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Sochaux, le péril jaune et bleu

Par Valentin Lutz
Sochaux, le péril jaune et bleu

Rétrogradé administrativement en National par la DNCG en attente de l'examen de l'appel du club, plongé dans un bourbier insondable, le FC Sochaux-Montbéliard est aujourd’hui à un pas de l’abîme. Et ce ne sont pas ses 65 saisons en Ligue 1 qui lui seront d'un grand secours.

Le 13 juin, le couperet est finalement tombé : « FC Sochaux-Montbéliard : rétrogradation en Championnat national 1. » La DNCG reproche à Sochaux un déficit d’environ quatre millions, ainsi que l’absence de « certaines garanties » . Pour se sauver, le club doit vendre, et à lui seul, le transfert d’Agoumé à l’Inter devrait rapporter 4,5 millions. Reste à savoir combien le club va toucher sur le montant, alors que des arrangements à l’intention de Wing Sang Li, président démissionnaire depuis le 3 avril, ne sont pas à exclure. En effet, ce dernier est toujours présent à Sochaux et semble bien décidé à en piller les dernières ressources (notes de restaurant, achat d’une voiture de fonction). « Li est un jusqu’au-boutiste qui perçoit le club comme un jouet cassé dont il faut tirer le maximum de profits » , résume Fabrice, président de l’association Planète Sochaux.

En attendant l’examen de l’appel du club, certains supporters, excédés, ont franchi l’étape de la violence le 19 juin, lorsque trois individus encagoulés ont vandalisé les bureaux du club. D’autres, usés par quatre années de chaos, sont désabusés. « Alors que nous souhaitons avant tout le bien du club, nous nous disons qu’il vaudrait peut-être mieux être relégués pour repartir sur des bases saines, détaille Thibaut, l’un des leaders des ultras de la Tribune Nord Sochaux. Soit les vautours restent et continuent à dévorer le cadavre, soit le club descend et risque fortement de disparaître. » Mais comment le FCSM a-t-il fait pour se retrouver au bord du ravin ?

« On s’est dit que c’était un guignol »

Le 6 juillet 2015, Peugeot, propriétaire historique du FC Sochaux, cédait pour sept millions d’euros l’intégralité des parts du club à Ledus, fabricant d’éclairage LED. Il apparaît bien vite que c’est principalement par intérêt que la filiale de la société hong-kongaise Tech Pro se retrouve à la tête d’un club déjà en mauvaise santé économique. « Au départ, j’ai dit que cela ne nous intéressait pas, que nous étions dans le LED » , affirme alors Thomas Lichtenauer, DG de Ledus, à l’Est Républicain. Mais il s’agit d’une « très bonne affaire » : pour faciliter la transaction, PSA laisse quinze millions sur les comptes et s’engage à verser 1,5 million d’euros par saison pendant deux ans.

Ainsi n’y a-t-il rien d’étonnant à ce que le projet des repreneurs reste voué à l’improvisation. « La fin de l’ère Peugeot et le début de l’ère Ledus, c’est l’imprévoyance totale, déclare Fabrice. On a eu le sentiment que PSA bazardait le club. Leurs plus grands experts étaient sur le coup : ils savaient sciemment que ça ne fonctionnerait pas. » Dans les tribunes de Bonal, la défiance est déjà forte à l’égard de la nouvelle direction. « On s’est très vite aperçu qu’il y avait un fossé entre notre perception du foot et celle de Li, affirme Thibaut. Il venait au bas de la tribune pour faire la fête après les victoires. On s’est dit que c’était un guignol. » « Après une défaite contre Bourg-en-Bresse dans le temps additionnel, Li est venu s’agenouiller pour s’excuser, abonde Fabrice. Tout cela ressemblait déjà à une mascarade. »

Le krach de l’empire en carton de Wing Sang Li

En janvier 2016, Li annonce à L’Équipe être « prêt à investir dix, vingt ou cent millions » . Pour les supporters, c’est le point de non-retour : « La maigre cote de Li s’est effondrée, confie Thibaut. On a alors lancé une motion de défiance. » En réponse, Li convoque les associations de supporters. « Il nous a affirmé sans sourciller que tout irait bien, car Ledus était aussi connu à l’étranger qu’OSRAM [leader mondial du LED], rapporte Fabrice. Et si jusque fin 2017, Sochaux n’est pas inquiété, grâce à l’héritage de PSA, à des transferts lucratifs et à des versements effectués par Li (2,8 millions d’euros fin 2016, 2,5 millions d’euros en 2017) conformément aux demandes de la DNCG, les résultats annuels sont catastrophiques (-6,9 millions d’euros en 2016, -2,9 millions d’euros en 2017) et illustrent les problèmes structurels du club, dont la masse salariale est à elle seule égale aux revenus totaux.

