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Riccardo Pecini, parole de scout

Par Mathis Rouanet
Riccardo Pecini, parole de scout

Chez les Pecini, le scouting est une affaire de famille. Biberonné aux terrains paumés du fin fond de l'Italie, Riccardo a été initié par son papa, Aldo, référence en la matière, avant de devenir à son tour une valeur sûre du Vieux Continent, en recrutant, notamment, Modrić à Tottenham, Martial à Monaco et Icardi à la Sampdoria.

« J’ai commencé à l’accompagner quand j’étais très jeune. Je pense que c’est à ce moment-là que je suis tombé amoureux de ce métier. » Comme le raconte Riccardo Pecini, sa relation avec le scouting a débuté très tôt, grâce à son père Aldo. Et quoi de mieux que de découvrir ce monde si particulier aux côtés d’un pionnier ? « Il est d’une génération qui a professionnalisé ce travail. Il a couvert la CAN en Afrique du Sud (en 1996, NDLR) et il y a passé un mois, rembobine le fils de l’ancien professeur. Les voyages étaient différents à l’époque, il n’avait pas de téléphone. Ce genre d’expérience, tout le monde le respecte. Il a également trouvé des top players. » Julio César présenté à l’Inter et Jérôme Boateng envoyé à Manchester City font partie de ces prises de prestige.

« Les Maldini du scouting »

Marchant dans les pas de son mentor, Riccardo présente lui aussi un joli parcours. En témoignent les clubs fréquentés, de la Fiorentina à La Spezia, en passant par Tottenham, Empoli, Monaco ou la Sampdoria. Qui plus est, l’homme de 44 ans a décelé des pépites partout où il a officié. Son plus gros coup ? La découverte de Luka Modrić au Zrinjski Mostar en Bosnie par pure coïncidence, avant d’aller le voir une vingtaine de fois et de mettre le grappin dessus quand il couvrait l’Italie et les Balkans pour Tottenham. Et même si le Croate pouvait être considéré comme frêle pour la Premier League, son intelligence de jeu a sonné comme une évidence. Les arrivées de Fabinho ou d’Anthony Martial sur le Rocher et celles de Milan Škriniar, Patrik Schick ou Mauro Icardi à Gênes sont toutes également marquées du sceau de l’Italien. Cette réussite familiale, aux allures de dynastie, a même valu aux Pecini le surnom de « Maldini du scouting » : comme Cesare a transmis à Paolo le gène de l’AC Milan, Aldo, lui, a transmis à son fils celui du recrutement. En effet, de sa période passée à suivre son paternel, Riccardo a assimilé de précieux conseils, qu’il applique encore : « J’ai retenu qu’on pouvait repérer un joueur à chaque match. J’ai appris à analyser. Je ne suivais pas les matchs en tant que supporter, mais pour comprendre le jeu en lui-même. Quand tu vois un joueur pour la première fois, tu vas aimer l’un de ses aspects, cependant c’est important de noter ce qui ne va pas et si tu peux le corriger. C’est ce que mon père m’a dit : « Ne regarde pas seulement le bon, mais aussi le mauvais ». » Lui demande-t-il toujours des suggestions ? « Nous sommes devenus concurrents », s’amuse le scout dont le papa exerce à 71 ans à Modène.

Je suis très heureux d’avoir signé Obbadi à Monaco.

Riccardo Pecini

Le fils, natif de Fivizzano en Toscane, a progressivement imposé sa propre patte. De ses cibles, il ne scrute pas uniquement les qualités (et les défauts) footballistiques. En effet, le recruteur apporte une attention particulière au volet humain. « Il veut connaître la famille, savoir si le jeune est capable de s’adapter et il va vérifier ces aspects en personne », introduit Lorenzo Mangini, journaliste pour la Repubblica et spécialiste de la Sampdoria. Riccardo Pecini précise sa démarche : « J’estime que cet aspect est très important dans le foot moderne. Les réseaux sociaux, les médias, la pression, tu dois vérifier si les joueurs sont prêts pour l’environnement du haut niveau. Pour cela, tu dois les rencontrer. » Ainsi, malgré la découverte de grands talents, dont un futur Ballon d’or, l’ancien directeur technique de l’ASM préfère étonnamment revenir sur une autre de ses trouvailles : « Je suis très heureux d’avoir signé Mounir Obbadi à Monaco. Bien entendu, Martial, Škriniar et Schick étaient brillants, mais je pense que tout le monde en France surveillait Martial. Škriniar aussi c’était fantastique, parce qu’on l’a fait venir du MŠK Žilina et que personne ne pensait qu’il pourrait passer cette étape. Pourtant, je retiendrai tout de même Obbadi, car on aurait pu acheter n’importe qui, mais le bon joueur était Mounir. » La signature du milieu de terrain marocain atteste d’un principe cher aux yeux du scout : « Le plus important, c’est de signer le bon joueur pour l’entraîneur et au bon moment, plutôt que de signer le meilleur joueur du monde. Tu peux voir un joueur très intéressant, mais si tu constates qu’il n’est pas bon pour le coach avec qui tu travailles, tu dois le zapper. J’ai vu beaucoup de clubs acquérir de très bons joueurs qui n’étaient pas adaptés aux besoins de l’entraîneur. »

