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Tactique : Ousmane Dembélé, le bras multiple
Titularisé pour la deuxième fois de suite dans ce Mondial, le joueur du Barça a sans doute rendu, samedi soir, à Doha, la copie internationale la plus complète de sa carrière lors de la victoire des Bleus face au Danemark (2-1) et a symbolisé les corrections faites par une équipe de France qui commence à écrire sa petite histoire.
« Franchement ? Ouais ! Je regarde les matchs du Barça de temps en temps et je le vois défendre, mais pas autant ! Il en a récupéré des ballons, hein. Aujourd’hui, sur le volume, il m’a vraiment impressionné. » Rires dans les rangs, rire sur le visage d’Aurélien Tchouaméni et rire sur la trombine de l’homme qui a scotché le numéro 8 des Bleus, samedi soir, sur un gazon de Doha.
À savoir : un type qui facture aujourd’hui 25 ans, qui fascine autant qu’il intrigue depuis qu’il a déboulé dans le circuit, qui vole souvent comme un papillon et dont la moindre touche de balle peut offrir un aller simple vers le sol à n’importe quel adversaire direct. Il se murmure que le premier jour où il a échangé il y a quelques années avec Frédéric Née, alors entraîneur adjoint en charge des attaquants au Stade rennais, et qu’il lui a été demandé quel était son pied fort, ce drôle de bonhomme s’est mis à rire. Tout ça parce qu’en réalité, « il sait tout faire avec les deux pieds et avec toutes les surfaces » comme l’expliquait fin 2016 l’ancien vainqueur de la Coupe des confédérations 2001 à So Foot.
Après l’avoir affronté lors des séances du début de rassemblement, Axel Disasi, jeune bizuth du groupe France actuellement au Qatar, a, de son côté, versé le témoignage suivant au dossier : « Je peux vous dire que ses crochets… c’est vrai ! » Le même jour, Youssouf Fofana, coéquipier de Disasi à l’AS Monaco, est venu parler d’un « danger permanent dans les 30 derniers mètres. On est en face et on ne sait jamais s’il va aller à droite ou à gauche. On ne sait pas où l’emmener, on ne sait pas quoi faire. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut pas le laisser prendre de la vitesse, sinon c’est trop tard pour le rattraper. » Et il ne reste alors bien souvent plus qu’à constater : au cours d’une victoire longue à se dessiner, même difficile à arracher, mais dont les ressorts racontent beaucoup des ressources internes de l’équipe de France venue au Qatar pour défendre sa couronne mondiale, Ousmane Dembélé a été très difficile à mettre en cage et aura été un poison permanent pour des Danois qui ont finalement dû laisser les Bleus piétiner la malédiction accrochée aux pieds des champions sortants depuis 2010. Il est même possible de dire que, dans le sillage d’une performance collective enthousiasmante symbolisée par un Antoine Griezmann une nouvelle fois incandescent, le trentième raout international de la vie du natif de Vernon a été son plus riche et son plus complet. Une surprise ? Plutôt la confirmation de ce que la rencontre face à l’Australie et les premiers jours qataris de la dynamite du Barça avaient laissé filtrer.
« Une Ferrari, sinon plus »
Questionné sur Dembélé lors de l’apéro médiatique qui a précédé le succès des Bleus (2-1) contre un Danemark qui l’avait séché à deux reprises ces derniers mois, Didier Deschamps y était allé de ses compliments : « Il y a des joueurs offensifs capables de bien défendre, et Ousmane a énormément progressé sur cet aspect. Il a des demandes plus importantes dans son club et on travaille aussi ici pour qu’il progresse encore dans son placement afin d’avoir des efforts moins importants à faire. Contre l’Australie, il a eu quelques petites failles que je lui ai dit de corriger, mais aujourd’hui, c’est un joueur plus construit, plus mature. Le fait qu’il ait joué le premier match titulaire d’entrée le confirme. Il a eu des événements dans sa vie sportive, des blessures, mais il est mieux et il a toujours cette capacité à créer d’énormes problèmes à l’adversaire avec sa percussion. Il faut laisser ce type de joueur être le plus efficace possible. » Cela implique, et on l’a déjà vu contre l’Australie, de penser son animation pour justement maximiser cette efficacité. Ainsi, quatre jours après les premiers coups de fusil de l’équipe de France dans cette Coupe du monde, on a retrouvé samedi soir un fil directeur commun lors des phases avec ballon.
