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- France-Pologne
Tactique : une Pologne aux couleurs primaires
Qualifiée de justesse grâce au but inscrit sur le gong par l’Arabie saoudite face au Mexique, la Pologne s’apprête à disputer son premier huitième de finale de Coupe du monde depuis 1986. Mais qu’a-t-elle dans le ventre ?
Dans les dernières minutes du match face à l’Argentine, Czesław Michniewicz hurle : « No foul ! No foul ! » Le sélectionneur polonais n’a pas peur de voir un coup franc dangereux tombé sur le pied gauche de Lionel Messi. Ce qui l’inquiète est de voir l’un de ses hommes recevoir un nouveau carton jaune, la Pologne étant alors à égalité parfaite au nombre de points et au goal-average avec le Mexique. Un but inscrit par l’Arabie saoudite au bout du temps additionnel le soulagera finalement et a permis aux Rouge et Blanc de se qualifier pour les huitièmes de finale de cette Coupe du monde, même si la gestion de cette dernière rencontre contre l’Argentine interroge. Regroupés dans leur moitié de terrain et très passifs, les coéquipiers de Robert Lewandowski se sont grandement exposés (3,5xG concédés) et ont quasiment accepté de jouer leur avenir à pile ou face. Par bonheur, la pièce est tombée du bon côté, même si les Polonais auraient pu être de retour à Varsovie à l’heure qu’il est si Lautaro Martínez et Nicolás Tagliafico avaient été plus méchants dans les dernières minutes. Mais comment une équipe qui a montré aussi peu de choses et n’a marqué que dans un seul des matchs de poule qu’elle a eu à disputer a-t-elle pu s’offrir cette qualification historique et l’opportunité de défier l’équipe de France, ce dimanche, à Doha ?
Intrigante sans ballon
Très vite dans ce Mondial, les hommes de Czesław Michniewicz ont d’abord fait un pari clair : ne pas se battre pour le contrôle du ballon (34% de possession en moyenne sur leurs trois premiers matchs, 30e taux de possession moyen des équipes du premier tour). Si ce choix est évidemment respectable, d’autant plus qu’il a également été fait par d’autres sélections présentes au Qatar (le Japon, l’Iran, le Maroc, l’Australie…), l’approche sans ballon des Biało-Czerwoni intrigue. Accepter de subir, pourquoi pas, mais il est alors obligatoire d’être compact et imperméable défensivement, au risque de voir les vagues s’enchaîner (50 tirs concédés dans ce premier tour, soit plus de 14 par match). La faille majeure de l’animation sans ballon de la Pologne se trouve donc dans la perméabilité de son bloc : un 4-4-1-1 où Piotr Zieliński alterne entre un premier rôle de soutien à Robert Lewandowski pour anticiper une potentielle transition offensive à jouer et un second où il vient s’insérer dans la ligne des milieux pour former une ligne de cinq. Le Mexique, l’Arabie saoudite, le Mexique : tous avaient détecté les trous à exploiter, et beaucoup de situations ont été concédées lorsque le ballon a été déplacé au large pour ensuite trouver un partenaire lancé à l’extérieur dans la profondeur ou à l’intérieur. La Pologne n’ayant ensuite ni le temps ni l’agressivité pour empêcher le centre, sa surface est souvent mise en danger.
Sur cette séquence, on retrouve le 4-4-1-1 polonais, en place pour défendre l’intérieur. Cristian Romero vient alors trouver Ángel Di María, collé à la ligne de touche…
… sur sa prise de balle, le joueur de la Juve s’oriente vers l’avant et profite de l’appel de Nahuel Molina dans le demi-espace…
… qui a ensuite toute la liberté pour centrer en retrait vers Julián Álvarez.
Heureusement pour la Pologne, la frappe du numéro 9 sera contrée par Matty Cash.
Autre situation face au Mexique : Hirving Lozano est touché sur la largeur côté droit, tandis que Héctor Herrera s’engage dans le demi-espace…
Le doyen mexicain et ancien joueur de l’Atlético est servi…
… après une bonne feinte, il a, lui aussi, tout le loisir de centrer tranquillement dans la surface au second poteau…
… mais Alexis Vega ne cadrera pas une tête qui passera tout proche du poteau de Szczęsny.
Plus que la vulnérabilité de ses côtés face à du jeu à deux et à des joueurs lancés, la Pologne est aussi en difficulté à l’heure de défendre les perforations intérieures. Particulièrement exposée dans ce secteur face à l’Argentine, elle a rencontré des profils techniquement supérieurs à ce qu’elle avait connu jusqu’ici. Des profils alors capables de porter le ballon vers l’avant pour créer des brèches, et la réponse a été difficile. Souvent trop loin du porteur, trop peu agressifs ou trop facilement éliminés, les hommes de Michniewicz ont subi jusqu’à rompre.
Sur cette situation, Alexis Mac Allister percute avec ballon sur plusieurs mètres dans la moitié de terrain adverse sans rencontrer d’obstacles face au 4-4-1-1 polonais facilement distinguable…
… jusqu’à entrer dans le dernier tiers ennemi. Il peut ainsi facilement servir Álvarez…
… l’attaquant de Manchester City s’emmène le ballon dans l’espace pour attaquer la surface et s’offre un face-à-face avec le portier polonais, qu’il perdra.
Un peu plus tard en seconde période, c’est au tour d’Enzo Fernández de profiter de l’espace gracieusement offert…
Le milieu de Benfica percute alors balle au pied vers la surface adverse…
… jusqu’à offrir un superbe ballon à son attaquant dans la zone de vérité…
… cette fois, Álvarez ne manquera pas sa chance : 2-0.
