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Sans Pogba, les Bleus vont piocher
Didier Deschamps s’en doutait, il en est désormais sûr : il devra s’envoler au Qatar sans Paul Pogba. Déjà privé de N’Golo Kanté, le sélectionneur doit recomposer tout un milieu de terrain. Mais l’absence de Pogba aura des conséquences au-delà du terrain.
Difficile de se ruer vers l’or sans sa Pioche. Comme on ne part pas disputer Paris-Roubaix sans vélo adapté, courir le GP de Spa sans pneus bleus, ou braquer une banque sans arme, on ne peut aller défendre son titre mondial sans Paul Pogba. C’est pourtant la mission périlleuse dont a hérité l’équipe de France en ce 31 octobre 2022, avec une information plus flippante que n’importe quel costume d’Halloween : les Bleus devront faire sans Paul Pogba. Après avoir tenté la temporisation, puis l’opération et la convalescence express de son ménisque, le champion du monde 2018 paye les pots cassés de sa surcharge de travail : cette fois, c’est sa cuisse qui lâche. « Après des examens médicaux, il est extrêmement douloureux d’informer que Paul Pogba aura encore besoin de rééducation après son opération [d’un genou, au début de septembre]. Pour cette raison, Paul ne pourra pas rejoindre l’équipe de France au Qatar », a annoncé son avocate Rafaela Pimenta.
Tchouaméni, héritier esseulé
À 29 ans, Paul Pogba ne disputera donc pas de troisième Coupe du monde de suite. La Pioche rejoint la liste de Pirès 2002, Cissé 2006, Ribéry 2014 ou encore Payet 2018. Si on imagine sa déception, c’est tout un pays qui se retrouve orphelin. Désigné meilleur jeune du Mondial 2014, puis élément central des épopées françaises à l’Euro 2016 et 2021, et surtout général lors de la campagne victorieuse de Russie en 2018, Paul Pogba a toujours su se sublimer chez les Bleus. Transfiguré par le tricot frappé du coq, sur lequel il était fier de rajouter « son » étoile, le gamin de Lagny a rarement déçu. Sur la pelouse, son abattage et sa technique en ont fait la rampe de lancement des ogives offensives tricolores en Russie, puis lors du dernier Euro. Avec Paul Pogba, l’équipe de France avait la faculté de créer le danger dès la récupération du ballon, et ses éclairs ont sorti les Bleus de la torpeur plus d’une fois. D’autant plus que l’ancien Havrais avait à ses côtés l’infatigable besogneux N’Golo Kanté pour combler ses quelques largesses.
Ensemble, ils ont disputé 40 matchs avec la France, pour 29 victoires et aucune défaite. Ensemble, ils regarderont le prochain Mondial depuis leur canapé respectif. Si remplacer N’Golo Kanté est déjà ardu, cela reste un rôle défensif. En revanche, trouver un pendant à la vista du regista turinois, c’est plus délicat pour Deschamps. Aurélien Tchouaméni sera sans doute le successeur désigné de Paul Pogba au Qatar, et personne ne va s’en plaindre. Déjà titulaire au Real Madrid, l’ancien Monégasque a le ballon et la carrure pour assumer ce rôle sur le terrain. À condition de trouver son N’Golo Kanté à ses côtés, ce qui sera plus difficile pour Deschamps parmi une longue liste de prétendants. Plus expérimenté, Rabiot part avec une longueur d’avance, mais Fofana, Camavinga, Guendouzi, Veretout et Kamara peuvent y prétendre. Aucun n’ayant l’abattage défensif du petit et gentil qui a bouffé Léo Messi. Tous réunis, ils comptent d’ailleurs moins de sélections que les 91 de la Pioche.
La clé de voûte de Clairefontaine
Sur le terrain, l’absence de Paul Pogba pourrait donc presque ne pas se faire sentir. Ce serait oublier l’influence du Turinois sans le ballon. Car s’il se comporte en patron lorsqu’il conduit la gonfle, Pogba est aussi un meneur par son attitude sans le cuir. Leader charismatique des Bleus, il harangue constamment ses troupes, encourage, engueule, remobilise. Bien plus qu’Hugo Lloris. Capitaine dans l’âme même sans le brassard, la Pioche est la clé de voûte du vestiaire. Tout le monde a encore en tête sa prise de parole mémorable avant la finale de la Coupe du monde 2018. Ou plus récemment lors de la finale de Ligue des nations face à l’Espagne. Dans les moments clés, c’est lui qui réveille le vestiaire, qui galvanise ses troupes, plus que quiconque chez les Bleus. Et son importance dans la vie de groupe ne s’arrête pas là.
Chaque nouvel arrivant à Clairefontaine en témoigne : Paul Pogba est aussi l’élément fédérateur et intégrateur du groupe France. En prenant sous son aile chaque petit nouveau, comme l’avait fait avec lui son ami Évra, la Pioche accélère leur intégration, assure le lien. À la lecture des interviews d’autres cadres tricolores, son nom est souvent mis en avant comme atome crochu entre chaque bande de potes du château. Derrière les danses et les blagues, qui comptent aussi dans un vestiaire et notamment lorsqu’on vit en communauté plusieurs semaines, Paul Pogba a trouvé le juste équilibre pour devenir le garant de l’équilibre entre la bonne humeur et la rigueur des hommes de Deschamps. Une sorte de mono de colonie de vacances, sachant souffler le chaud et le froid pour tirer tout le monde vers le haut. Toute cette panoplie sur et en dehors des terrains fait que son absence pèsera lourd au Qatar, même si sa présence amoindrie n’aurait pas été une bonne nouvelle non plus pour Deschamps, bien embêté avec les statuts remis en cause. Il n’empêche qu’à l’heure d’aller chercher une troisième étoile, les Bleus vont décoller sans leur lanceur. Un sacré pari.
Par Adrien Hémard-Dohain