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Thierry Steimetz, toujours debout

Par Matthieu Pécot et Mathieu Rollinger
Thierry Steimetz, toujours debout

Expulsé au dernier tour puis suspendu neuf matchs, Thierry Steimetz poussera depuis les tribunes et derrière ses lunettes ses Spartiates de Hombourg-Haut, Petit Poucet de la Coupe de France opposé ce samedi à Auxerre. Pas de quoi froisser l’ancien joueur de Metz et Dudelange, qui a vu les espoirs placés dans le phénomène de Moselle-Est se fracasser définitivement lors d’une amputation de la jambe gauche. Car oui, à 36 ans, le jeune entraîneur est plus que jamais debout.

Jean-Marc Furlan a le droit de savoir à qui il serrera la main ce samedi après-midi, avant le 8e tour de Coupe de France entre son AJ Auxerre et Hombourg-Haut. Au tour précédent, le Petit Poucet, qui évolue en Régional 3 (8e division), s’est payé le voisin de Forbach (R1) au stade de la Houve de Creutzwald, dans une ambiance qui ferait passer un Galatasaray-Fenerbahçe pour une cure de thalassothérapie. « Je n’ai pas l’impression que c’était la fête du football, ce n’était pas un derby digne de ce nom parce qu’on était dans beaucoup de choses sauf dans le foot » , a regretté à chaud Alexandre Luthardt, l’entraîneur de Forbach, au micro de France Bleu Lorraine. Il faut dire que les dernières minutes n’ont pas été marquées que par l’unique but de la partie inscrit par l’attaquant-star Hassan M’Barki (1-0, 81e).

La prothèse de Titi, c’est une prothèse dernière génération. Cinq minutes après les échauffourées, il était dans le vestiaire, à sauter partout avec nous !

Dans les arrêts de jeu, le remplaçant forbachois Emir Akyol, chahuté par le public hombourgeois, s’est retrouvé au milieu d’une mêlée générale pour une sombre histoire de ballon rendu trop vite. Emir Akyol récolte alors un carton rouge pour avoir donné un coup de pied. Une balayette envoyée dans une jambe qui n’appartient pas à n’importe qui : Thierry Steimetz, l’entraîneur adverse, lui aussi expulsé. D’ailleurs, il ne s’agit pas vraiment d’une jambe. « S’il y en a un qui s’est fait mal, c’est le gars de Forbach, décortique Semir Louadj, milieu offensif des Spartiates. La prothèse de Titi, c’est une prothèse dernière génération. Cinq minutes après les échauffourées, il était dans le vestiaire, à sauter partout avec nous ! » Alexandre Luthardt a donc menti : ce 17 novembre 2019 était bien un jour de fête.

La vie elle t’ampute

Pour autant, la vie n’a pas toujours été une fête pour Thierry Steimetz. Avant les cotillons et la prothèse, il y avait un parcours qui a fait de ce fils de mineur du bassin houiller une référence sur les terrains du pays des Trois Frontières (France-Allemagne-Luxembourg). Un récit régional, long de 15 ans, qui s’est arrêté net. Là, juste sous le genou. Au printemps 2017, le natif de Creutzwald apprend que la seule chance de se débarrasser d’une tumeur est de se faire amputer d’une partie de la jambe gauche. « On ne connaissait pas cette histoire avant la semaine dernière. Emir, quand il a su qu’il était amputé, il s’en est voulu » , précise Nathan Vogl, jeune gardien de l’US Forbach. « Le petit Emir, c’est une crème, pacifie Semir Louadj.Thierry lui a fait un câlin dans les vestiaires. On est comme ça ici, on s’embrouille, mais on passe vite à autre chose. » Une confusion toute pardonnée pour des gamins qui ne connaissent pas forcément l’étoile filante Thierry Steimetz, dont la trajectoire n’a marqué aucun livre d’histoire, mais seulement les mémoires de tous les gens qui l’ont croisé. La Lorraine est formelle : Thierry Steimetz, c’est le Ribéry de Moselle.

Si Ch’ti Franck, gamin du Pas-de-Calais, a explosé sur les terres du premier, au FC Metz, ce petit (1,65m) dribbleur déroutant et impulsif a lui fait le chemin inverse. Direction le RC Lens, pour toquer à la porte du monde professionnel.

À l’époque, Lens était une solide équipe de Ligue 1 et il y avait beaucoup de concurrence. Pour se balader en CFA, ça allait. Mais pour le très haut niveau, Thierry manquait un peu d’envergure. Voilà pourquoi il n’a pas signé pro.

