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Rooney, le dernier sourire

Par Maxime Brigand
Rooney, le dernier sourire

C'est son dernier défi. Lui ne court plus que pour les records. En inscrivant dimanche à Anfield son 242e but avec Manchester United, Wayne Rooney a écrit une nouvelle ligne sur son CV, devenant le meilleur buteur de l'histoire de son club depuis le début de l'ère Premier League. Il n'est plus qu'à sept buts de Sir Bobby Charlton. Juste à côté des légendes.

Le bout du pied de Freddie Ljungberg et la réponse, quatorze minutes plus tard, de Tomasz Radzinski. C’est un match comme les autres. Goodison Park s’est paré du bleu vif de l’Everton Football Club. Arsenal est leader et vient ce jour-là en démonstration devant 30 000 personnes. Les hommes d’Arsène Wenger n’ont plus perdu depuis le 18 décembre 2001 et une défaite contre Newcastle (1-3). On se dirige vers un match nul anecdotique. Wenger tient son point alors qu’il range les siens au fond de ses poches. Nous sommes le 19 octobre 2002, il y a treize ans, deux mois et 29 jours. Arrivé pour sortir Everton du marasme quelques mois plus tôt, David Moyes, l’ancien entraîneur de Preston North End, se dirige alors vers son banc et appelle l’un des enfants de Liverpool. Il reste à peine plus d’une dizaine de minutes à jouer. La veste tombe et laisse apparaître le numéro 18 accompagné de six lettres distinctes. Le gamin n’a que seize ans. Il en aura dix-sept cinq jours plus tard. Il s’appelle Wayne et ne jure que par le football. Plus encore, il pue le football. Il n’est encore personne ou pas encore. Jusqu’à la quatre-vingt-dixième minute de la rencontre. Jusqu’à ce que le jeune Wayne contrôle le ballon et se retourne, qu’il lève une fois la tête avant de faire se lever Goodison Park. Par la pureté d’un geste de buteur : une frappe dans une lucarne.

Et Ferguson s’inclina

Wayne Rooney n’avait alors que le simple statut de prodige. Shrek pour certains, Wazza pour d’autres. La naissance à Goodison Park est loin, très loin derrière les 258 buts qu’il a inscrits depuis. Il a quitté le bleu d’Everton pour le rouge de United. Celui de Manchester. Une histoire débutée en août 2004 dans ce qui reste encore à ce jour comme la plus grande effervescence depuis Michael Owen. On parle de 83 kilos qui portent à eux seuls 358 matchs de Premier League, cinquante de coupes et 91 sorties européennes. On parle surtout de 191 buts en Premier League. Un seul homme a fait encore plus beau, encore plus fort, Alan Shearer et ses 260 réalisations. Sauf que Wayne Rooney, c’est aussi des records : onze saisons consécutives avec plus de dix buts depuis 2004, meilleur buteur de l’histoire de l’Angleterre (51 buts) ou encore, le meilleur buteur en Premier League sous un seul et même maillot devant Thierry Henry (176 buts). Dimanche, Rooney a inscrit cette dernière ligne à sa table des records. L’enfant de Croxteth l’a fait devant ceux qu’il déteste le plus et là où il aime le plus briller. À Anfield, face à Liverpool, comme le 15 janvier 2005. À l’époque, Sir Alex Ferguson était au bord de la pelouse. Cette fois, l’Écossais était encore là, en tribunes. Aux côtés de Sir Bobby Charlton.

Un but pour l’histoire. Celle d’un club. Une légende qui tient parfois à un détail. Car il y a quelques années, Wayne Rooney aurait pu trahir sa belle. Il aurait pu quitter Manchester United pour Manchester City, faire briller l’Etihad Stadium et devenir un autre symbole. C’était en octobre 2010, refusant de prolonger son contrat – officiellement pour remettre en cause « la faculté de United à attirer des joueurs de classe mondiale » – pour obtenir une revalorisation salariale démentielle. Il aurait également pu ne jamais mettre les pieds à Carrington si Everton avait accepté à l’époque l’offre de 20 millions de livres transmise par les dirigeants de Newcastle United. Son histoire d’amour avec Manchester United tient un peu de la démesure dans un club où Ferguson s’était toujours attaché à ne pas faire dépasser une tête plus haut que l’institution. Wayne aime l’argent et ses services valent de l’or. Dans son dernier livre, Sir Alex Ferguson expliquera sa colère au moment d’apprendre que Rooney était payé deux fois le salaire de l’entraîneur. Mais sans lui, Manchester United ne serait peut-être pas là où il en est aujourd’hui.

Un brassard et de la haine

Car en douze ans, Wayne Rooney a tout connu à United. La liesse avec cinq titres de champion, une Ligue des champions et plusieurs distinctions personnelles. Le génie aussi avec une première titularisation face à Fenerbahçe, à Old Trafford le 28 septembre 2004, ponctuée par un triplé et une passe décisive. La colère aussi dans un club qui vit aujourd’hui dans l’ombre de son passé, mais également sur ce titre perdu à la dernière seconde en 2012. Mais au fond, Rooney a toujours gardé cette guerre interne pour la victoire, cette haine de la défaite, au point de devenir capitaine de Manchester United. C’est là son dernier objectif : laisser une dernière trace, indélébile, et effacer le record de buts pour le club de Sir Bobby Charlton. Ce que Charlton a fait à 249 reprises en 758 apparitions, Rooney devrait le faire en moins de 600, lui qui n’est plus qu’à sept buts de la légende. L’international anglais aime Manchester. Manchester aime Rooney. C’est le destin des légendes, même si lui n’est pas né ici, à l’inverse de Giggs ou de Scholes.

Cette force, Wayne Rooney l’a puisée dans sa capacité à briller dans les moments où il se sait attendu. Dimanche, à Anfield, le numéro 10 a donné la victoire aux siens dans le plus grand sommet du football anglais. En d’autres jours merveilleux, il l’a fait face à Manchester City avec des gestes proches de la grâce. Il a aussi marqué contre Arsenal, un triplé notamment en août 2011 (8-2), et souvent en Europe, où il est encore à ce jour le joueur anglais le plus prolifique de l’histoire. Alors oui, on aime Wayne Rooney. Beaucoup. Parfois, on peut aussi le détester. Car il agace par sa propension à discuter chaque décision arbitrale. Car il n’est pas le gendre idéal. Car il est plus Gascoigne que Beckham. Car aussi, il n’a plus 25 ans et on ne sait plus trop comment l’installer sur le terrain. Mais plus que jamais il brille par l’instant. La grâce de l’instant. En short et en crampons. À Old Trafford ou ailleurs, il est une partie de l’histoire du football moderne. On ne le voit plus comme avant, mais il est pourtant là. Sur un ballon qui ressort, une faille qui s’ouvre dans la course aux records. Comme le dernier vestige du Manchester United qui riait. Et il ouvre, encore, ses bras face à son peuple. Et il tombe, encore, à la renverse, sur la pelouse. Le sourire, toujours.

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