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Tabanou, un destin à l’instinct

Par Adrien Candau et Adrien Hémard
Tabanou, un destin à l’instinct

Après s'être paumé à l’étranger à Swansea, puis en prêt à Grenade, Franck Tabanou est discrètement revenu en Ligue 1 cet été du côté de Guingamp. Le retour d'un écorché vif, qui se laisse surtout guider par ses intuitions. Avec, en fil rouge, cette volonté de foncer quoi qu’il arrive à l’abordage. Et toujours depuis son coté gauche.

Plus jeune, il raconte qu’il lui était quasiment impossible de forcer sa nature. « Enfant, j’étais nonchalant, difficile à motiver avant un match. » Franck Tabanou n’a jamais été d’un genre calculateur. Dans la vie comme à l’entraînement, son instinct lui souffle d’aspirer à la tranquillité, parfois un peu trop au goût de ses formateurs et entraîneurs successifs. Pour finalement lui permettre de lâcher la bête en match, dans un mélange d’inspirations osées et d’impulsivité.

Son instinct, justement, constitue à la fois sa plus grande force et sa plus grande faiblesse. Il permet d’abord à ce natif de Thiais, en région parisienne, de sortir immédiatement du lot dans le club de son enfance, l’AS Choisy-le-Roi. « Si je me souviens bien, il est arrivé en U13 chez nous. C’était la première fois qu’il jouait dans un club, rembobine Yamina Akabi, l’une des responsables du club francilien. On voyait qu’il était fort, technique, mais il avait aussi un truc… imprévisible. Je me souviens d’une frappe monstre qu’il avait décochée, ça avait fait trembler les poteaux, un truc qu’on ne voit vraiment pas souvent chez les gosses. » Lors de sa dernière année au club, Tabanou, un peu trop facile pour évoluer avec les gamins de son âge, est même surclassé : « Il jouait dans la même équipe que moi, celle de la génération 1987, lui qui est de 1989, se souvient Romain Tulliaud, responsable technique à l’AS Choisy. Il croyait en ses qualités, il avait déjà envie de passer professionnel. » Son souhait semble alors exaucé quand le Havre lui propose d’intégrer son centre de formation. Mais l’expérience s’avérera être l’un des échecs les plus cuisants et douloureux de sa carrière de joueur.

L’impasse havraise

Car en Normandie, Tabanou va morfler. Encore aujourd’hui, il reste évasif quand on lui demande de parler de cet épisode de sa carrière, se bornant à déclarer pudiquement que « Le Havre ne l’a pas conservé » . L’exigence et la concurrence quotidienne du centre de formation du HAC offrent alors un contraste saisissant avec l’environnement familier auquel il avait été habitué. « Plusieurs choses se sont mal goupillées… Je crois me souvenir qu’il avait eu une grosse blessure. Mais, surtout, il m’avait dit que la chose la plus dure pour lui avait été de quitter sa famille » , se souvient Yamina Akabi. À quinze ans, le constat d’échec est là, amer. Tabanou, de retour chez lui à Thiais, sait qu’il ne passera peut-être jamais pro. Mais il n’arrête pas le football pour autant, en jouant un an au CFF Paris « juste pour le plaisir » , où il casse la baraque. Ce qui lui vaut d’être à nouveau repéré, cette fois-ci par les recruteurs de Toulouse, prêts à lui donner une seconde chance. Mais Tabanou hésite. Son passif, la peur d’un nouvel échec, le font douter : « Quand Toulouse m’a contacté, j’ai hésité à aller chez eux. Je ne voulais pas être encore déçu… Il y avait la famille aussi… Mes parents se sont toujours beaucoup investis pour m’aider à réussir. Quand j’ai échoué au Havre, ça a été très dur pour eux. J’étais peut-être même plus déçu pour eux que pour moi. »

Docteur Franck et Mister Tabanou

Pourtant, ses craintes se dissipent rapidement, et l’adolescent se décide à franchir une nouvelle fois le pas. C’est même avec une réputation « de joueur revanchard » que Tabanou débarque au TFC, selon Jean-Marc Philippon, alors responsable du centre de formation du club. Une période cruciale pour le joueur, durant laquelle son caractère, sur comme en dehors du pré, achève de se dessiner. « C’était un gamin assez caractériel, qui pouvait s’enflammer, dans le sens où il ne supportait pas l’injustice, se souvient Jean-Marc Philippon. Il n’aimait pas qu’on lui reproche des choses devant les autres, surtout parce qu’il avait échoué au Havre, je pense… » Pour l’aider à s’épanouir, l’éducateur laisse alors Tabanou exprimer, sans trop de restrictions, son registre de milieu de terrain spontané et fantaisiste, dont le pied gauche constitue la meilleure des armes : « Si Franck a réussi chez nous, c’est peut-être aussi parce que c’est la première fois qu’on ne lui reprochait pas de tenter des choses. Il essayait des trucs que les autres n’osaient pas. Je pense qu’il croyait énormément en lui. Chez les jeunes, je le voyais dribbler sur trente mètres ou enchaîner les frappes de loin malgré son physique léger. Il avait le goût du risque donc. Il pouvait aussi passer pour quelqu’un de présomptueux parfois. » Pourtant, entre deux entraînements ou matchs, Philippon se rappelle plutôt d’un « gosse qui ne se laissait pas faire, mais finalement assez timide » . Signe aussi que Franck Tabanou n’est pas tout à fait le même homme sur un terrain de foot qu’ailleurs. Le joueur l’avait d’ailleurs concédé peu après son arrivée à l’AS Saint-Étienne en 2013 : « Franchement, je ne suis pas du tout nerveux dans la vie… J’ai limite un côté je m’en foutiste. Mais c’est tout le contraire sur le terrain. Je suis très compétiteur et super mauvais joueur. Certains joueurs savent reconnaître quand l’adversaire a été plus fort… Pas moi. »