« Dès qu’on a vu sa première touche de balle, on l’a pris, rembobine Dominique Bijotat, alors directeur du centre de formation lensois et entraîneur de la réserve. À l’époque, Lens était une solide équipe de Ligue 1 et il y avait beaucoup de concurrence. Pour se balader en CFA, ça allait. Mais pour le très haut niveau, Thierry manquait un peu d’envergure. Voilà pourquoi il n’a pas signé pro. » Ce sera donc la Picardie et l’US Roye pour Kaiser Thierry qui, malgré de clivantes tresses collées, envoie son équipe en National du haut de ses 20 ans. C’est là qu’il découvre ce qui deviendra le refrain de sa vie : les jours de fête ont toujours un lendemain morose. Après une demi-saison à éclabousser le National de son talent, le meneur de jeu est victime d’une fracture tibia-péroné qui l’écarte un an des terrains. Privée de son souverain, l’US Roye retombe en CFA et laisse Thierry poursuivre sa convalescence en Moselle.

Patate de forain, rédemption au Luxembourg et but en Islande

L’année 2005 s’est écoulée, laissant derrière elle une feuille blanche. Remis sur pattes, Steimetz se relance à l’US Forbach (CFA 2) et profite instantanément d’une belle vitrine pour rattraper le temps perdu : son premier match est un 32e de finale de Coupe de France à Dijon (L2). Pour un revenant, l’enfant du pays se porte plutôt bien, à rendre chèvre les défenseurs bourguignons, dont le rugueux Denis Stinat. « Un super mec et une belle bête avec d’énormes cuisses » , décrit Louadj, vainqueur de la Coupe Gambardella 2002 avec Nantes et alors copain de promo de Stinat. Après un rude combat où Steimetz ouvre le score et passe 90 minutes à se faire labourer les chevilles, Dijon se qualifie dans les arrêts de jeu (2-1). En rentrant dans les couloirs de Gaston-Gérard, Thierry fait parler la poudre et décoche un coup de poing qui occasionne une fracture de la mâchoire de son vis-à-vis.

Treize ans après les faits, Denis Stinat, aujourd’hui éducateur à l’Aviron bayonnais, est encore affecté : « Je ne parlerai pas d’une personne dont ça ne vaut pas la peine. Surtout que ça a eu aussi des conséquences sur ma carrière. » Et il est loin d’être le seul, puisque cette mauvaise rencontre coûte au boxeur de l’Est une suspension de deux ans infligée par la FFF. Il semblait y avoir un problème entre Titi et les terrains français. C’est donc au Luxembourg qu’il décide de repartir à zéro, du côté de Grevenmacher. En 2008, avec une Coupe sous le bras, puis un barrage de Ligue Europa marqué par une ouverture du score en Islande contre Hafnarfjörður, il pose la première pierre de sa légende dans le Grand-Duché. La saison suivante, il est désigné meilleur joueur du championnat. L’heure de repasser la frontière a sonné et à Steimetz de faire ses retrouvailles avec le CFA, sous les couleurs du CSO Amnéville. Une vraie cure thermale.

Le jour où il a mis Kalidou Koulibaly dans sa poche

Avant de croiser Auxerre ce week-end, Thierry Steimetz a déjà participé à un 8e tour de Coupe de France contre une formation de Ligue 2. Il y a huit ans, presque jour pour jour, le meneur et capitaine d’Amnéville affrontait le FC Metz, pour un nouveau derby mosellan. Le club phare de la région ne s’est jamais réellement penché sur un joueur pourtant loué aux quatre coins du département. Mené 2-0 au quart d’heure de jeu sur des buts de Fallou Diagne et Mathieu Duhamel, Titi sonnera la révolte en trois temps, deux chefs-d’œuvre : une action en solitaire où il enrhume toute la défense messine avant de tromper Anthony M’Fa, puis un enchaînement de crochets pour effacer le jeune Kalidou Koulibaly et servir Saïd Idazza sur l’égalisation.

Les Grenats réussiront pourtant à se sortir de ce bourbier, grâce à un penalty généreusement accordé par Clément Turpin, transformé par Kévin Diaz, et suivi d’une bagarre générale déclenchée par Mehdi Meniri, ancien de la maison messine. Thierry Steimetz, lui regarde ça de loin et tente de calmer les belligérants. On ne l’y reprendra pas cette fois. Surtout que ce match a suffi pour « achever de convaincre les sceptiques » et lui donner une chance à l’étage du dessus.

