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Thierry Bin : « Ma mère ne voulait pas que j’aille vivre là-bas »
Giflé en Jordanie (0-7) en mars dernier, le Cambodge va chercher à obtenir ses premiers points à l’occasion du troisième tour des qualifications pour la Coupe d’Asie 2019. Né à Villepinte, Thierry Chantha Bin (26 ans) s’est exilé dans son pays d’origine en 2012. Aujourd’hui au FC Krabi (Ligue 2 thaïlandaise), le milieu de terrain des Angkor Warriors (surnom de l'équipe nationale cambodgienne) explique comment le Cambodge tente de s’élever dans la hiérarchie asiatique.
Une qualification pour la Coupe d’Asie des nations, qui passera à vingt-quatre finalistes en 2019, est-elle raisonnablement possible ?La défaite en Jordanie en mars a fait mal… Tout le monde sait que la première place lui est promise dans notre groupe. La seconde est qualificative. Le Vietnam est favori, mais on va essayer de prendre un maximum de points, de s’accrocher… Pourquoi pas, après tout. Si on bat l’Afghanistan à Phnom Penh, on pourra y croire. Mais ce sera très difficile, on le sait.
Le Cambodge vient d’engager un nouveau sélectionneur, le Brésilien Leonardo Vitorino, et il a débuté par une défaite en amical contre l’Indonésie (0-2) le 8 juin…Il vient d’arriver. On doit s’adapter à de nouvelles méthodes de travail, à une nouvelle tactique, à de nouvelles règles de vie commune. Avant, nous avions un coach sud-coréen (Lee Tae-Hoon), qui lui aussi avait ses méthodes. Vitorino met les choses en place. Il faut qu’on apprenne tous à mieux se connaître.
Même si les résultats du Cambodge ne sont pas extraordinaires (174e au dernier classement FIFA), le stade de Phnom Penh est toujours plein pour les matchs de la sélection. Y a-t-il un gros engouement pour le foot ? Il y a un gros engouement autour de l’équipe nationale. À chaque fois que nous jouons chez nous, le stade est rempli. Contre l’Indonésie, il devait y avoir 55 000 spectateurs. En revanche, pour les matchs de championnat, c’est différent. Il n’y a quasiment personne dans les stades, sauf quand il y a un gros derby. Ici, quasiment tout est fait pour la sélection. Sincèrement, on ne manque de rien. Il n’y a rien à dire sur les déplacements, les hôtels où nous descendons, les équipements, le suivi médical, etc. C’est relativement bien organisé.
C’est différent pour les clubs ?Oui. À part certains qui disposent de moyens un peu plus importants. Il y a mon ancien club, Phnom Penh Crown, qui appartient à un groupe de casinos. Au Cambodge, les fonds sont surtout privés. Si un mec décide de mettre de l’argent dans le foot, alors ça ira. Il y aura des salaires corrects, de bonnes installations. Sinon, les clubs vont avoir plus de difficultés. Il y a des choses qui bougent ici, attention. On voit des académies ouvrir, car il y a un effort de fait sur la formation. Des clubs deviennent propriétaires de leur stade. Mais le problème, c’est que le championnat n’est pas assez compétitif. Et c’est forcément un problème pour la sélection nationale.
Le problème ne vient-il pas du fait que très peu de joueurs cambodgiens s’exportent ?Absolument. Nous sommes deux à évoluer à l’étranger : Chan Wathanaka, qui joue à Fujieda, en troisième division japonaise, et moi. Ce n’est pas que les joueurs cambodgiens n’intéressent personne. Il y a des clubs qui sont intéressés, en Thaïlande, en Malaisie, par exemple, où les championnats sont beaucoup plus relevés. Le problème, c’est que les Cambodgiens n’ont pas envie de partir. Ils sont dans leur pays, ils ont un statut : pour certains, ce sont des stars. Et ils n’ont pas spécialement envie de partir loin, là où personne ne les connaît. Sans leur famille, un élément très important dans la société cambodgienne. C’est dommage, car je suis certain que cela pourrait faire progresser le football au Cambodge.
À quoi ressemble le joueur cambodgien type ?Pas très grand. Pas très costaud non plus. Donc pour le jeu aérien et le combat physique, c’est tout de suite difficile. En revanche, il est en général doué avec le ballon. Vif et rapide, aussi.
Et il vit si bien que ça de sa passion ?Ici, le salaire minimum d’un citoyen doit tourner autour de 120 euros. Les meilleurs joueurs vont en gagner environ 1000. Les autres 500 ou 600 euros. Sans compter les primes. Tu ne vas pas faire fortune en venant ici, mais comme la vie n’est pas chère…
Venir au Cambodge, c’était un choix difficile.Non. J’avais fait le centre de formation de Strasbourg, évolué en équipe de France des moins de seize ans, avec Gilles Sunu, Alexandre Lacazette. À Strasbourg, lors de ma deuxième année, je n’avais pas été assez sérieux. Je pensais plus à m’amuser. Et je le regrette aujourd’hui. Quand j’ai quitté le Racing, j’ai joué dans les clubs amateurs en Île-de-France. J’ai aussi intégré une équipe réunissant des Français d’origine cambodgienne, entraînée par Pen Phat, qui fut un joueur puis un coach très renommé au Cambodge il y a des années. C’est grâce à cette sélection que j’ai pu signer à Phnom Penh Crown. On avait effectué une tournée en Thaïlande et au Cambodge. Ma mère ne voulait pas que j’aille vivre là-bas. Je n’avais que vingt et un ans. Elle craignait notamment pour ma sécurité. Mais en cinq ans, il ne m’est jamais rien arrivé.
L’adaptation à la vie locale, pour un jeune francilien, n’a pas été trop difficile ?Pas trop. Comme je parlais déjà khmer, ça a facilité les choses. Il y avait des joueurs d’origine cambodgienne et nés en France, comme moi. J’ai passé presque cinq ans au Cambodge. J’ai vraiment vécu une belle expérience. Humaine et sportive. J’ai joué contre des équipes comme le Japon, la Syrie, la Jordanie, j’ai voyagé dans de nombreux pays… Je n’ai pas l’intention de rentrer en France pour jouer. Ça fait d’ailleurs trois ans que je n’y ai pas mis les pieds. C’est ma famille qui venait me voir. Mais à un moment, j’ai voulu passer à autre chose sportivement. En Thaïlande, le niveau est plus relevé, le salaire plus intéressant. Et à la fin de ma carrière, je reviendrai peut-être m’installer au Cambodge et y faire quelque chose dans le foot…
Propos recueillis par Alexis Billebault