L’instinct du chasseur

Riccardo Pecini a toujours dû s’adapter. Au budget, déjà, comme à la Sampdoria, Empoli ou La Spezia où tout était pesé. Aux évolutions du métier aussi, avec l’émergence de la data et le développement d’un football ultraconnecté, où les nouvelles pépites sont remarquées de plus en plus vite. Son secret ? Son sens de l’anticipation, comme le détaille Lorenzo Mangini : « Il a toujours regardé les marchés qui sont moins bien considérés, comme l’Europe de l’Est ou la Scandinavie. Il étudie attentivement les tournois internationaux U16, U17, U18, donc il est capable de prévoir l’émergence d’une génération dorée dans tel ou tel pays. » C’est ainsi que Pecini, surnommé aussi « l’Uomo delle plusvalenze » (l’homme des plus-values) en raison des bénéfices tirés des ventes de ses recrues, a déniché Mikkel Damsgaard à Nordsjælland un an avant son bel Euro. Plus récemment, à La Spezia, le recruteur est allé chercher Jakub Kiwior au MŠK Žilina. Acheté 2,4 millions d’euros, le défenseur polonais a rejoint Arsenal cet hiver pour un montant dix fois plus élevé. « Si je vais en France, il y a du potentiel, mais beaucoup de concurrence. Donc je vais où personne ne va. Les joueurs sont partout, donc aucun voyage n’est une perte de temps », insiste le scout.

Plus petit est le stade, mieux c’est. J’adore arriver avant le coup d’envoi, éprouver l’ambiance, c’est très instinctif.

Riccardo Pecini

À l’image de sa discrétion, naturelle mais aussi liée à sa profession, c’est lorsqu’il se rend dans une enceinte étriquée que Riccardo se sent dans son élément : « Plus petit est le stade, mieux c’est. J’adore arriver avant le coup d’envoi, éprouver l’ambiance, c’est très instinctif, décrit-il avec une voix enjouée. Beaucoup de gens aiment surtout la Ligue des champions. Je préfère un match secondaire car on y voit un football plus brut. Je suis meilleur quand je sens les joueurs sur le terrain. »

Qui veut recruter le recruteur ?

En dépit de cette belle trajectoire, Riccardo Pecini – actuellement sans poste depuis son départ de Spezia en septembre dernier pour des divergences avec la direction – n’a pas encore eu l’occasion d’accéder aux meilleures écuries européennes. C’est probablement ce qui lui manque pour marquer son époque, à l’image de son père (passé notamment par la Fiorentina des années 1990, l’Inter des années 2000 et la Juventus des années 2010 ou dernièrement par le Napoli). « Je me moque souvent de lui en disant qu’il pourrait vivre 200 ans, le vrai Pecini restera Aldo, plaisante Lorenzo Mangini, avant d’enchaîner, plus sérieusement. C’est possible qu’il ne soit pas valorisé à sa juste valeur. Il n’a pas été dans un grand club, et je pense que c’est le moment pour lui de passer un cap. » Si son nom a été évoqué du côté de Toulouse, où il aurait pu retrouver Damien Comolli, connu à Tottenham, c’est peut-être le moment pour Riccardo d’écrire sa légende, comme l’a fait Paolo Maldini en réalisant ses propres exploits et dépassant son père dans l’imaginaire collectif. À l’instar de la mythique famille milanaise, un autre Pecini œuvre d’ailleurs dans le football. Nicola, le frère de Riccardo, a notamment travaillé en tant que directeur du football à Olhanense, au Portugal. Pour le scout transalpin, cette comparaison constitue déjà une immense fierté. « Quand j’ai rencontré Maldini, j’étais excité parce que dans ma tête, c’était le genre de personne qu’on ne peut pas approcher. Les Maldini sont d’un autre niveau que les Pecini bien sûr. Rien que de mettre ce nom à côté du mien me rend heureux. » Jusqu’à ce qu’il soit lui, à la découverte de la prochaine dynastie qui émoustillera le foot.

Par Mathis Rouanet

Tous propos recueillis par MR.

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