Tony Vairelles a tiré un coup de feu, qu’on me le donne. Je veux bien être condamné si on me le prouve. Le « tamponnage » qu’on doit me faire pour découvrir des traces de poudre ou des micro brûlures, on ne me le fait pas. La cassette vidéo qui aurait permis de clarifier la situation a disparu dès le début. Qui a pu s’en emparer ? Ce ne sont pas les frères Vairelles qui ont pris la cassette vidéo et l’ont remplacée par un concert des Enfoirés.
Si on te suit, le bénéfice du doute doit profiter aux accusés…C’est ce qu’on m’a toujours dit. Aujourd’hui, pourtant, j’ai le sentiment que mes frères et moi sommes condamnés au « bénéfice » du doute. Je suis sûr de ce que je n’ai pas fait, tout comme mes frères. Maintenant, je comprends qu’on s’interroge. Il y avait cinq personnes sur le parking. Même les videurs l’affirment. Or, nous, on n’est que quatre devant les juges. L’avocat de la partie adverse sous-entend que la cinquième personne serait mon papa. Il était dans son lit, mon papa, à cinq heures du matin. Vous croyez que mon papa aurait laissé ses enfants aller en prison si lui était responsable de quoi que ce soit. Nous, on cherche la personne qui a tiré ces coups de feu puisqu’on sait maintenant grâce à la balistique qu’il n’y a qu’une seule arme qui a blessé les videurs. C’est ce qui pose problème dans leurs versions successives à eux. Au départ, il y avait quatre tireurs. Aujourd’hui, c’est moi et mon grand frère. On essaie de faire croire que j’ai ramassé l’arme de mon frangin, quand elle est tombée par terre, en pleine nuit, alors qu’on m’a gazé, c’est invraisemblable.
Lors de ton incarcération, pourquoi restes-tu à l’écart ? Je n’avais pas envie de parler à grand monde. Pas à cause d’a priori sur qui que ce soit. Je savais qu’on pouvait se retrouver là même en étant innocent. J’ignorais sur qui j’allais tomber, pas envie de poser de questions ni de tomber sur un gars qui aurait fait du mal à un autre. Je me suis renfermé sur moi-même alors que je suis d’un naturel avenant. Je ne cherchais pas les histoires, il fallait que je m’aère l’esprit ; alors, je courais.
Apprend-on des choses au fur et à mesure d’une carrière professionnelle qui servent ailleurs ?Indéniablement. Plus on avance, plus on apprend. Là où je n’ai pas changé, c’est dans l’écoute des autres. J’ai toujours eu conscience qu’on acquiert des connaissances tous les jours. Ce n’est pas parce que je suis un ancien joueur de foot professionnel que je connais tout à ce sport. On connaît beaucoup de choses, mais on découvre toujours des trucs. J’aime ça. Si je retournais à l’école aujourd’hui, je serais un bien meilleur élève. J’essaie d’évoluer constamment, d’être plus sage. La colère ou la haine n’amènent rien de bon. Ce n’est pas facile, surtout quand on en prend plein la tête. En prison, j’étais plein de rage, c’est pour ça que je courais. Quand on vit une injustice, on a de la douleur, de la colère. J’ai toujours ressenti le besoin d’essayer de faire les choses du mieux possible. À Gueugnon (qu’il a dirigé de juillet 2009 à la liquidation en mars 2011, NDLR), j’ai géré le club en bon père de famille, jamais dépensé un centime que le club n’avait pas. J’ai commis des erreurs, sans doute, mais jamais avec une mauvaise intention.
Guy, Tony et Giovan, à Gueugnon.
