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Rúben Amorim et la révolution verte
Après des années de déboires sportifs, économiques et parfois judiciaires, le Sporting Portugal a rencontré Rúben Amorim, l’homme providentiel tant espéré. Pour sa deuxième campagne consécutive en Ligue des champions, l’entraîneur portugais compte bien poursuivre sa glorieuse route avec les Lions.
Mars 2020. Alors que le monde se confine, le président du Sporting, Frederico Varandas, réalise un coup de poker en débauchant Rúben Amorim pour 10 millions d’euros à Braga. Une fortune pour un entraîneur, alors que le Sporting traverse une période trouble. Un an et demi auparavant, la non-qualification en Ligue des champions provoque la fureur des supporters. Une quarantaine d’ultras envahissent Alcochete, le centre d’entraînement du SCP, et s’en prennent physiquement à plusieurs joueurs. Suivent une vague d’arrestations au sein des groupes ultras, des résiliations unilatérales de contrats de joueurs (Rui Patrício, Bas Dost, Gelson Martins, Rafael Leão…) et même la destitution du président Bruno de Carvalho. Durant les mois qui suivent, la valse de nouveaux entraîneurs n’arrange rien, et le Sporting ne s’en tient presque qu’à un Bruno Fernandes essentiel. Au moment de la vente de ce dernier à Manchester United en janvier 2020, le nouveau président Frederico Varandas doit changer de cap pour faire face aux critiques des supporters, las de 18 longues années sans titre de champion. Ce cap se nomme Rúben Amorim, et il guidera les Lions vers la sortie de cette profonde lassitude.
La patte Amorim sur les Lions
Lorsque Rúben Amorim est invité à devenir l’entraîneur du SC Braga fin 2019, il n’a que 34 ans. Le jeune joueur retraité adopte des idées de jeu en accord avec son temps. Depuis, le 3-4-3 ne l’a ainsi presque jamais quitté. Deux pistons dynamiques participant activement aux offensives, une grande mobilité entre les attaquants, des défenseurs qui savent se projeter : Amorim aime avoir des joueurs polyvalents capables d’apporter des solutions dans plusieurs zones du terrain. Pour Filipe Balreira, journaliste du quotidien national Record, « cette équipe se démarque par ses facultés défensives, Amorim travaillant énormément sur l’alignement défensif ». Cet aspect a été l’une des forces des Lions il y a quelques jours face à Tottenham, les Spurs ayant été mis hors jeu cinq fois sur des actions dangereuses. En phase défensive, le 3-4-3 se mue en 5-2-3 avec des pistons qui s’alignent avec le trio défensif. Le milieu défensif, aujourd’hui Manuel Ugarte, verrouille l’axe devant cette ligne. Les quatre autres joueurs sont quant à eux très sollicités au pressing. Jérémy Mathieu, ancien défenseur du FC Barcelone et du Sporting, a été sous les ordres d’Amorim en 2020 : « Il a révolutionné le Sporting, tranche-t-il. Il a apporté une exigence que je n’avais connue qu’avec Luis Enrique au Barça. Ça a payé dans le jeu, dans les titres(le Sporting est sacré champion en 2021, NDLR)et maintenant en Ligue des champions. »
La clé du succès de ce schéma n’est pas seulement du fait de Rúben Amorim. Elle réside aussi dans sa coordination avec le président Varandas pour faire fonctionner un projet sportif durable. À chaque mercato arrivent des joueurs dont le profil est validé par l’entraîneur et qui correspondent à son style de jeu. Le Sporting a aussi misé sur les joueurs en vue du championnat pour recruter à moindres frais des éléments plus faciles à intégrer. Pedro Gonçalves et Ugarte sont arrivés de Famalicão, Nuno Santos et Matheus Reis de Rio Ave, Morita de Santa Clara et Marcus Edwards du Vitória SC. Aujourd’hui, chacun de ces joueurs est devenu une pièce maîtresse du SCP. Pour Jérémy Mathieu, le succès de ces joueurs au Sporting s’explique en partie par la personnalité de leur entraîneur : « Il est assez cool dans sa façon d’être, il met tout le monde à l’aise dans le vestiaire et surtout, il ne lâche personne. Ça donne envie de tout donner pour lui et pour l’équipe », conclut-il. Seul hic à cette coopération Amorim-Varandas, les départs de certains joueurs. Cet été, c’est le départ de Matheus Nunes pour Wolverhampton qui a fait grincer des dents l’entraîneur, alors que la direction semble avoir poussé pour un départ très lucratif.
