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Saki Kumagai et la poussée d’Archipel

Par Mathieu Rollinger
Saki Kumagai et la poussée d’Archipel

Capitaine d'une sélection japonaise dont elle a accompagné l'émergence, Saki Kumagai est aussi l'un des piliers de l'Olympique lyonnais depuis six ans. Mais ce jeudi soir à Auxerre contre certaines de ses coéquipières en club, elle laissera au vestiaire son rôle officieux d'ambassadrice du foot nippon en France, pour mieux guider une jeune génération vers la Coupe du monde.

C’est sur ce genre de détails que l’on arrive à prendre la mesure du poids de l’Olympique lyonnais dans le foot féminin. Car au-delà des coups d’éclat de Jean-Michel Aulas en ayant attiré Alex Morgan, dragué Hope Solo, dégoté avec Ada Hegerberg le premier Ballon d’or de l’histoire et conservé les meilleures joueuses françaises, le club rhodanien a aussi su intégrer d’autres références internationales de manière plus naturelle et sans faire de vagues. L’exemple le plus parlant reste celui de Saki Kumagai. La Japonaise est une Fenotte depuis 2013, une des plus brillantes sentinelles du continent, mais continue à 28 ans de tracer sa route sans faire de bruit.

Quintuple championne de France, triple championne d’Europe, championne du monde 2011 et vice-championne du monde en titre, elle n’est pourtant pas du genre à s’offusquer si la lumière ne s’arrête que de manière sporadique sur elle. « Après les matchs, on dit toujours un peu la même chose, d’autant plus que mon vocabulaire est réduit, s’excusait-elle dans les colonnes du Monde. Avec des joueuses comme Wendie (Renard) et Eugénie (Le Sommer), je ne suis pas forcément au centre de l’attention, mais ce n’est pas grave, ça me va très bien. »

Au pays du ballon levant

Une discrétion en dehors du terrain, couplée à un caractère qui fait l’unanimité, qui colle bien avec son rôle sur le pré. « Dans n’importe quelle équipe, mon but est de devenir un pilier, un soutien. Pour survivre à l’OL, entourée de toutes ces grandes joueuses, il faut faire vivre le talent des autres, assurer l’équilibre général pour leur permettre d’exprimer leurs points forts. » Un dévouement pour le collectif qu’elle applique aussi et surtout avec l’équipe nationale du Japon, où on lui a confié le brassard. La sélectionneuse Asako Takakura cherche depuis deux ans à mettre au pouvoir une nouvelle génération, censée succéder à celle de la période dorée du début des années 2010. Internationale depuis 11 piges, 101 capes au compteur, personne d’autre ne pouvait mieux revêtir la fonction de grande sœur des Nadeshiko ( « les Œillets » , surnom de la sélection) que Saki Kumagai. Surtout qu’elle symbolise l’émergence du foot féminin sur l’archipel.

Si les prémices d’un engouement se sont fait sentir dans le sillage du Mondial masculin en Corée du Sud et au Japon en 2002, les filles japonaises ont vu toute une structure se développer au cours du début de millénaire. Native de Sapporo, Saki Kumagai s’est prise de passion pour ce sport en suivant l’exemple de son frère aîné, comme beaucoup de ses consœurs. « Dès toute petite, je jouais avec les garçons, resituait-elle. À partir de 12 ans, je ne gagnais plus à la course, physiquement, j’étais en dessous. J’ai dû réfléchir à comment m’adapter pour continuer à jouer avec eux. » De la frustration naît la progression, et rapidement, ses qualités se font remarquer. C’est ainsi qu’elle intègre à 15 ans le lycée Tokiwagi Gakuen à Sendai, la meilleure académie du pays, à 600 kilomètres de chez elle.

Saki comme jamais

La suite ? Des débuts en pro avec les Urawa Red Diamonds, en parallèle des études à la fac de sciences de la santé et d’éducation physique, et des allers-retours entre les équipes jeunes et l’équipe A du Japon. Et enfin, un coup de force. Lors de la Coupe du monde 2011, c’est elle qui, à 20 ans, fait entrer son pays dans une autre dimension, en transformant l’ultime tir au but en finale face à l’ogre américain. « Tout le monde me parle de cette séance de tirs au but. En fait, moi je n’aime pas trop ça, même si maintenant, avec l’expérience, ça va mieux. En 2011, je ne m’attendais pas à tirer. Quand le coach l’a décidé, j’étais choquée. » Mais la gamine a pris ses responsabilités et en sera récompensée : grâce à ce coup de projecteur, l’Europe s’intéresse à elle et c’est Francfort qui lui offre sa première expérience à l’étranger. Deux ans en Allemagne, où elle continue à montrer sa faculté d’adaptation et côtoie les sommets, perdant la finale de la Ligue des champions en 2012 face à… l’Olympique lyonnais. Un adversaire qu’elle rejoindra une saison plus tard.

Dans le Rhône, elle était censée remplacer Laura Georges, partie au PSG. Elle devient rapidement le complément idéal de Wendy Renard. Patrice Lair est séduit. « Derrière, c’est un rempart. Elle a une belle qualité de passe, elle est technique, toujours en observation, c’est du top, jubilait le coach lyonnais de l’époque. On ne s’est pas trompé. J’ai pris cette fille-là pour ça. J’espère qu’elle ne va pas se trouer après. » Saki ne se trouera pas et fera finalement le consensus au poste de numéro 6. À Lyon, la Japonaise s’épanouit sportivement, mais aussi en ville. Ainsi, il n’est pas rare de la voir dépanner derrière le comptoir d’un petit café du 7e arrondissement de Lyon, tenu par sa compatriote Keiko Kinoshita. Et si le dernier grand objectif de sa carrière reste les Jeux 2020 à la maison – « J’ai vraiment très envie de jouer devant mes amis et ma famille » –, c’est dans sa ville d’adoption qu’elle pourrait jouer un mauvais coup à ses coéquipières françaises de l’Olympique lyonnais. À moins que sa simple présence ne les rende encore une fois meilleures.

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Par Mathieu Rollinger

Propos de Kumagai tirés du Monde, article de mai 2018.

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