Le chemin vert

Les années de formation de Tabanou mettent également en relief les défauts qui lui seront reprochés quand il évoluera à l’échelon professionnel avec le TFC. Le Francilien sera souvent caractérisé comme un joueur capable de fulgurances techniques, mais aussi nerveux – en attestent ses nombreux cartons rouges évitables – et très irrégulier. « Son problème, c’était la constance dans le jeu et l’endurance, on le voyait parfois faire un coup d’éclat puis disparaître » , poursuit Philippon. Le rendu inégal de ses performances n’empêchera néanmoins pas Tabanou de débuter en équipe première du TFC à vingt ans, en mai 2009, face à l’OM, au Vélodrome : « Je suis entré à la 78e minute, et à la 83e, j’étais mort. Je courais partout, comme un gosse. Un souvenir exceptionnel. » Il s’affirme ensuite comme l’un des joueurs les plus prometteurs de la génération dorée de Toulouse, avant de quitter les Violets pour Saint-Étienne en 2013, après une dernière saison plus délicate. « Il avait un petit peu perdu la joie de jouer à Toulouse. Franck était à la croisée des chemins et je crois qu’il a fait le bon choix en rejoignant Saint-Étienne » , expliquait alors l’ancien joueur de Toulouse et des Verts, Pascal Despeyroux, qui avait conseillé au joueur de signer à l’ASSE.

Chez les Verts, le gaucher continuera de s’affirmer et de progresser malgré des débuts un peu prise de tête, au sens littéral du terme. « Quand il est arrivé à Saint-Étienne, son premier entraînement était à Geoffroy-Guichard pour une veille de match, se souvient Jessy Moulin, le portier de l’ASSE. Je l’ai emmené en voiture avec Jean Pascal Mignot. Pendant l’entraînement il a voulu faire une retournée et il est tombé sur la tête. Au retour, on a fait les cons comme jamais dans la voiture avec Jean Pascal, et lui était derrière, stoïque. Il ne parlait pas, ne souriait pas non plus. On s’est dit qu’il avait l’air bien chiant, le nouveau ! Mais en arrivant, on s’est aperçu qu’il avait fait un traumatisme crânien… Il avait tout oublié. C’est pour ça qu’il ne rigolait pas en fait. Du coup, il a fait un petit scanner et quelques heures plus tard tout est rentré dans l’ordre. » Christophe Galtier décide aussi de l’aligner latéral plutôt que milieu gauche, son poste de prédilection. « Il ne l’a pas super bien pris au début, il était un peu vexé, poursuit Moulin. Mais il s’y est fait, il a pris ses marques et, quand il s’est rendu compte qu’il était bon à ce poste, il a commencé à y prendre du plaisir. » Finalement à l’aise dans son nouveau rôle, Tabanou déroule chez les Verts, jouant plusieurs rencontres de C3 et alignant près de 65 matchs de Ligue 1 en deux saisons. Mieux, Franck se fond comme il se doit dans le vestiaire stéphanois et enchaîne les parties de cartes entre deux entraînements. « Franck s’entendait particulièrement bien avec toute la team tarot, et traînait souvent avec Brison, Perrin ou moi. Mais bon, pour le tarot, il jouait à l’instinct on va dire, il n’était pas très bon » , se marre Moulin.

Franck le Français

En janvier 2016, Mister T est transféré à Swansea, où il compte bien « franchir un palier » dans sa carrière. Too bad, son expérience à l’étranger sera un échec cuisant. Son temps de jeu est famélique, et Tabanou broie du noir. Peut-être aussi parce qu’au fond, avec sa raie sur le côté, ses oreilles dégagées et son accent de titi parisien, Franck Tabanou est un type un peu trop frenchypour s’épanouir outre-Manche. Le joueur confiera lui-même à L’Équipe être arrivé au pays de Galles « à la française. Je n’étais pas à fond à l’entraînement. Je ne suis pas un mec qui va mettre l’intensité maximale lors des séances… » Une expérience qui casse la phase ascendante de sa carrière. « À Sainté, j’avais acquis de la confiance… Là, elle disparaît un peu. » Après un retour en prêt de six mois à Saint-Étienne, puis un autre bail d’un an à Grenade, Tabanou et Swansea décideront finalement de se séparer d’un commun accord. La suite ? Une signature à Guingamp cet été, pour tenter de relancer la machine. Quasiment privé de temps de jeu en Espagne, le latéral n’est pas encore prêt physiquement pour évoluer avec l’équipe première. Mais Antoine Kombouaré a fait savoir qu’il comptait sur lui : « Il aura sa chance… C’est un joueur qui a un vécu, qui connaît bien la Ligue 1. Et, surtout, c’est un garçon revanchard. » La dernière fois que Tabanou avait débarqué dans un club avec un tel état d’esprit, c’était à Toulouse. Avec le succès qu’on connaît. Le Roudourou a donc le droit d’espérer voir l’un de ses caramels très prochainement. Du gauche, évidemment.

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Par Adrien Candau et Adrien Hémard

Propos de Jessy Moulin, Jean-Marc Philippon, Yamina Akabi et Romain Tulliaud recueillis par AC et AH

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