Tu viens d’une famille nombreuse (six garçons, une fille). À Lens et à Lyon, tu as longtemps vécu avec tes parents et certains de tes frangins. Le clan est une force, mais n’a-t-il pas été, au bout du compte, une faiblesse ? Tu as refusé la Juve et Dortmund. N’aurait-il pas fallu couper le cordon ombilical ?Il a été coupé bien avant. J’adorais ma famille, mes petits frères sont comme mes fistons. Jusqu’à Lens, on ne m’a jamais dit que c’était un problème. Tout allait bien, tout était rose, c’était mon équilibre, ça me permettait d’être concentré à 200% sur le foot. Après, quand ça va moins bien, on cherche le pourquoi du comment. Je l’ai entendu dans ma carrière. On dit ça après coup. Si tu parles avec les dirigeants de Lens, ils ne te diront pas que ma famille était un problème, bien au contraire. Mon papa, mes frères, ma mère n’en ont jamais posé à personne. C’était ma façon de vivre, mon équilibre, certes différents des autres. J’étais épanoui, heureux. Même s’ils n’avaient pas été là, je ne me serais pas mis en couple parce que je voulais que rien ni personne ne perturbent ma carrière. À Lens (5 ans) puis Lyon (4 saisons), je pars pour des contrats longue durée. Avec le recul, je reconnais que plus que pour moi, c’étaient pour mes petits frères que c’était dur. Quand tu as des enfants, tu te rends compte quand tu déménages ton fils d’une école à une autre, que ce n’est pas évident. Mes petits frangins m’ont suivi en cours d’année quand j’ai été prêté à Bordeaux. Avec le recul, on n’aurait pas dû faire comme ça. On était tous tellement obnubilés, même mon père, par ma carrière, qu’on en a oublié le bien-être des plus petits. Après Bastia (2004-2005), ils sont restés en Corse et ne m’ont plus suivi parce qu’ils ont pris conscience que ça devenait difficile pour mes petits frères. Si cela s’était passé différemment à Lyon, on n’aurait jamais parlé de ma famille. Dans le livre, tu racontes qu’après un rassemblement de l’équipe de France, tu refuses d’aller dans une boîte de nuit parisienne où se trouvent 500 mannequins de l’agence Élite. Tu évoques également Audrey, ta copine qui va devenir ta femme, qui en bave au début de votre relation…Je reconnais que j’ai été dur, sans vouloir être méchant, avec elle. J’avais toujours cette angoisse que ça perturbe ma carrière…
Tu écris qu’elle quitte Lens pour s’installer à Lyon, travaille dans un club de fitness qui n’a rien à voir avec ses études et loue un appartement toute seule dans son coin. Tu expliques plus loin le clash entre tes parents et elle pendant l’épisode carcéral. Ensemble, vous prenez de la distance et déménagez à Bordeaux. La tribu n’est-elle pas trop pesante parfois ?C’est peut-être le côté négatif d’être aussi famille. Toutes les personnes qui arrivent, qui sont des pièces rapportées, on en a peur. Avec moi, ça a été démultiplié, puisque j’incarnais la réussite auprès des miens, sans être prétentieux. On pouvait se dire : « Est-ce qu’elle est là pour son argent ? Pour lui ? » Si moi, je me posais ces questions, eux devaient obligatoirement s’interroger. C’est certainement moi qui ai mal agi, j’aurais dû imposer ma femme dès le début. C’était comme ça, c’était pas autrement. Quand je suis parti à Lyon, je ne connaissais Audrey que depuis six mois. C’était tout beau, tout neuf. Je ne savais pas si c’était la femme de ma vie. J’ai été rude avec elle, et c’est ce qui m’a permis de me rendre compte qu’elle était là pour moi et pas pour autre chose. Je ne voulais pas lui faire du mal, mais j’avais besoin de passer par ces étapes, de ces preuves. Cela a renforcé les liens. Ça m’a rendu encore plus amoureux. Dans l’épisode de la prison, mon père a perdu quelque chose en lui. Sa vie a basculé quand ses quatre enfants étaient derrière les barreaux. Il n’était plus rationnel. Avec ma mère, ils ont rejeté toute la colère qui était en eux sur la seule personne qui était là. De toute façon, le premier fautif, c’est moi. Je voulais toujours que ma famille soit avec moi, ne pas faire de différence. Alors que c’est la vie aussi de partir tout seul avec sa femme en vacances. Je ne voulais pas que mes parents se sentent exclus, alors, je les emmenais. Du coup, je n’avais jamais eu un moment seul avec Audrey. Tout ça créait des tensions. La prison, ensuite, a décuplé tous les ressentiments qu’il y avait dans nos vies. Tous ces quiproquos, ces malentendus n’auraient pas existé si l’affaire n’avait pas eu lieu.
