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« Pourquoi Greenwood aurait-il droit à une deuxième chance ? »

Propos recueillis par Lucie Lemaire

Deux ans après avoir violenté physiquement et sexuellement sa compagne, et désormais mère de leur fille, Mason Greenwood s’est engagé à l’Olympique de Marseille. Une signature condamnée par une frange des supporters phocéens et déplorée par plusieurs associations féministes de lutte contre les violences conjugales à Marseille, dont Solidarité Femmes 13. Sa directrice, Sophie Pioro, évoque notamment sa déception après avoir travaillé sur ces thématiques avec le club.

«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Pourquoi Greenwood aurait-il droit à une deuxième chance ? »

Au moment des premières rumeurs de l’arrivée de Mason Greenwood, vous avez publié un communiqué pour vous opposer à ce transfert. Pourquoi c’était essentiel pour vous de prendre publiquement position ?

C’est notre mission première ! Nos trois associations (Solidarité Femmes 13, mais aussi le Planning Familial 13 et le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles – CIDFF -, NDLR) sont des associations féministes et ont comme grandes missions d’accompagner et accueillir des femmes victimes de violences conjugales, de les soutenir dans la sortie de l’emprise et des violences, mais aussi de faire des plaidoyers et parler de ces sujets aux niveaux local et national. Pour nous, qu’il y ait un joueur de l’OM qui ait été auteur de violences conjugales, c’est une bonne raison de parler.

Malgré les critiques et les alertes, l’attaquant s’est engagé avec l’OM. Qu’est-ce que vous ressentez ?

On est assez déçues, parce qu’on a des partenariats avec l’OM et Treizième Homme (le programme sociétal du club, NDLR) depuis quelques années. C’est un peu étrange d’avoir d’un côté l’engagement sur ces sujets, et de l’autre de faire venir un auteur de violences. Nous ne sommes pas la justice, mais on se place toujours du côté des victimes et on sait combien il est difficile pour elles de déposer plainte, de sortir de l’emprise, d’autant plus avec une pression médiatique énorme autour d’une personnalité publique.

En 2020, l’OM avait mis son centre d’entraînement à disposition de votre association Solidarité Femmes 13… 

Tout à fait, un peu plus de 80 femmes victimes de violences conjugales, et leurs enfants, étaient passées par le centre d’hébergement trois ou quatre mois, le temps du confinement. Et c’est un engagement fort ! Donc c’est d’autant plus déroutant aujourd’hui de les voir recruter un joueur avec un tel passif.

En conférence de presse la semaine dernière, le président Pablo Longoria a parlé de l’importance qu’il attachait aux « valeurs que l’OM doit véhiculer ». Quelles sont ces valeurs ?

Je me pose la question…

Les violences conjugales ne sont pas une question privée. C’est puni par la loi.

Sophie Pioro

Le nouvel entraîneur Roberto De Zerbi avait de son côté répondu qu’il ne s’intéressait pas « à la vie privée » de ses joueurs. C’est une façon de se dédouaner assez fréquente, non ?

Bien sûr ! Les violences conjugales ne sont pas une question privée. Elles sont punies par la loi. On a tous un rôle à jouer, et notamment l’employeur. Le privé est politique, comme on disait dans les années 1970. Sur ces sujets-là, c’est une question d’engagement d’une société, une question de droit et de loi et c’est un enjeu de santé publique et de prévention. Oui, ça se passe dans la sphère privée, mais à partir de là, ça voudrait dire également que les violences sur les enfants ne concerneraient personne en dehors du foyer ?

Maintenant que la signature est officielle, vous comptez écrire au club ?

Nous avons écrit à Frank McCourt, le propriétaire de l’OM – que l’on avait d’ailleurs déjà rencontré deux ans auparavant – pour lui faire part de notre désappointement et lui dire qu’on espérait que ça n’allait pas aboutir. Nous n’avons pas écrit à d’autres dirigeants du club, on s’est focalisé sur lui, car c’est notre contact privilégié. Nous n’avons pas encore eu de retour. Je sais qu’il a eu notre courrier, mais je pense qu’il attend peut-être d’être sûr de la signature ou non de Greenwood pour nous répondre… Nous sommes soutenues par la fondation Treizième Homme ; on a créé avec l’UCPA et Marseille Solutions un projet qui s’appelle le Quadrathlon des Femmes, qui aide les femmes victimes de violence à se reconstruire par le sport ; on avait également un partenariat avec le club pour avoir des places, faire des matchs avec l’équipe féminine… On va continuer à agir sans rompre le dialogue avec l’OM, mais je pense qu’on va rompre le partenariat actuel.

Il existe un discours qui voudrait qu’un homme violent puisse aussi être un bon père, mais non : lorsque l’on est auteur de violences conjugales, on n’est pas un bon père.

