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Strasbourg-Guingamp : une certaine idée du foot français

Par Nicolas Kssis-Martov
Strasbourg-Guingamp : une certaine idée du foot français

Ce soir à Lille, Strasbourg rencontre Guingamp en finale de la Coupe de la Ligue. Une affiche que personne n’attendait, et c’est déjà un bon point. Et si la LFP, qui essaie désespérément de vendre sa compétition, peut pleurer devant l’absence des stars parisiennes, le foot français peut en revanche se féliciter d'y présenter un autre visage, plus près du peuple et loin des déceptions européennes.

Il faut commencer par une évidence. Pour que la Coupe de la Ligue gagne en saveur, elle a dû nous servir les mêmes recettes que la Coupe de France. Ce choc entre le 10e et le 18e de la Ligue 1, probablement en route vers les barrages (au mieux), n’était en effet pas vraiment le programme prévu et surtout pas la raison d’être de la compétition « phare » de la LFP. Et ne parlons même pas de budgets, cela risque de devenir gênant. Pour l’édition 2018-2019, il a donc fallu des exploits, des matchs de bûcherons et de forains, faire tomber des têtes – grande tradition républicaine –, pour que l’Alsace rencontre la Bretagne quelque part dans le Nord. Une improbable géographie hexagonale du ballon rond s’est ainsi redessinée à la périphérie de l’axe PLM (Paris-Lyon-Marseille).

L’alignement des astres…

Certes, les mauvais esprits dénigreront l’événement. C’est presque trop parfait. Deux petits clubs, mais historiques. Strasbourg qui serait mort sans le dévouement de ses supporters et la persévérance de son président Marc Keller, un fils de l’Heimat. Un Racing qui ressuscite parmi l’élite sous la houlette de Thierry Laurey, prototype de l’humilité et du sens du devoir (dont le seul titre, toutes carrières confondues, reste celui de champion de L2 avec le RCSA). Un bonhomme qui est là « pour faire monter ses joueurs sur les arbres » et qui explique dans L’Équipe son plaisir d’avoir « retapé une belle voiture de collection » , plutôt que de se voir offrir une Ferrari. En face, Guingamp, la maison du président Le Graët, son passé rouge et noir de bastion « de gauche » (qui se souvient de Paul Guézennec, un de ses anciens dirigeants, communiste et résistant FTP) au cœur de cette région longtemps solidement catholique et conservatrice. Aujourd’hui emmené par Jocelyn Gourvennec, pur produit du breizh soccer, et qui a pris l’habitude des miracles (il a remporté la Coupe de France en 2014 avant que le PSG ne mette la main dessus).

C’est donc peu dire que dans la France des Gilets jaunes et de Neymar, ce match raconte un autre foot, où les noms des joueurs passent encore derrière celui du club (même si Kenny Lala ou Jérémy Sorbon s’en sont fait un petit). Un foot pro, certes, qui demeure proche de chez vous. Une Ligue 1 pour qui l’Europe, c’est d’y arriver, et pour qui un huitième de finale a des allures d’épopée homérique. Une Ligue 1 française, non pas en ce terme si dévoyé d’identité, mais de spécificité, d’histoire et surtout de communion. Sans comparer les événements, on retrouve un peu la même sensation, le même affect qui s’est exprimé chez les supporters nantais lors du décès tragique d’Emiliano Sala, qui incarnait également à sa façon cette conception d’un foot de proximité, en tout cas pas inaccessible, à l’horizon humain.

Liberté, égalité, Ligue 1

Une Ligue 1 où l’on croit encore suffisamment par exemple dans les valeurs de Marianne pour trouver normal de refuser les inégalités trop criantes et l’arrogance des puissants. Que disait d’autre Thierry Laurey en défendant son joueur coupable de lèse-majesté après une rencontre contre Paris : « Assumer, quelquefois, c’est prendre quelques coups. Je comprends que mes joueurs en aient marre de voir des joueurs qui cherchent à les chambrer, à les narguer. Il a le droit aussi à un moment donné de se faire attraper. Ce n’est pas interdit. Je veux bien qu’on protège les gens, mais il y a des limites aussi. »

Beaucoup de clichés, de phrases toutes faites et de marronniers pour journalistes flemmards qui aiment manipuler les références et les fiches Wikipedia ? Probablement. Probablement que ce match relève lui aussi d’un storytelling jusqu’à se jouer dans l’une des rares enceintes pas encore bouffées par le naming, affichant le patronyme d’un ancien premier Ministre socialiste des années 1980 (pour le vintage). Il existe aussi une pure dimension sportive. Surtout du côté de l’En Avant où, comme le confie son entraîneur, « la Coupe de la Ligue nous a redonné de l’estime de nous-mêmes » . Il s’agit ensuite de se maintenir pour jouer les barrages et éventuellement s’accrocher en Ligue 1, et les revenus qui vont avec. De son côté, pour le Racing, qui fête les 40 ans de son unique titre de champion de France, décrocher un nouveau trophée, voire l’Europe, permettrait de consolider son installation dans l’élite, et ses finances (en augmentant son attractivité lors des mercatos).

C’est trop beau pour être vrai ? Cependant le foot français en a besoin. Besoin de savoir que son existence ne se résume pas aux psychodrames parisiens en Ligue des champions ou au destin de Bruno Genesio. Que son rapport au pays s’écrit aussi par les petites mains et les modestes pieds du ventre mou. Alors que se négocie dans les couloirs de l’UEFA la future Super Ligue, la nation de Robespierre et de Kopa se devait de nous rappeler que le foot appartient à tout le monde.

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