Soit une sorte de 3-2-4-1, que les hommes de Deschamps ont déployé dès l’entrée de Theo Hernandez à la place de son frère face aux Socceroos, dans lequel le latéral droit – Benjamin Pavard mardi, Jules Koundé samedi – se réaxe aux côtés des deux centraux, transformant alors l’intégralité du couloir en terrain de jeu pour Ousmane Dembélé. « Je dois être écarté, prendre les duels, jouer les un-contre-un, créer du danger, tenter des passes risquées, apporter du mouvement, profiter de ma liberté », décryptait l’intéressé mercredi dernier. Samedi soir, cela a, entre autres, débouché sur 43 ballons touchés, 3 occasions créées, 3 dribbles réussis (sur 6 tentés), 2 centres réussis (sur 3 tentés), mais on a surtout vu les Bleus tout mettre en œuvre pour que Dembélé puisse s’éclater en penchant notamment la plupart du temps leur tête à gauche (Theo Hernandez est d’ailleurs le joueur français qui a touché le plus de ballons).
Comme face à l’Australie, l’équipe de France a, en effet, concentré une grande majorité de joueurs côté gauche de façon à faire coulisser le 5-4-1 danois et à isoler Ousmane Dembélé…
Cette séquence en est une représentation parfaite, et une fois le bloc danois fixé, Kylian Mbappé va tourner le jeu vers Dembélé…
… qui, collé à la ligne, se retrouve dans sa situation préférentielle avec du temps pour créer et de l’espace pour s’empiffrer.
Damsgaard a beau venir aider Mæhle, Dembélé va prendre techniquement le dessus…
… et pouvoir trouver Olivier Giroud, dont la tête finira largement à côté.
Plutôt à l’aise dans son association avec Benjamin Pavard contre l’Australie, Dembélé, qui n’a pas hésité à venir dézoner pour dialoguer avec Mbappé, a cette fois retrouvé son partenaire au Barça, Jules Koundé, qui, s’il n’a pas toujours été adroit balle au pied (17 ballons perdus !), lui a ouvert des espaces et est parfois venu le relayer pour emmêler les fils d’un Joakim Mæhle en souffrance.
C’est ce qu’on a notamment vu peu après la demi-heure de jeu où, trouvé par Upamecano devant Damsgaard, Dembélé va pouvoir utiliser le positionnement d’Antoine Griezmann, venu occuper Victor Nelsson, et Jules Koundé…
… qui va pouvoir lui remettre en profitant de Mæhle dans un entre-deux et d’un leurre qu’est ici Griezmann…
… et ainsi lancer Koundé pour un centre qui sera repoussé par Kristensen.
Quelques minutes plus tard, autre situation : après avoir de nouveau fixé le bloc danois côté gauche et basculé côté droit, Koundé trouve Dembélé avant d’attaquer le dos de Mæhle…
… Dembélé peut alors attaquer l’intérieur…
… enchaîner les crochets…
… puis basculer vers Mbappé qui, en une touche, trouvera la tête de Giroud.
Enfin, mais on ne l’a que trop rarement vu sur les deux premiers matchs des Bleus, Dembélé a parfois attaqué les espaces offerts dans la profondeur, ce qui est d’autant plus important face à une défense à cinq, comme sur cette ouverture d’Upamecano…
… et au bout, il a même trouvé Mbappé, qui a dévissé sa tentative.