En général, les clubs aiment bien que les joueurs se casent très vite…Parce que ça les rend casaniers. Je l’étais déjà avant (de rencontrer Audrey). J’étais avec ma famille, j’avais mon équipe à domicile. Quelqu’un qui rentre chez lui tout seul, il a envie de rejoindre les copains, on sort ou on finit en boîte. Avant que mes parents me rejoignent à Lens, j’ai vécu un an seul dans un appartement. Je ne l’ai pas vu passer, je ne suis pas sorti parce que je ne voulais pas regretter d’avoir fait un faux pas qui m’aurait fait déjouer le samedi d’après.
Considérais-tu que c’était inespéré pour toi d’être professionnel ?J’ai toujours pensé que c’était quelque chose d’impensable pour moi. Je n’étais pas celui qu’on avait pointé du doigt depuis tout petit. J’en ai connu, des joueurs comme ça, certains ont réussi, d’autres non. Je savais que j’étais un élément qu’on pouvait suivre, mais je n’étais pas celui qui était destiné à être une super vedette. Oui, c’était inespéré, je suis passé de la DH à la D1 en quinze jours. J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment. Ça va, hélas, s’inverser après.
En 1995, au moment de signer à Lens en provenance de Nancy, qui a eu l’idée de faire inclure une prime de 500 000 francs (80 000 euros) à ton contrat au cas où les Sang et Or seraient champions de France ?Mon père (qui était alors son agent) et moi. C’est toujours la même, on pense « équipe » . J’aurais pu demander une clause concernant les buts, mais je m’y suis toujours refusé, c’était inconcevable. Ce n’est pas parce que tu marques un but que tu mérites une prime. Le but, il vient d’où ? C’est le fruit d’un travail collectif. Sur le trajet, avec mon père, on voulait montrer qu’on était ambitieux. Je voulais gagner de l’argent, mais seulement si j’avais des résultats. Quand on a demandé, Gervais Martel a souri : « Sans problème. Cette prime-là, c’est cadeau. » Cela ne l’a pas dérangé, ça ne pouvait être que du bonus.
Au printemps 1998, lorsque le RC Lens devient champion de France et joue la finale de la Coupe, tu penses vraiment que tu vas aller à la Coupe du monde…À l’origine, je suis frustré par ma saison. Il m’a fallu attendre janvier pour être titulaire et que ça déroule jusqu’à la fin. Au début, je ne pense pas à l’équipe de France, je me bats déjà pour être titulaire dans mon club. Ensuite, quand tout sourit, qu’on est champions et qu’on entend l’idole de son père, Raymond Kopa, dire : « Si j’étais sélectionneur, je prendrais Tony Vairelles »… On y croit, forcément.
Est-ce un regret éternel ?Je ne vis pas dans la nostalgie. J’aurais aimé être sélectionné, mais pour participer. Si c’est pour faire partie du groupe, ne pas jouer un match et « gagner » la Coupe du monde, ce n’est pas pareil. Quand on est compétiteur, on veut contribuer même pour être remplaçant, entrer, marquer, faire marquer. Je ne vis pas dans le passé, c’est comme ça. Ils sont champions du monde, tant mieux.
