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Rybolovlev peut-il devenir un problème pour Monaco ?
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les milliardaires russes deviennent les cibles de sanctions, plus ou moins sévères. À quelques heures d'affronter Nantes pour s'offrir une place en finale de Coupe de France, l'AS Monaco et son oligarque de propriétaire, Dmitri Rybolovlev, attirent les regards et les questions. Le richissime russe est-il un proche de Poutine comme Abramovitch ? Pourrait-il être visé par des condamnations et surtout, quelles conséquences pour le club du Rocher ?
23 décembre 2011, pour un euro symbolique, Dmitri Rybolovlev devient l’actionnaire majoritaire de l’AS Monaco – devant le prince Albert II, s’il vous plaît – récupérant, au passage, 66% des parts du club. Fraîchement reléguée, l’ASM végète alors dans les tréfonds de la deuxième division et flirte dangereusement avec l’échelon inférieur et la banqueroute. Moins de six ans plus tard, Falcao et compagnie fêtent le huitième titre de champion de France des Rouge et Blanc. Pourtant, depuis quelques jours et le début de l’invasion russe en Ukraine, le discret Rybolovlev se retrouve projeté sur le devant de la scène. De quoi faire trembler les supporters monégasques ? Le conflit ukrainien questionne sur les liens que pourrait entretenir Poutine avec tous ces oligarques russes qui investissent en Europe, ou ailleurs. Le propriétaire du club princier n’y échappe pas. « Il y a une histoire assez trouble autour de son passé entre les années 1990 et le début des années 2000 », raconte Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport. Au cœur de ces interrogations : Uralkali, un des plus grands producteurs au monde d’engrais potassique. Une société dont Rybolovlev devient président du conseil d’administration en 1995, sous le mandat de Boris Eltsine, à seulement 29 ans. « Il a, comme d’autres jeunes businessmen, réussi à accumuler une fortune considérable. Il a profité d’avoir été l’attributaire de ces grands groupes, en phase avec la politique en place », détaille Jean-Pascal Gayant, économiste spécialisé dans le sport.
La poupée russe exilée
Une situation qui implique évidemment d’avoir des liens avec celui qui est à la tête du Kremlin, et donc de Vladimir Poutine. Le géopolitologue Guégan relance : « Les oligarques ont leurs intérêts et leur survie à assurer. Ce n’est jamais bon d’être un ennemi de Poutine. Il vaut mieux être finalement porté sur une certaine proximité avec lui et ses intérêts jusqu’à ce que ça tourne mal. Là, il vaut mieux se taire. » Ou partir. Rybolovlev opte pour cette deuxième option à la fin des années 2000. « Il n’était pas, ou plus, en odeur de sainteté vis-à-vis de Poutine. C’est quelqu’un qui a failli tout perdre. Il a été menacé », poursuit Jean-Baptiste Guégan. Englué dans une sombre affaire où le gouvernement le tient pour responsable de l’effondrement d’une des mines de son exploitation, le Russe cède Uralkali à un proche du vice-Premier ministre de Vladimir Poutine et trouve refuge sur le Rocher, avec un but, plus ou moins secret : obtenir un passeport monégasque. Dix ans plus tard, il n’a toujours pas obtenu le précieux sésame et ne devrait pas y parvenir malgré des relations avec le palais qui se sont réchauffées dernièrement.
Pour autant, pas question de renouer le contact avec le pouvoir russe. « Le temps, qui a passé, a détaché Rybolovlev de la figure de Poutine. Parmi les oligarques russes, la plupart de ceux qui sont partis à l’étranger pensaient qu’il était plus raisonnable de le faire. Le risque de faire de l’ombre au président russe était devenu trop grand. Et ces histoires se terminent souvent mal. Le départ de Rybolovlev pourrait être considéré comme la marque d’une rupture partielle avec Poutine », glisse l’économiste Jean-Pascal Gayant. N’allez pas croire que l’homme à la tête de l’ASM va subitement se laisser aller à des confessions sur celui qui est dans le viseur de toute la planète, ou presque, aujourd’hui. « La centaine d’oligarques russes que compte la planète entretient une certaine culture du secret », avance Jean-Baptiste Guégan. D’autant plus que ces milliardaires constituent indubitablement une porte d’entrée vers les plus hautes sphères politiques moscovites. Même ceux qui ne font pas partie du cercle le plus proche de Poutine, comme Rybolovlev. Raison pour laquelle l’homme d’affaires de 55 ans apparaît sur le « Putin Accountability Act ». Une liste établie, et diffusée le 19 janvier, par le Congrès américain pour identifier les personnalités russes à sanctionner en raison de leur proximité avec Poutine.