« À ce moment, le club cherchait un joueur capable d’éliminer, de faire des différences et le nom de Thierry Steimetz revenait souvent, assure Ludovic Guerriero, alors capitaine du FC Metz. Globalement, dans le vestiaire, les mecs disaient :« On a la plus mauvaise attaque de Ligue 2 et on va aller chercher un amateur de 28 ans qui joue en CFA ? »Mais tous les jeunes joueurs de la région comme Yeni Ngbakoto et Romain Métanire avaient entendu parler de lui et étaient curieux de voir ce qu’il valait. À la fin du match :« Bon, OK, maintenant on sait… » Il avait été exceptionnel ! Tous les gens qui ont vu ce match, supporters de Metz compris, ont la même analyse : Titi était au-dessus de tout le monde. » Quelques jours plus tard, un contrat tombe sur le bureau de Thierry Steimetz. La belle histoire de l’amateur devenu pro sur le tard, dans le club de la région de son cœur, est lancée.

La parenthèse grenat

Mais pour Thierry Steimetz, les histoires courtes sont souvent les meilleures, et l’aventure ne dure que six mois. À son arrivée, le n°21 est pourtant quelqu’un sur qui on compte.

À l’entraînement, quand il y avait des un-contre-un, il ne faisait pas bon être en face de deux joueurs : Sadio et Thierry.

« C’était clair dans ma tête : il était le n°10 qui nous manquait, il était le complément idéal de nos autres éléments offensifs qu’étaient Mathieu Duhamel, Andy Delort et Sadio Mané, que j’ai lancé cet hiver-là, en même temps que Titi » , éclaire Dominique Bijotat, ravi de recroiser son chemin dix ans après Lens. Que les choses soient claires : non, ce n’est pas grâce à Thierry Steimetz que Sadio Mané est devenu ce qu’il est devenu. Il n’empêche que sur la photographie de 2012, ceux qui ont partagé leur quotidien ont vu des choses. « À l’entraînement, quand il y avait des un-contre-un, il ne faisait pas bon être en face de deux joueurs : Sadio et Thierry » , expose la sentinelle Guerriero. Bijotat va plus loin : « Ce ne sont pas du tout les mêmes joueurs. Sadio a toujours été dans le mouvement et Titi à l’aise dans les petits espaces. Aujourd’hui à Liverpool, quand Sadio est coincé par un ou deux adversaires, il est bien obligé de dribbler dans un petit espace… À 19 ans, les crochets courts, il ne savait pas les faire, alors il a fait comme tout le monde : il a appris en regardant ceux qui savaient faire. »

Dans un groupe malade, Steimetz n’est pas franchement à son aise. « Il était discret, introverti, très sympa, très gentil, décrit Pierre Bouby, encore sous le charme. Mais peut-être trop gentil pour réellement s’imposer. C’est un joueur qui a besoin de porter son équipe et ici, il n’a jamais vraiment eu l’occasion de s’exprimer. » Et à part quelques restos en ville avec des mecs issus d’un autre monde que lui, il traverse ses dix matchs sous le maillot grenat presque de manière transparente.

Malgré lui, il finit par accompagner Metz en terre inconnue : le National.

Je ne suis même pas sûr qu’il aimait le milieu professionnel. J’avais l’impression qu’il avait besoin d’avoir son vestiaire de potes, mais là, il est tombé dans un vestiaire compliqué et pas forcément sain.

« Si on est descendus, c’est qu’il y a des fautifs, mais Thierry n’en fait clairement pas partie. Il a apporté sa fougue, son dynamisme » , excuse le capitaine Ludo Guerriero, lui originaire de Forbach. « Je ne suis même pas sûr qu’il aimait le milieu professionnel, doute Bouby. J’avais l’impression qu’il avait besoin d’avoir son vestiaire de potes, mais là il est tombé dans un vestiaire compliqué et pas forcément sain. » En juillet 2012, quelques semaines avant le départ de Sadio Mané à Salzbourg, Steimetz retrouve son habitat naturel, un pays qui l’attend comme le messie et avec un beau chèque : le Luxembourg.

Steimetz, c’est la Champion’s League

Pas le temps de bégayer, et le 24 juillet, Titi est le grand artisan de l’un des plus grands exploits des tours préliminaires de la Ligue des champions. À ce stade de la compétition, la « petite musique » ne retentit pas. Qu’importe, en cet après-midi caniculaire, sur la Red Bull Arena de Salzbourg, il y a un chef-d’orchestre et il joue pour le F91 Dudelange. Malgré le plâtre qui décore son avant-bras gauche, Steimetz est au sommet de son art.

Son splendide doublé (défaite 4-3, victoire 1-0 à l’aller) permet au champion du Luxembourg, du haut de son petit million de budget, d’éliminer le Red Bull Salzbourg, dont le portefeuille est soixante fois plus épais. Le Quotidien, journal luxembourgeois, lui attribue la note de 10/10. Un trophée moral en plus sur sa cheminée.

Pendant deux ans, le père de famille enchaîne les trajets entre Dudelange et Creutzwald, qu’il n’a jamais envisagé de quitter. L’aventure s’arrête en 2014 avec un titre de champion et une petite bosse sur le mollet.