Quand tu arrives en équipe de France, en août 1998, c’est Roger Lemerre, que tu as connu à Lens, qui est à la tête des Bleus…(Il coupe.) J’ai eu l’impression qu’on me donnait ma chance, mais qu’il y avait des réticences. Je pense, sincèrement, que Roger Lemerre m’appréciait comme footballeur et qu’il aurait aimé m’aligner, mais qu’il ne pouvait pas vraiment faire ce qu’il voulait. C’est comme ça que je l’ai ressenti. Ce n’était plus le même… D’abord, comme je le dis, on ne gère pas les jeunes bidasses comme des joueurs qui viennent de gagner la Coupe du monde. Lui, en plus de reprendre l’équipe, il a été l’adjoint, le bon copain, le mec que tu tutoies. Après, c’est difficile de repasser entraîneur principal. Il ne peut plus imposer les mêmes choses. Je l’explique à propos du match contre Andorre (le 14 octobre 1998, victoire 2-0, NDLR) où il demande d’écarter le jeu pour trouver des espaces contre une défense renforcée. Ça sera respecté d’un côté ((celui de Zidane, NDLR) et pas de l’autre. Il faudra l’intervention de Bernard Lama à ma mi-temps pour que ça soit un peu appliqué. Ce n’est pas moi qui allais dire : « Eh, eh, je ne touche pas un ballon. » Roger Lemerre avait vu qu’on butait systématiquement sur cinq, six joueurs et qu’on jouait systématiquement à gauche…
Marcel Desailly a souvent théorisé que les anciens menaient la vie dure aux nouveaux, comme une forme de bizutage…Avant d’y aller, on m’avait souvent dit : « Desailly, c’est un mec qui a le boulard. » Avec moi, il était toujours super. Je n’ai jamais eu l’impression qu’il mettait une barrière. Peut-être que le courant est mieux passé entre nous qu’avec d’autres parce que j’étais respectueux, tout ça. Je l’ai plus ressenti après, quand je l’ai recroisé, alors que je ne faisais plus partie de l’équipe de France, où il était plus distant.
Cette sorte de hiérarchie en sélection peut-elle induire de ne pas donner le ballon à un coéquipier sur le terrain ? On pense à Benzema avec Giroud au Mondial brésilien en 2014…Si c’est le cas, c’est dommageable. Une équipe, ce doit être onze copains sur le terrain. Même si ce n’est pas le cas, ça m’est arrivé d’évoluer avec des mecs que je n’aimais pas, quand je débordais, je la donnais au mec bien placé, qui que ce soit. J’ai joué avec des gars comme Anderson, Pauleta, Drobnjak qui étaient des avants-centres formatés pour le but, qui dans l’angle fermé frapperont. Je ne peux pas leur en vouloir, ce sont des buteurs. Ils se disent qu’ils y arriveront mieux que n’importe qui, et on leur pardonnera. Ce n’était pas ma conception. J’ai été formé comme ailier. Ailier, c’est le don du bon ballon, tu cherches à faire le centre millimétré. À l’entraînement, je m’exerçais à citer le nom du gars à qui il était destiné dans une foule de joueurs. Donner une galette dans la course, c’était du pur plaisir. Tout le monde devrait être comme ça.
Tu as été élevé dans le collectif ; c’est ton côté famille nombreuse ? C’est sûr. Petit, on ne mangeait qu’une rangée de chocolat. Après, quand on avait plus de moyens, mes petits frères s’enfilaient la tablette à eux tout seuls. Je préfère avoir été élevé comme ça plutôt que d’être fils unique et engloutir la plaquette à moi tout seul. Ces valeurs-là m’ont servi pour toute ma vie, et je ne regrette pas.
Ton destin professionnel a-t-il vraiment tenu, comme tu l’écris, au fait que Gérard Parentin, le président de Nancy de l’époque, vienne faire une photocopie dans le bureau d’Alain Perrin, le directeur de la formation ?Oui. Dans le cas contraire, je serais parti à Épinal. Parfois, une carrière tient à peu. Cristiano Ronaldo a failli être échangé avec moi quand je jouais à Lyon et lui au Sporting (à l’été 2002), même si tu te dis qu’un mec aussi perfectionniste aurait réussi partout où il serait passé. À mon échelle, j’avais cette volonté de franchir toutes les portes pour réussir. J’étais prêt à tous les sacrifices, j’adorais ce que je faisais, et mon père l’aurait compris. D’ailleurs, j’écrivais des lettres aux clubs, et il m’aidait à corriger les fautes d’orthographe. La seule réponse positive, c’était Épinal.
