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Slavia Prague, l’Emprise du Milieu
Quatre ans après le rachat du Slavia Prague par un groupe chinois, les espoirs suscités par l'arrivée des nouveaux investisseurs et par des résultats à nouveau brillants à l'échelle nationale se sont envolés. Embourbé dans une situation chaotique en interne, le club tchèque n'aborde pas sa rencontre face au FC Barcelone dans la situation la plus sereine.
La nouvelle est si importante que c’est le président de la République lui-même, Miloš Zeman, qui l’a annoncée il y a quelques jours au cours d’une émission télévisée. « La Chine réagit avec différentes mesures de représailles, déclare-t-il à l’antenne de la chaîne Barrandov. Mais la plus importante est que le Slavia Prague, l’investissement chinois le plus réussi, ne sera plus financé. » En cause, un conflit entre les autorités tchèques et chinoises : tandis que les premières accusent les secondes, en substance, d’ingérence, Pékin aurait décidé de résilier l’accord de partenariat conclu avec la capitale tchèque et de retirer du pays l’intégralité de ses investissements. Si l’information n’a pas été confirmée par le Slavia, il s’agit néanmoins du dernier rebondissement d’une histoire chinoise mouvementée.
Une malédiction chinoise, vraiment ?
Pourtant, en 2015, tout commence (très) bien pour les investisseurs chinois en Tchéquie, un pays en développement que la Chine considère comme une formidable opportunité économique. Le groupe CEFC China Energy, l’une des 10 entreprises chinoises les plus importantes à l’époque, s’implante de façon agressive sur le marché national, avec la bénédiction des principaux dirigeants tchèques. En plus d’injecter près de 900 millions d’euros dans des projets énergétiques, le groupe rachète le Slavia Prague, alors au bord de la banqueroute après une décennie de déclin sportif. Il s’agit alors d’un énième élément dans la politique d’investissements de l’Empire du Milieu dans le football, au même titre que les rachats d’Aston Villa, de l’AC Milan ou de l’Atlético.
Mais contrairement à d’autres clubs passés sous drapeau chinois, le Slavia Prague trouve vite son compte dans le projet de CEFC et la malédiction dont certains parlent pour évoquer les échecs footballistiques de la Chine en Europe est plutôt une bénédiction pour l’écurie tchèque la plus âgée : plus de 35 millions d’euros sont investis dans la rénovation du stade et les résultats suivent. Champion en 2017 et en 2019, vainqueur de la Coupe nationale en 2018 et 2019, le Slavia amorce un formidable renouveau sportif improbable quelques mois plus tôt. Portée par une génération talentueuse, à l’image du milieu Tomáš Souček et du défenseur Alex Král, la formation tchèque s’est qualifiée cette année, pour la première fois depuis onze ans, à la phase de groupes de la Ligue des champions.
Valse des propriétaires
Mais les deux dernières années du projet chinois ont été particulièrement chaotique. En effet, la conjecture peut changer du jour au lendemain aux yeux des autorités communistes, en fonction des jeux de majorité au sein du parti : lorsque le groupe CEFC connaît ses premières difficultés économiques, il tombe du même coup en disgrâce, et son dirigeant, Ye Jianming, devient un paria menacé d’arrestation. En 2018, un CEFC en voie de démantèlement est contraint de se retirer du club, remplacé aussitôt par une nouvelle entreprise en vogue, CITIC. Mais CITIC, malgré ses promesses d’investissements sur le long terme, fait long feu et cède également rapidement sa place, fin 2018 et sans grande explication, à un nouveau groupe, Sinobo, qui, à dire vrai, semble capable d’assurer la progression de la formation tchèque et se montrer à la hauteur de son discours ambitieux.
Mais ce grand n’importe quoi (ces derniers jours, les rumeurs font désormais état d’un intérêt… de Qatar Airways) a sapé la confiance, d’autant qu’en interne, les agissements douteux du président, Jaroslav Tvrdík, celui-là même qui a chapeauté l’arrivée des investisseurs chinois, intriguent par leur opacité. Par conséquent, la crainte de voir le club s’écrouler financièrement grandit dans son entourage, et l’annonce de la rupture de l’accord de partenariat entre Prague et Pékin, au grand dam de Tvrdík, a conforté la tendance. Si le service presse ne fait qu’insister sur l’importance de la rencontre face à Barcelone ce mardi, l’enjeu n’est plus tout à fait de l’ordre du terrain : cette rencontre, qui aurait pu être une formidable vitrine pour le Slavia, tout comme pour la Chine, semble soudain bien plus obscure. La malédiction chinoise n’est peut-être finalement pas une légende.
Par Valentin Lutz