S’il n’a parfois eu besoin de personne pour faire un feu, comme lorsqu’il a intercepté une passe foirée de Cornelius (6e) dans la surface française et l’a transformée en ascenseur qui a ouvert ses portes devant la surface danoise, et s’il a souvent reçu l’aide de Griezmann pour se connecter, on pourra regretter ses quelques appels tranchants qui auraient pu être exploités à la récupération du ballon. Cet ensemble a quand même confirmé une chose : le bolide avance bien avec un corps au top. « Et ça fait toute la différence, est venu glisser après la rencontre Martin Braithwaite, qui a connu Dembélé au FC Barcelone. Avant de partir du Barça, je le voyais déjà travailler beaucoup à la gym, et ça a payé : aujourd’hui, il peut pleinement utiliser ses énormes qualités. »
Mathieu Le Scornet, l’actuel adjoint de Julien Stéphan à Strasbourg, qui a connu l’international français lors de ses années de formation au Stade rennais, appuie : « Il a eu une prise de conscience. Le souci des joueurs surdoués, ce qu’est Ousmane, c’est qu’ils savent que ça va tout le temps finir par revenir, sauf que le haut niveau, c’est au quotidien, chaque week-end et encore plus au Barça, où il faut gagner tous les matchs. Le fait d’être souvent blessé l’a affecté psychologiquement et il a revu des choses de son quotidien. C’est le ciment de ce qu’on voit aujourd’hui. Il a solidifié ses qualités exceptionnelles, il a pris goût à prendre soin de sa mécanique, de son moteur. Avant, il avait juste à appuyer sur la pédale et ça répondait, peu importe la qualité de son huile moteur, mais il a compris que le foot, c’est aussi une préparation en amont. Il est passé au niveau supérieur du professionnalisme, et là, on a affaire à une Ferrari, sinon plus. »
Le retour du bloc
Reste qu’après le match face à l’Australie, il existait des inquiétudes au sujet de l’animation sans ballon d’une équipe de France qui semblait toujours autant en difficulté pour organiser son pressing et qui avait laissé plusieurs portes ouvertes dans une structure fragile. Il était donc impératif, samedi soir, de retrouver de la compacité, et sur ce point, la première période livrée par les Bleus a été un modèle du genre : 0,05xG seulement pour le Danemark, aucun tir concédé avant la 36e minute, un bloc étiré sur une petite vingtaine de mètres seulement… Après une belle passe trouvée par Nelsson vers Lindstrøm (3e) et une belle projection d’Eriksen dans le dos de Griezmann (7e), l’équipe de France s’est en effet rapidement réglée pour oppresser au maximum les poumons danois (Eriksen et Højbjerg) avec l’aide précieuse d’Olivier Giroud qui n’a rien caché après la rencontre : « Ça a été un match assez difficile, comme on pouvait s’y attendre, mais on a bien respecté le schéma. On leur a posé des problèmes en restant bas, compacts, et ils n’ont pas été dangereux en première mi-temps. »
Après quelques minutes pour se régler, on a vu l’équipe de France s’articuler dans un 4-4-2 où Kylian Mbappé est très souvent resté en menace pour jouer une éventuelle transition et où le duo Giroud-Griezmann a principalement travaillé pour fermer l’accès à Eriksen et Højbjerg.
Nouvelle photographie du bloc, bien compact, avec Dembélé dans un rôle de milieu droit/relayeur droit en fonction des phases, chargé de fermer l’accès au demi-espace gauche avec Tchouaméni et de basculer vers le piston lorsqu’il est recherché.
Dans cette configuration de match, plusieurs éléments – Griezmann encore dans tous les recoins et qui a récupéré six ballons, Rabiot de nouveau tentaculaire, et Tchouaméni monté d’un cran – se sont régalés. De plus, l’équipe de France a été aidée par un Danemark dont les centraux, notamment Nelson et Andersen, ne sont jamais venus fixer ou dédoubler pour engendrer du trouble dans l’organisation bleue. Il a cependant fallu surveiller une zone déjà visée avec excès lors des précédents dîners avec les hommes de Kasper Hjulmand : le dos de Kylian Mbappé, que les Danois, gênés par la densité mise à l’intérieur, ont cherché à atteindre par de nombreux renversements.
Séquence preuve qu’un micro-espace laissé à Eriksen peut être très dangereux. Ici, Giroud a fait « l’effort » de se placer côté gauche, mais est passif… Kristensen peut donc être touché.
… Même situation ici, où Nelsson a eu le temps de tourner le jeu vers Kristensen…
… dans ces situations, Rabiot est venu serrer vers Højbjerg, et Hernandez est sorti sur Kristensen : en cas de lancement de Lindstrøm, Upamecano est parti couvrir, très souvent avec succès.
Soutenus par un Upamecano royal pour couvrir le dos de Theo Hernandez ou pour sortir haut sur un adversaire direct lorsque le jeu le demandait, les Bleus l’ont aussi été par Ousmane Dembélé, bluffant dans son investissement défensif, ce qui n’était pas donné face à Mæhle, qui a fini le dernier Euro avec l’étiquette de deuxième plus gros dribbleur du tournoi. Samedi soir, il en a tenté trois et n’en a passé aucun.
Koundé ayant souvent été occupé par Damsgaard, Dembélé a eu la charge de surveiller Mæhle tout au long de la soirée et a longtemps été parfait.
Toujours impliqué, il a, par exemple, sorti ce tacle sur Mæhle…
… et anticipé ce renversement classique de Christensen…
… pour gagner ensuite son duel.
