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Stop the clocks

Par Maxime Brigand
Stop the clocks

C'était en 2006. Au sommet, au stade de France, pour soulever ce que les Anglais appellent la « Coupe aux hautes épaules ». Arsenal affrontait Barcelone pour ce que l'Europe du foot proposait de mieux cette année-là. Tout était parfait, jusqu'à cette dix-huitième minute de jeu. Jusqu'à une main de Lehmann dans la patte gauche de Samuel Eto'o. Retour sur la minute la plus cruelle de l'histoire de deux hommes : Jens Lehmann et Robert Pirès. Souvenirs croisés.

Il est seul. Absolument tout seul, le regard planté, comme enfoncé dans une pelouse qu’il ne connaît que trop bien. Ce jour-là, et certainement pour la seule fois de sa carrière, il ne détournera pas le regard. Comme pour refuser l’évidence. Thierry Henry reste debout, immobile, aux côtés de son guide. Le père d’une génération qui a perdu le sourire, dans une chemise entrecoupée d’une cravate rouge. Le rouge et le blanc. Les couleurs d’une famille, de sa famille. Celle qu’il rêvait ce soir-là, chez lui à Paris, de porter sur le toit de l’Europe. Avec ceux qu’il appelait affectueusement ses enfants. Arsène Wenger est à côté de son capitaine, face à la tribune présidentielle du stade de France et assiste au soulevé de Carles Puyol. Arsenal vient de perdre une bataille qu’il contrôlait. Henry avait allumé d’entrée par deux cartouches les gants de Víctor Valdés, Sol Campbell avait même ouvert le score d’un coup de crâne. Avant de craquer dans le dernier quart d’heure et après avoir lâché lors du premier. Lors de la dix-huitième minute de cette finale de Ligue des champions 2006 devant près de 80 000 personnes. Le FC Barcelone vient d’être sacré roi d’Europe pour la seconde fois de son histoire. Jens Lehmann, lui, n’a rien vu du sacre.

« J’aurais dû laisser Eto’o marquer »

Le gardien allemand des Gunners est assis, dans les couloirs du stade de France. Loin de ses potes, loin de la troupe d’invincibles. « Je pense que c’est le pire moment de ma carrière. De loin. Ce jour-là, j’ai fait une connerie. J’aurais dû laisser Eto’o marquer, ou l’arbitre aurait dû laisser le but du Barça. Personne n’aurait dû être expulsé » , explique aujourd’hui Jens Lehmann. Au cœur de cette action, un homme habillé en noir : Terje Hauge. Et un carton rouge, levé au visage de Lehmann. Quelques instants plus tôt, le gardien d’Arsenal a laissé traîner son bras sur la patte gauche de Samuel Eto’o. Le ballon a continué sa course, Ludovic Giuly a ouvert le score, mais M. Hauge a arrêté l’action. Pour donner un coup franc au Barça et expulser le gardien d’Arsenal en position de dernier défenseur. Lehmann : « Lorsque je repense à notre parcours, je regrette parfois de ne pas avoir pris de buts lors des matchs précédents. Le jour de la finale, je voulais être irréprochable. Mais… » Arsenal se retrouve à dix au bout d’un quart de jeu. Le score est de 0-0. La finale vient de basculer, Arsène Wenger de faire « le choix le plus difficile de sa carrière d’entraîneur. »

Car le coach français doit repenser son dispositif et faire entrer Manuel Almunia. Il faut sacrifier un homme. Ce sera Robert Pirès. « À aucun moment je ne pense que je vais sortir. Je tournais le dos au banc avant de savoir que c’était moi. J’étais persuadé que j’allais rester sur le terrain. Je crois qu’avec Arsène, sur le moment, on ne s’est même pas regardés » , détaille Pirès. Le Français traverse alors la pelouse, la tête basse et s’installe sur le banc. Un choix impensable, mais une volonté pour Wenger de conserver une assise défensive solide face à un Barça jusqu’ici contrôlé. « On était plus fort que le Barça ce soir-là. Car même à dix, on tenait le match » , lance Lehmann. Arsenal vient alors de terminer quatrième de Premier League et s’apprête à tourner la page sur une génération : celle des Invincibles de 2004, « une génération humainement fantastique » de Dennis Bergkamp qui va dire au revoir au football, de Campbell et Pirès qui s’en vont et de Henry qui prépare tranquillement son départ de Londres. « En 2004, on était certainement plus forts, notamment grâce à la présence de Patrick Vieira. Son départ nous a fait mal. Si lui avait été dans l’équipe face à Barcelone, les choses n’auraient sûrement pas été les mêmes. Même si Cesc a bien pris le relais. Entre les deux, la différence, c’est l’expérience » , pose le milieu français.

Les couloirs de Saint-Denis

Sur le plateau final de l’Europe, Arsenal laisse donc passer sa chance. C’était, avec du recul, certainement l’année ou jamais pour Wenger qui ne reverra plus les sommets avec sa « nouvelle génération » . En privé, l’Alsacien affirme avoir connu la pire soirée de sa carrière ce 17 mai 2006. Pirès aussi. Jens Lehmann, lui, s’excusera « dans la douche auprès de Robert. J’étais déçu pour lui, car je sais ce que représente une finale de Ligue des champions » . La pilule avalée, Terje Hauge concédera même quelque temps après la rencontre être allé trop vite dans sa décision. Sur un instant où tout va trop vite et où tout bascule, Pirès avoue « s’être mis plusieurs fois à la place de Wenger. Il faut faire un choix, savoir lequel et c’est difficile » . Quelques années plus tard, le Barça a remporté trois C1 supplémentaires et casse toujours les dents des Gunners. Arsène Wenger est encore là, repense parfois à ce choix de 2006 avec cette phrase lancée à son ancien joueur : « Si un jour tu te retrouves entraîneur, tu verras à quel point c’est difficile de prendre une décision comme celle-ci. » Toujours, dix ans après.

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