Sophie Pioro

L’arrivée du joueur anglais est très clivante sur les réseaux sociaux : d’un côté, un hashtag #GreenwoodNotWelcome, de l’autre, de très nombreux internautes qui tentent de redorer son image en le montrant en train de jouer avec sa très jeune fille (née après les faits, NDLR)

C’est une manière de retourner la situation. Il existe un discours qui voudrait qu’un homme violent puisse aussi être un bon père, mais non : lorsque l’on est auteur de violences conjugales, on n’est pas un bon père. Depuis plusieurs années, la loi dit que les enfants sont aussi des victimes, même s’ils ne sont pas physiquement agressés. C’est aussi un imaginaire : « Il est gentil avec ses enfants. » Un enfant qui grandit dans un contexte de violence peut reproduire cette violence ou devenir victime à son tour. L’image du bon père qui joue au foot avec sa fille, c’est faux, ça n’existe pas. Il le fait peut-être, mais il n’en devient pas pour autant un bon père.

Mason Greenwood n’a pas été jugé coupable, mais il y a eu des preuves vidéo, audio et photos qui ont été diffusées publiquement. Malgré cela, il est encore défendu par des supporters.

La plainte a été abandonnée, donc – et c’est ça qui est compliqué – il n’est pas condamné, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas l’auteur de ces violences. À la suite de notre post, on a eu beaucoup d’attaques, on a fermé nos commentaires. On a pris beaucoup d’insultes et de réflexions très problématiques. On nous a dit qu’il n’y avait aucun souci puisqu’il n’a pas été condamné, qu’on ne connaissait rien au football donc « de quoi on se mêle ». Mais on ne parle pas de foot, on parle de violence !

Avez-vous encore l’espoir d’une prise de conscience autour de ces sujets ?

Plus il y a de la médiatisation, mieux c’est. Je pense qu’un monde sans violence n’existera jamais, mais l’idée, c’est quand même d’essayer de faire de plus en plus de pédagogie et de formation, auprès des joueurs par exemple. L’évolution des mentalités ne se fait pas en cinq minutes, ni en cinq ans, mais ce sont des supporters, pas d’accord avec cette venue, qui nous ont alertés, donc je pense que ça va évoluer.

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Les gens se voilent-ils la face ?

Il y a des hommes, mais aussi parfois des femmes qui légitiment les violences. Quand on dit qu’une femme sur 10 est victime de violences conjugales, il y aurait donc près d’un homme sur 10 qui en est auteur. Donc si on fait le calcul par rapport au nombre de supporters, on peut extrapoler…

Malheureusement, Greenwood n’est pas le seul footballeur concerné par les questions de violences conjugales ou sexuelles. Il y a une impunité pour les footballeurs ?

Pas que pour les footballeurs. Les plaintes mettent du temps, les condamnations aussi. Ce sont des procédures très pénibles, et il n’y a que 1% des agresseurs de viols qui sont condamnés. Le fait qu’il y ait cette impunité pour les personnalités publiques, et donc les footballeurs, décourage les femmes d’aller porter plainte parce que de toute façon, elles ne seront pas entendues ou en tout cas pas suivies. L’évolution de notre société est nécessaire par rapport à la représentation qu’on peut avoir sur les agressions et les violences conjugales.

Est-ce juridiquement possible de mettre en place des choses pour empêcher les clubs de recruter des joueurs accusés de violences ? C’est plutôt une question de déontologie, non ?

Exactement, je ne pense pas qu’on ait légalement des leviers, mais effectivement, il faudrait travailler plus directement avec les clubs sur des chartes d’engagement, sur la culture commune autour de ces sujets pour sensibiliser les joueurs. Pourquoi pas créer des espèces de label « club engagé contre les violences » ? Il y a beaucoup de choses intéressantes, par exemple avec les fédérations sportives au niveau national, mais c’est aussi à la discrétion de chacune, on ne peut pas les obliger. Il y a tout à imaginer, et on est à l’écoute si des clubs sportifs veulent travailler sur ces questions !

Ça serait bien d’avoir un ou deux joueurs emblématiques qui pourraient s’engager contre les violences pour porter cette parole.

Sophie Pioro

Que des sportifs prennent position contre leurs coéquipiers sur des sujets comme celui des violences conjugales, ça permettrait de faire avancer les choses ?

C’est intéressant, effectivement. Être jugé par ses pairs, c’est différent que d’être jugé par d’autres personnes beaucoup plus éloignées. Ça serait bien d’avoir un ou deux joueurs emblématiques qui pourraient s’engager contre les violences pour porter cette parole. Quand il y a des auteurs qui sont en quelque sorte des porte-parole des violences conjugales malgré eux, on voudrait qu’il y ait des porte-parole pour lutter contre ces violences.

Partagez-vous l’avis de ceux qui souhaitent qu’on donne une seconde chance aux sportifs comme Greenwood ?

La seconde chance, ce sont des systèmes mis en place. Donc si on ne les déconnecte pas, il y aura une deuxième chance, une troisième chance, une quatrième chance… Le fait par exemple que Greenwood n’ait pas été condamné fait qu’il n’a pas été accompagné pour ne pas reproduire ces schémas, donc pourquoi une deuxième chance ? À un moment, quand on a une responsabilité de visibilité, je pense qu’on ne doit pas avoir de deuxième chance. Ce sont des grands sportifs, des modèles, donc ils ont encore plus un devoir d’exemplarité.

Propos recueillis par Lucie Lemaire

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