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Roberto Lopes, le Requin vert

Par Andrea Chazy
Roberto Lopes, le Requin vert

Bien entré dans sa CAN à la suite d'une courte victoire sur l’Éthiopie (1-0), le Cap-Vert espère valider son billet pour la suite de la compétition ce jeudi face au Burkina Faso. Pour cela, il pourra compter sur sa tour de contrôle arrivée tout droit de Dublin qui répond au nom de Roberto Lopes. Portrait d’un Requin bleu venu des eaux glacées de la mer d’Irlande qui a bossé dans une banque et qui découvre sa deuxième famille.

Au Cap-Vert, une victoire en Coupe d’Afrique des nations n’est jamais banale. Il y a huit ans, les Requins bleus décrochaient pour la première fois le droit de s’inviter à la table du gotha africain. Júlio Tavares, l’ancien buteur de Dijon, est l’un des rares à avoir pris part aux trois épopées du Cap-Vert à la CAN. Comme un symbole, c’est l’attaquant d’Al Faisaly (Arabie saoudite) qui a offert d’un coup de boule la victoire face à l’Éthiopie lors du match d’ouverture (1-0). Derrière Tavares, du côté de la défense à trois mise en place par Rui Águas, Roberto Lopes vit, lui, un rêve éveillé. « Je pense que si quelqu’un m’avait dit il y a cinq ans : « Roberto, tu vas disputer la CAN avec le Cap-Vert en 2022 », je lui aurais ri au nez », se marre le numéro 4 cap-verdien. Modeste, Roberto Lopes ? Sans aucun doute, mais aussi conscient de la réalité. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on grandit à 4300 kilomètres du pays que l’on représente ? « Je n’aurais jamais imaginé, même dans mes rêves les plus fous, me retrouver là. Ma vie a complètement changé. » Des phrases bien trop sérieuses pour un mec qui a vu sa vie changer à cause d’une blague.

Retour en 2016. Quelques semaines avant que les fans irlandais ne contaminent la France de leur bonne humeur lors de l’Euro, Roberto Lopes lâche une phrase qui va changer sa vie. À bientôt 24 ans, l’enfant du Bohemian FC – le plus vieux club du pays fondé en 1890 – vient de boucler sa dernière saison dans son club formateur et évolue aux côtés d’Ayman Ben Mohamed. Le futur joueur du HAC est un binational irlando-tunisien et vient d’être appelé pour la première fois par Sami Trabelsi, le sélectionneur tunisien de l’époque. Lopes, qui répond alors aux questions d’un journaliste, glisse sans vraiment y croire : « Mon papa vient du Cap-Vert, je pourrais moi aussi commencer à réfléchir à une carrière internationale ! » Une boutade qui passe inaperçue sur le coup. Il faut dire qu’à l’époque, devenir international n’est pas vraiment la priorité de « Pico » ( « l’enfant solide » , le surnom donné par son père).

« Grâce à Dieu, on a sauvé les testicules »

Roberto vit à Crumlin, un quartier « idéal pour élever une famille » à Dublin, où il a grandi avec ses parents et ses deux frères. Son club n’ayant pas les ressources pour filer des contrats pros dignes de ce nom, le jeune Irlandais, qui vient de boucler un bachelor à l’université, bosse dans une banque, d’abord comme guichetier, avant une promotion comme courtier en hypothèque. Son job ne le passionne pas vraiment, et les journées sont longues : « Je me levais à 7h30, je prenais un petit déjeuner et je montais dans ma caisse pour aller bosser dans une banque où je travaillais de 9h à 17h30-18h, rejoue Roberto. Ensuite, je devais me dépêcher d’aller m’entraîner avec les Bohemians. Derrière, je rentrais chez moi, je mangeais puis j’allais dormir. Le lendemain, c’était pareil. Bref, c’était dur. » À la fin de l’année civile (2016), lorsque les Shamrock Rovers lui proposent un contrat pro, Lopes met fin aux cadences infernales en acceptant de rejoindre le rival des Bohemians.

Fini les journées interminables, place à la récupération et aux séances de muscu : Roberto Lopes a désormais tout d’un joueur professionnel lambda. Le début d’un conte de fées ? Cela y ressemble, même si dès sa deuxième saison chez le mastodonte de l’Irish Premier League aurait pu être la dernière. « Le matin d’un match face aux Bohemians, je me suis réveillé avec une douleur dans le bas-ventre et j’ai cru à une crampe d’estomac ou quelque chose dans le genre », explique Roberto. La suite va vous étonner… « Et puis au fur et à mesure, j’ai compris que la douleur se situait au niveau des testicules. J’ai appelé le médecin qui m’a dit de venir. Il m’a fallu 15 minutes pour y arriver et, à ce moment-là, la douleur avait été multipliée par 10. Le doc m’a dit : « Oui, vous vous êtes tordu le testicule. »  » La douleur est de plus en plus atroce, sa mère l’emmène à l’hosto pour qu’il soit opéré et le happy end arrive enfin : « On a sauvé les testicules, grâce à Dieu ! » sourit celui qui n’a rien d’un eunuque aujourd’hui. « J’aurais aimé te raconter une bonne histoire, où il se serait passé un truc avec ma copine, mais non… Je crois que j’avais juste dormi dans une mauvaise position. »