Deux jours après l’amputation, je suis allé le voir. On était quelques amis proches, on a mangé un kebab avec lui sur son lit d’hôpital. Il a dit : « Bon bah voilà, les petits ponts, c’est terminé. »

Rien de bien méchant, un kyste, pense-t-il. Mais à mesure qu’il découvre la ferveur de la D4 allemande du côté de Hombourg, cette boule continue de grossir et d’inquiéter. « Ma femme est dans le milieu médical et quand on a vu comment ça évoluait, on a commencé à avoir peur » , confie son vieux copain Semir Louadj. Au printemps 2017, le corps médical finit par découvrir que ce kyste n’en est pas un et qu’il s’agit d’une tumeur maligne. Le seul moyen d’en venir à bout est d’amputer une partie de la jambe gauche. Il n’y a pas d’autre choix que de l’accepter, alors Thierry l’accepte. « Deux jours après l’amputation, je suis allé le voir. On était quelques amis proches, on a mangé un kebab avec lui sur son lit d’hôpital. Il a dit :« Bon bah voilà, les petits ponts, c’est terminé » » , se marre Louadj, qui se rappelle une période dure, mais que Steimetz n’avait pas peur de regarder dans les yeux. La chimiothérapie va naturellement le plonger dans des phases pénibles, mais « il n’a jamais été dépressif, il s’est toujours battu pour sa femme et ses deux fils » , poursuit Louadj.

Thierry la Fronde

Et puis la lumière est apparue. Prothèse ou pas, il est hors de question que la romance entre Steimetz et le foot en reste là.

Il peut être fraternel avec beaucoup d’entre nous, mais dès qu’on arrive sur un temps de travail, il devient intransigeant.

Un jour, Thierry est aperçu dans le coin, où ses potes, dont Khalid Benichou et Hassan M’Barki, deux de ses joueurs cette saison, s’apprêtent à participer à un tournoi de foot en salle. « Ah vous ne m’avez pas inscrit ? Vous croyez que je suis venu juste pour vous regarder ? » balance Steimetz. Dans son plus beau survêtement, Titi découvre le poste de gardien de but et enchaîne les parades. L’amoureux du jeu est de retour. Pour tout dire, il a toujours été là. « Titi, je l’ai déjà vu dribbler deux fois le gardien sur la même action ! Et sur plusieurs matchs ! Il m’a souvent entendu hurler depuis mon banc, rappelle Bijotat. Que ce soit à Lens ou à Metz, il a toujours privilégié le geste à l’efficacité. Ce n’est pas une critique, c’est comme ça. Il a besoin de s’amuser sur le terrain pour être heureux. » Chacun des trois entraînements hebdomadaires de Hombourg-Haut est là pour le rappeler. « Il jongle avec sa prothèse, s’émerveille Louadj. Le jour où il a mis un petit pont pendant un toro, on était fous ! »

En somme, Thierry est bien dans ses nouvelles pompes, et ce tacle les deux pieds décollés envoyé mercredi à l’entraînement en est un exemple parmi d’autres.

Au printemps dernier, ses proches l’ont aidé à mettre le pied à l’étrier. Déjà responsable de l’école de foot du club de Creutzwald, où joue son fils, on lui propose alors le poste d’entraîneur au SSEP Hombourg-Haut. Un club familial qui végétait dans les divisions de district quelques saisons plus tôt et a vu un projet ambitieux porté aujourd’hui par Azad Senak et Ali Dehaba. « On voulait atteindre rapidement le niveau Régional 1. On nous prenait un peu pour des fous à ce moment-là parce qu’on pouvait penser qu’on brûlait les étapes, explique ce dernier. Mais on savait très bien ce qu’on faisait. »

Le riche vivier de la région, leur carnet d’adresses et les vieux briscards habitués au haut niveau leur ont permis de trouver une alchimie entre les jeunes du coin régional, qui représentent aujourd’hui le noyau dur de Thierry Steimetz. Ali Dehaba, par exemple, est à la fois son vice-président, mais aussi son capitaine, son numéro 6 et le beau-frère de sa meilleure amie. Dans ce cadre, Steimetz a rapidement pris la mesure de sa fonction. « Il peut être fraternel avec beaucoup d’entre nous, mais dès qu’on arrive sur un temps de travail, il devient intransigeant, rapporte Dehaba. Mais au niveau de la cohésion, il est top. On va souvent manger ensemble après les matchs au kebab. » Des établissements où la nappe n’est pas un drap de lit d’hôpital.

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Par Matthieu Pécot et Mathieu Rollinger

Propos recueillis par MP et MR, sauf mentions.

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