Dès lors, Sochaux, incapable de se financer, est à la merci des résultats de Ledus, une entreprise créée en 2015 uniquement pour l’achat du club, qui ne tarde pas à se déliter. En juillet 2016, son action s’effondre et à l’été 2017, Ledus, qui n’a jamais fabriqué une seule ampoule, est placé en liquidation judiciaire. Face aux difficultés financières de son propriétaire, la pression de la DNCG s’accroît. Le 11 décembre 2017, celle-ci prononce ainsi les premières sanctions : « un encadrement de la masse salariale et une interdiction de recruter à titre onéreux » . En février 2018, le couperet tombe : Sochaux est rétrogradé administrativement en National 3, à titre conservatoire.

Le fiasco Baskonia-Alavés

Au sein de la direction, on navigue désormais à vue. En avril 2018, alors que des rumeurs font état d’un départ de Ledus, le club annonce confier sa « gestion globale » à un groupe propriétaire des clubs de basket de Baskonia et de football d’Alavés. Le club évoque un « partenariat » , destiné à ramener les finances à l’équilibre en réduisant les frais de fonctionnement et en réorganisant la structure du club. Mais les supporters y voient plutôt une mise sous tutelle. « Baskonia a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase, affirme Thibaut. Il a été hors de question de tolérer que le club soit devenu un sous-traitant. » La situation se tend entre la direction et ses supporters, et la belle collaboration antérieure (retour d’une tribune debout) laisse place à une opposition frontale (censure de banderoles, boycotts).

Fin 2018, la politique mise en place, si elle a sans doute bien identifié les problèmes du club, n’a pas porté ses fruits : le déficit annuel s’est creusé (-5,1 millions d’euros), et les sanctions de la DNCG sont réitérées. Un mois plus tard, à la surprise générale, Baskonia-Alavés annonce déjà son départ, car son envie de racheter le club a été laissée sans réponse. Parmi les supporters, la rancœur prédomine. « C’est une catastrophe pour le club, confie Fabrice. Baskonia est venu dans ses seuls intérêts. » En partant, le groupe basque laisse derrière lui quelques cadavres : la vente fantôme d’Olivier Verdon, probablement cédé sans contreparties financières en guise de dédommagement, et surtout, une convention de partenariat introuvable, qui continue à porter préjudice au club puisqu’elle constitue sans doute l’une des garanties réclamées par la DNCG.

L’imbroglio Nenking

En mars 2019, un nouveau tremblement de terre agite Sochaux : il est en effet annoncé que Li n’est plus président du club et est remplacé par un certain Naixiong Zhong, patron de la société Nenking, gigantesque entrepreneur immobilier. À l’origine de ce nouvel imbroglio, un prêt de 3 millions d’euros, contracté par Li début 2018 auprès du groupe chinois pour renflouer les caisses du club. S’il reconnaît le prêt, Li dément toute incidence sur la présidence du club. Le véritable problème, dévoilé par L’Est Républicain et confirmé en interne, est plus subtil : pour obtenir la validation de la transaction, Li aurait gagé les parts de son club. À la suite du non-remboursement du prêt, Nenking aurait lancé une procédure de cession des actifs afin de récupérer son dû.

Face à cette situation intenable, Li annonce sa démission le 3 avril. Il est remplacé par Frédéric Dong Bo, nouveau président de Tech Pro, qui s’engage le 22 mai à vendre le club à Nenking ou du moins, à lui reverser une partie du montant. Mais depuis, aucune officialisation n’est survenue, probablement en l’attente de la validation de la transaction par la bourse de Hong-Kong et du verdict définitif de la DNCG. De plus, Nenking a refusé d’apporter au club les 4 millions d’euros nécessaires à sa survie, si bien que la situation du club, paralysé, est critique. Alors que personne ne se bat pour racheter le club, l’association Sociosochaux tente toujours de fédérer autour d’une reprise par des régionaux. Peut-être le seul moyen viable de sauver enfin le FC Sochaux-Montbéliard.

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Tous propos recueillis par VL sauf mentions.

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