À quoi ça se joue, une carrière de footballeur pro ? À une journée cauchemardesque comme celle-ci ou bien à un message LinkedIn laissé en « vu » . Dans le cas de Pico, c’est la deuxième option qui a failli lui coûter le plus cher. Inscrit sur le réseau social préféré des quadragénaires en quête d’histoires inspirantes, Roberto reçoit un message en portugais au mois d’octobre 2018 d’un certain Rui Águas. Il l’ignore, pensant que c’est un spam. Onze mois plus tard, Águas revient à la charge avec un « Inmail » en anglais clair comme de l’eau de roche : « L’opportunité tient toujours, y as-tu réfléchi ? » Le défenseur central irlandais se décide alors à traduire le premier message de son futur sélectionneur. Au fur et à mesure qu’il déchiffre la langue d’Eusébio, il se liquéfie. « Le coach me disait qu’il recherchait de nouveaux joueurs pour l’équipe nationale, il voulait savoir si j’étais intéressé. Je me suis tellement excusé d’avoir répondu quasiment un an après… (Rires.) » Un mois plus tard, le 10 octobre 2019, Roberto Lopes est convié à Marseille, au stade Parsemain, pour sa première cape face au Togo en amical (victoire 2-1). Le premier chapitre de sa nouvelle vie.

Cap ou pas Cap-Vert ?

Au cœur de la sélection cap-verdienne, Roberto Lopes arrive « dans une deuxième famille » dont il ne connaît quasiment rien. « Forcément, avant d’arriver, j’étais un peu nerveux, car je ne savais pas si les gars allaient parler anglais ou pas, si ça allait le faire, explique Lopes. Mais ils ont été top dès le départ. » Le deuxième jour, le traditionnel bizutage en chanson des nouveaux venus doit se faire en créole cap-verdien. Un imprévu qui pousse Roberto à se ruer sur Spotify et à se rabattre sur une chanson appelée « Dança Mami Creola » de la légende locale Tito Paris. « Ce n’était pas terrible, crois-moi, mais j’ai donné le meilleur de moi-même ! » Un choix par défaut qui n’en aurait peut-être pas été un si, petit, Roberto avait baigné dans la culture de son pays d’origine. Car s’il a beau être allé deux fois sur l’île de São Nicolau, la terre familiale où habite son grand-père, personne ne lui avait jamais parlé créole à la maison. « Mon père a quitté le Cap-Vert lorsqu’il avait seize ans, il est allé au Portugal, puis il a bossé comme marin sur des paquebots danois. Il a parcouru le monde et un jour, il a rencontré ma mère, alors en mission humanitaire, sur un bateau irlandais. The rest is history ! » glousse Roberto. L’air marin, c’est ce qui pousse peut-être aujourd’hui l’homme de 29 ans à passer son temps libre principalement du côté de Dún Laoghaire, un promontoire réputé de la capitale irlandaise pour ses balades et ses baignades rafraîchissantes.

Un coin plus tranquille que la terre de surf qu’est le Cap-Vert et que Roberto, poussé par Leah, sa copine prof d’histoire, découvre petit à petit. Même si la barrière de la langue ne lui permet pas d’avancer autant qu’il aimerait. « Forcément, à force de nous côtoyer, il comprend mieux, mais il est encore loin de la parler », explique Steven Fortes. Le Lensois, prêté à Ostende et qui évolue aux côtés de Pico en défense, loue néanmoins la volonté d’intégration de son nouveau coéquipier « plutôt calme et posé ». « Il fait vraiment l’effort de s’intégrer, et nous, quand on est avec lui, on lui traduit les choses quand tout le monde rigole ou lorsqu’il y a un délire pour qu’il ne soit pas comme un con au milieu de nous, quoi. » De son propre aveu, ces moments de flottement amusent plus l’intéressé qui y va aussi de son anecdote : « Beaucoup de joueurs parlent créole sur le terrain, et je me rappelle qu’il y a quelques mois, notre gardien Marçio me disait quelque chose comme :« Gana, Gana, Gana » dans le sens « gagne le ballon ». Moi, je comprenais : « Calm, Calm, Calm. » Je lui ai donc dit : « Désolé Marçio, la prochaine fois utilise un autre mot si tu peux ! » »

Balle au pied, en revanche, Roberto Lopes n’a pas de problème à se faire comprendre par ses coéquipiers. « Réputé fort sur l’homme » selon les dires de Fortes, celui qui rêvait ado du Brésil de Ronaldo et Ronaldinho reconnaît qu’il n’a pas vraiment les mêmes caractéristiques que ses idoles de jeunesse : « De prime abord, c’est vrai que j’ai pu ressembler physiquement à un joueur brésilien technique, mais j’ai plus les qualités d’un véritable défenseur.(Rires.) » Cela tombe bien : pour aller loin dans cette CAN, le Cap-Vert aura besoin d’une arrière-garde solide pour faire face aux attaques redoutables du Cameroun, du Nigeria, de l’Algérie ou encore du Sénégal. Avec le rêve d’aller au bout ? Roberto veut y croire : « Dans le tunnel, avant notre premier match, je ne pensais pas à autre chose qu’au match à venir. Mais la veille et même l’avant-veille, je réalisais le chemin parcouru en me disant qu’il y a encore quelques années, je jouais au foot, certes, mais je travaillais aussi dans une banque. Si on gagne la CAN ? Je crois que je pourrais faire la fête pendant un an. »

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Par Andrea Chazy

Tous propos recueillis par AC.

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