Une utilisation du ballon plutôt pâle
De l’autre côté du terrain, si certaines phases de pressing haut ont pu déboucher sur des occasions pour Lewandowski, à l’image du penalty obtenu face au Mexique ou du deuxième but inscrit face à l’Arabie saoudite, c’est principalement grâce au jeu long que la Pologne réussit à créer du danger dans la surface adverse. Son gardien, Wojciech Szczęsny, est d’ailleurs le deuxième joueur qui a parcouru le plus de mètres vers l’avant par la passe de la compétition, juste derrière l’Espagnol Rodri et loin devant le portier australien Matthew Ryan, lui aussi adepte du jeu long.
Ainsi, les Rouge et Blanc allongent souvent en direction de la tête d’un joueur offensif – Lewandowski, Milik ou Piątek – afin de disputer un duel aérien et miser sur le gain d’un second ballon pour ensuite espérer se projeter rapidement. Le reste de l’action dépend uniquement de la réussite des joueurs concernés et du placement des adversaires. De fait, la stratégie polonaise a été bien plus efficace face au bloc haut des Saoudiens que face aux Mexicains.
Face à l’Arabie saoudite, Wojciech Szczęsny allonge sur Arek Milik qui remporte son duel et parvient à dévier le ballon vers Krzysztof Piątek…
… le joueur de la Salernitana trouve ensuite Lewandowski comme relais un cran plus haut…
… l’attaquant du Barça se retourne et oriente ensuite vers le Lensois Przemysław Frankowski…
… qui ajuste un centre en une touche magnifique vers Milik au point de penalty…
… mais le coup de tête du joueur prêté par l’OM à la Juve frappera la barre. D’un but à l’autre en douze secondes.
Nouvelle séquence de jeu long face aux Saoudiens avec au départ, comme souvent, le gardien polonais…
… cette fois, c’est Robert Lewandowski qui est à la retombée et dévie le ballon vers l’avant en direction de Jakub Kamiński…
… quelques secondes plus tard, le ballon revient dans les pieds du numéro 9 polonais à la suite d’un léger cafouillage. Le Barcelonais attaque ensuite l’espace balle au pied…
… mais l’ancienne gâchette du Bayern manquera son face-à-face et rendra le ballon à Mohammed Al-Owais. Le ballon est passé des pieds du gardien polonais aux mains de celui saoudien en onze secondes.
Pour continuer de respecter l’identité d’une équipe très primaire avec ballon, la Pologne peut aussi compter sur les coups de pied arrêtés pour faire mal. Jusqu’ici non récompensé dans l’exercice, les coéquipiers de Kamil Glik ont toutefois bénéficié d’énormes situations. Tirés par le pied droit exceptionnel de Piotr Zieliński en direction des colosses que sont Glik, Kiwior, Bielik, Milik ou Lewandowski, ces phases sont des véritables situations brûlantes. Un atout qu’ils utiliseront pour sûr face à l’équipe de France, déjà sanctionnée par Andreas Christensen sur corner face au Danemark.
Coup franc pour les Polonais face à l’Argentine au retour des vestiaires tiré par Zieliński. Les coéquipiers du Napolitain investissent la surface d’Emiliano Martínez…
… malgré ses 34 ans Kamil Glik parvient à reprendre le ballon de la tête, mais ne trouve pas le cadre.
Nouveau corner bien frappé par le numéro 20 polonais face à l’Arabie saoudite, le milieu Krystian Bielik reprend le ballon de la tête et le propulse en direction du cadre saoudien…
… mais Saleh Al-Shehri dévie ce ballon in extremis. Corner en fin de match face au Mexique pour prendre l’avantage. Centre d’abord dévié au second poteau par le défenseur Jakub Kiwior…
… avant d’être repris par l’ancien Parisien Grzegorz Krychowiak, mais ce dernier ne parvient pas à cadrer cette énorme situation.
Wojciech Szczęsny rouge vif
« Quelle est la clé pour stopper Kylian Mbappé ? Moi-même. » Oui, Wojciech Szczęsny est un type du genre plutôt cash. Si cela peut paraître prétentieux, les statistiques donnent raison à l’ancien gardien d’Arsenal sur ce début de compétition avec 16 arrêts et 2 petits buts encaissés. Selon les statistiques avancées, Szczęsny a surtout réussi à éviter un peu plus de quatre buts à son équipe (6,3xG cadrés subis) et a sauvé deux penaltys. Le portier polonais est sans aucun doute LE gardien de ce début de Mondial, et il est même possible de l’habiller en héros de l’historique qualification polonaise.
Les Biało-Czerwoni, qui disposent quasiment d’une référence par ligne en la présence de leur ultime rempart dans les cages, de Zieliński au milieu et de Lewandowski devant, condamnent toutefois leur portier à répéter les exploits, tant les deux autres sont placés au cœur d’un marasme collectif, qui n’exploite que très peu leurs fortes qualités. Une situation d’ailleurs confirmée par le sélectionneur polonais lui-même : « Je n’ai pas les joueurs pour faire le jeu. » En conséquence, direction le laga, unkick and rush à la polonaise, alors que l’histoire est aussi du côté des Bleus, invaincus depuis sept matchs face à la Pologne. Il faut remonter jusqu’à 1982 pour trouver trace d’une victoire des Rouge et Blanc sur l’équipe de France (4-0). Après un match décevant face à la Tunisie avec un onze remanié et une animation bancale, le « deuxième tournoi » si cher à Didier Deschamps commence enfin, dix-huit mois après être passé à la trappe à l’Euro contre la Suisse. Un autre piège se présente ce dimanche : un piège plus faible sur le papier, mais…
Par Matthias Ribeiro