Dmitri sélectif
C’est ce point précis qui fait que le propriétaire de l’ASM pourrait être inquiété. Pour le géopolitologue, « une partie de ses avoirs va être analysée, on va enquêter sur lui. » Que vont révéler ces investigations ? Personne ne le sait réellement tant le mystère autour du natif de Perm demeure épais. Il semble toutefois hautement improbable que de réelles sanctions ne viennent à être prononcées contre celui qui dispose également d’un passeport chypriote. « Ce n’est pas une équipe russe, ce ne sont pas des capitaux d’un proche de Poutine. Les arguments en faveur de sanctions sont assez maigres », développe Jean-Pascal Gayant.
D’éventuelles condamnations contre le propriétaire des Rouge et Blanc affecteraient évidemment le club princier. Un gel des avoirs de « Rybo » , par exemple, ne reviendrait pas à lui confisquer l’ASM, mais il ne pourrait plus vendre ses parts, exercer la gouvernance ou même son rôle d’actionnaire. Un véritable coup dur pour les Monégasques, mais « les gouvernements n’ont pas intérêt à couler des clubs. Ce sont des entreprises qui ont des salariés et une influence locale. Taper sur Gazprom, un sponsor, comme l’ont fait Schalke et l’UEFA, aura sans doute plus d’influence sur Vladimir Poutine », ajoute Jean-Baptiste Guégan.
Le sponsor FEDCOM dans le viseur ?
Justement, de ce côté-là aussi, Monaco se retrouve concerné. Parmi les partenaires de longue date du club princier, on retrouve FEDCOM, une société russe spécialisée dans la vente d’engrais. Habituel sponsor maillot du club depuis 25 ans, l’entreprise n’habille plus la diagonale qu’en Coupe d’Europe depuis cette saison (remplacée par eToro, société de trading, en Ligue 1 et Coupe de France). Derrière ce partenaire historique se cache, là aussi, un oligarque russe : Alexei Fedorychev. « C’est difficile de les sanctionner pour ça, mais le club serait bien inspiré de rompre le contrat ou a minima de ne plus faire apparaître le sponsor sur son maillot, estime malgré tout Gayant. C’est assez compliqué parce que ça sera vécu comme une trahison du côté du Kremlin. »
Comme Rybolovlev, Fedorychev a quitté la Russie pour se réfugier en principauté et dispose désormais d’un passeport hongrois. Il vient également de s’investir, personnellement, dans le sport monégasque. Depuis le 27 janvier dernier, le Russe est le nouvel actionnaire majoritaire de la Roca Team, l’équipe de basket du Rocher. Hasard du destin, il remplace un Ukrainien, Sergey Dyadechko, rétrogradé au rang de vice-président. La décision de couper les ponts avec FEDCOM n’a pas été prise et ne devrait pas l’être compte tenu du lien historique entre l’entreprise et le Rocher. Plutôt à l’écart d’une éventuelle condamnation pour le moment, Rybolovlev et l’AS Monaco ne pourront pas envisager sereinement l’avenir tant que le conflit en Ukraine perdurera. Plus celui-ci s’éternisera, plus les craintes pourraient s’intensifier pour le milliardaire russe et le club princier. Toutefois, à l’heure actuelle, le sauveur d’un jour ne devrait pas devenir le fossoyeur de demain.
Par Florian Porta
Tous propos recueillis par FP.