Alcochete développe chaque année de jeunes joueurs de grand talent. Là où Rúben Amorim est aussi parvenu à imposer sa patte, c’est justement dans la confiance qu’il a su placer en ses Lionceaux. Après avoir participé à l’éclosion de Trincão et David Carmo à Braga, il intronise au Sporting des joueurs comme Nuno Mendes ou Gonçalo Inácio tout en lançant certaines promesses vertes. Parmi elles, Gonçalo Esteves, Nazinho ou encore Dário Essugo qui avait à peine 16 ans en mars 2021. « Étant un entraîneur jeune n’ayant pris sa retraite que récemment, il réussit à être proche des jeunes et comprend leurs attentes », souligne Filipe Balreira. Néanmoins, cette tendance s’est largement tassée par rapport aux débuts de l’entraîneur à Lisbonne. Malgré ses excellentes prestations, le jeune Daniel Bragança n’a par exemple jamais trouvé grâce aux yeux de Rúben Amorim. Même état de fait pour le jeune José Marsà qui a encore du mal à gratter du temps de jeu en A.
Une crise d’ado rugissante
L’arrivée d’Amorim dans le club lisboète a ainsi permis la guérison des nombreuses crises internes. Ce dernier connaît néanmoins la sienne depuis quelques mois, comme il l’a lui-même avoué. Il y a d’abord la problématique du numéro 9 au Sporting, une question primordiale depuis l’arrivée de Rúben Amorim. Lors de la saison du titre en 2020-2021, ce dernier avait dû faire sans réelle option dans ce secteur, se reposant essentiellement sur des ailiers ultra-décisifs. L’arrivée de Paulinho, en février 2021, devait résoudre cette problématique. En vain. Malgré tout, son entraîneur s’est presque toujours entêté à en faire un élément indiscutable de son onze. Islam Slimani expliquait cet été sur Twitter en avoir fait les frais. Ses bonnes prestations auraient même dérangé un entraîneur préférant la réussite de Paulinho, qu’il avait rapatrié de Braga un an plus tôt. Filipe Balreira voit les choses autrement. « Amorim traite tous les joueurs de la même façon et demande de donner le meilleur aux entraînements. De son point de vue, Paulinho est un exemple en cela », précise le journaliste. « Avec Amorim, tu peux perdre, mais tu ne peux pas tricher, confirme Jérémy Mathieu. On doit toujours se donner à 100%, surtout aux entraînements. Au début, je ne le faisais pas, donc il m’avait convoqué dans son bureau pour me demander de donner l’exemple. » C’est d’ailleurs sur ce point que l’entraîneur disait ne pas être convaincu par l’international algérien.
La crise d’adolescence de ce Sporting sauce Amorim ne s’arrête pas là et s’étend aux résultats du club en ce début de saison. Une débâcle face à Porto, des défaites contre Chaves et Boavista : au total, ce sont déjà 11 points qui ont été laissés en route par les Lions. Principale raison de ce phénomène, le départ de Matheus Nunes qui a encore du mal à être comblé. Au milieu de la tempête, une belle éclaircie du nom de Ligue des champions. Après une victoire détonante à Francfort, les Lisboètes ont maîtrisé une rencontre difficile face à Tottenham avant d’en venir à bout en fin de match avec deux buts inscrits coup sur coup. De quoi passer en tête d’un groupe D très homogène, avant d’affronter l’OM ce mardi. « En Ligue des champions, le Sporting peut jouer plus relâché, avec moins de pression, car les équipes en face sont meilleures sur le papier, analyse Filipe Balreira. Le fait de jouer en contre-attaque est aussi un atout puisque c’est là où le Sporting est le plus fort. » Espérons pour les hommes d’Igor Tudor que la couleur bleue leur offre le même résultat qu’au FC Porto.
Par Amaury Gonçalves, à Lisbonne
Tous propos recueillis par AG.