Jamais pris à défaut en première période, Ousmane Dembélé a, en revanche, été impliqué sur la seule frappe danoise cadrée dans le jeu qu’Hugo Lloris a eu à gérer. Une frappe qui est intervenue au cours d’une drôle de période d’un peu moins de dix minutes où l’équipe de France est sortie temporairement de son cadre et où Dayot Upamecano a notamment perdu l’un de ses premiers duels en couverture, ce qui a amené un autre coup de chaud sur le but de Lloris. La Coupe du monde restant la Coupe du monde, la punition a été immédiate : Christian Eriksen a d’abord profité des replis de plus en plus passifs des offensifs français, puis le Danemark, monté d’un cran après l’entracte, ce qui lui a certainement coûté le 1-0, a égalisé sur corner (forcément), avant de pousser jusqu’à ce que Didier Deschamps ne choisisse d’envoyer Kingsley Coman, décisif sur le deuxième but de Mbappé, qui a gagné en efficacité au fil de la rencontre (sa première période n’a pas été grandiose), prendre avec succès la suite de son pote du couloir droit.
La seule tache de la nuit d’Ousmane Dembélé : alors que Rabiot est en place, l’ailier français va se décider à sortir sur Eriksen…
… qui va décaler Mæhle avant d’ouvrir vers Damsgaard dans le dos de Koundé…
… et frappe de Lindstrøm qu’Hugo Lloris va devoir sauver.
En fin de match, Coman a parfaitement relayé Dembélé, notamment sur le 2-1, qui démarre sur une attaque de la profondeur et une ouverture de Koundé…
… en bout de course, Coman va finalement crocheter Mæhle…
… Griezmann va ensuite récupérer le ballon et trouver Mbappé au deuxième poteau.
Cette soirée a aidé l’équipe de France à mieux se connaître, a renforcé l’idée qu’elle possède des talents qui peuvent lui permettre de terrasser n’importe qui (elle a tiré 44 fois en deux rencontres), mais aussi qu’elle tient un couloir gauche Hernandez-Mbappé torride. On pourra quand même regretter ces quelques étourderies défensives, certaines phases de relance (26e) et cette parenthèse dans le flou. Il lui faudra aussi se souvenir de la qualité sans le ballon des 45 premières minutes, même si on se dit qu’une équipe plus vive pourrait mettre à sac les espaces laissés dans le dos de Kylian Mbappé. Pour le moment, Deschamps tient surtout une chose précieuse pour la suite du tournoi : une force collective, un esprit tenu par des chiens, ce qui n’a pas de prix pour l’avenir.
Il tient aussi un Ousmane Dembélé adulte, repère pour tous les joueurs du groupe, qui a sorti une prestation majuscule avec tout ce qui le fait avancer – le cœur et la duperie – et que son ancien entraîneur, Yannick Menu, regarde avec ces mots : « Ousmane aime le foot et le jeu. Quand il est dans certaines situations, je revois ce qu’il faisait déjà à 14-15 ans : ses feintes, ses crochets, sa recherche du duel dans la surface… Il continue de faire tout ça, mais un peu plus vite, un peu plus fort, et a progressé dans les rythmes de jeu, les temps de possession. Il joue beaucoup plus large, on le recherche maintenant face au jeu. En quatre ans, il s’est servi de ses expériences et il ne faut pas oublier qu’il n’avait que 21 ans en 2018. Je trouve qu’il est devenu plus terrien en changeant un peu de gabarit, un peu moins aérien, mais qu’il a gardé son dynamisme. Son parcours lui a permis d’associer différentes qualités de jeu et on a aujourd’hui un joueur prêt à assumer un rôle important dans cette sélection. » « Aujourd’hui, il a recentré son attention sur des actions plus précises, poursuit Le Scornet. Il a compris qu’il avait des choses à épurer, et maintenant, dans sa tête, un ballon veut dire performance. Il reste dans la feinte, la surprise, l’incertitude pour l’adversaire, le contre-pied, mais il cherche à ce que cette feinte lui donne un temps d’avance. Maintenant qu’il a progressé dans les dernières passes, il ne reste que le dernier geste, où il doit encore progresser. » Auteur de seulement cinq buts cette saison avec le Barça, où ses progrès en sortie de dribble, dans l’impact défensif et dans la dernière passe (sept passes décisives toutes compétitions confondues) ont quand même été notables, Dembélé en a bien conscience et l’a dit il y a quelques jours, affirmant sa volonté d’être un « protagoniste, de marquer et faire marquer » dans ce Mondial. Ce n’est qu’un début, que la fête continue.
Par Maxime Brigand, à Doha
Tous propos recueillis par MB, exceptés ceux de Le Scornet et Menu, par Clément Gavard.