Tu es le seul joueur de foot professionnel capable de consacrer deux pages de son bouquin à un stage dans un magasin de jouet de Nancy…(Il rit.) Déjà, c’est pour dire que j’aime le contact humain. On ne s’attend pas à devoir sa carrière à des gens qui vous ont permis d’aller aux entraînements. Si le patron de cette boutique ne m’y autorise pas, vu la concurrence à Nancy, je n’aurais pas réussi à gagner ma place. Je sais d’où je viens. Je sais ce qu’est le travail, même si ce n’était qu’un stage. C’est grâce à ce magasin que j’ai pu gagner 1000 francs (150 euros) lors d’une braderie. À l’époque, c’était énorme et avec cet argent, j’avais fait des cadeaux à toute ma famille. J’étais le plus heureux des hommes. C’était une façon de rendre hommage à ces personnes.
Dans Balles au centre, tu as des mots très forts à propos de ton fils aîné, Guydjo, qui veut « aller te délivrer » et vit mal ton séjour en préventive. Qu’en est-il de Tymm-Elvis (9 ans), ton cadet ? Le petit est né après la prison. Il a toujours connu Audrey en dépression. Un an après notre déménagement en Gironde, il est arrivé ce drame avec ma belle-mère à l’hôpital. Quand elle est décédée au bout de neuf mois de coma, ça a été l’enfer pour elle. Je pensais jusqu’il y a peu qu’il n’avait pas trop ressenti la dépression de sa maman jusqu’au jour où sa maîtresse m’a dit : « Tymm, il est là sans être là. Par moments, il assimile les choses et à d’autres, il est complètement déconnecté du monde, ailleurs. Il n’est plus là. » Il avait sympathisé avec une de nos voisines et dit à cette dame : « J’ai peur que ma maman, elle ne soit plus là. Tu voudras bien être ma maman ? »
Comment va Guydjo (17 ans) désormais ?Il est junior Crabos à l’UBB (l’Union Bègles-Bordeaux). Il s’est reconstruit par lui-même, c’est pour ça qu’il est fort dans son sport. Il se donne à fond. Le rugby l’a sauvé, et on a essayé de faire ce qu’il fallait autour. C’est ce qui me chagrine pour Tymm, il n’a pas encore trouvé sa voie, sa passion. Quand il a appris la décision, Guydjo a été blessé, sur les réseaux sociaux, ça lui a fait mal. Il a réussi à s’en sortir, mais il n’a pas envie de retomber là-dedans. Après le verdict, je me suis dit : « Ils ont déjà fait souffrir mon grand, ils veulent s’en prendre à mon petit maintenant ? » C’est quoi le message ? De vouloir me remettre en prison, alors que ça fait dix ans qu’on me fait patienter pour me juger ? C’est quoi le but ? Pendant cinq ans, j’ai eu un contrôle sur le dos, je devais aller pointer au commissariat, on ne pouvait pas parler entre frères. Le procureur demande trois ans et on met plus…
Après la prison, t’as entamé un travail thérapeutique ou pas du tout ?Non, non. Ni moi ni mes frères, d’ailleurs. En plus de la perte de notre papa dernièrement, je suis sûr et certain que mes frères en auraient besoin. J’ai mon petit frère, Giovan, qui n’est pas bien. (Long silence.) On en a tous souffert dans la famille, ma sœur aussi. On se rend compte que ce ne sont pas seulement quatre personnes qui étaient en prison, c’est toute une famille. Si tu en parles avec des détenus, ils te diront la même chose. Les enfants, les parents, la famille, tout le monde est en prison. Je suis persuadé qu’on aurait dû tous suivre une thérapie. Mon petit frère, ça fait dix ans qu’il vit avec ça. Ses plus belles années, de vingt à trente ans, il a été hanté par cette histoire. Il a beaucoup de souffrances en lui. C’est quelqu’un qui s’est fait massacrer dans une boîte de nuit et qui s’est retrouvé en prison pendant cinq mois.
Propos recueillis par Rico Rizzitelli