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Reno, le sanglier footballeur

Par Pierre Boisson
Reno, le sanglier footballeur

Reno a 6 ans, vit dans un hameau en périphérie de Limoges, affiche 140 kilos sur la balance et n'a qu'une passion, le football. Autre particularité : c'est un sanglier domestique. Rencontre à l'heure du café avec un chic animal et ses maîtres.

« Comme le dit mon mari, cet animal-là, ça te fait disparaître un cadavre. Si quelqu’un descend là la nuit, mon Reno il l’attaque, il le tue, et il le mange. » Sabots en plastique rose fluo aux pieds et tatouages à l’encre bleu sur les épaules, Josiane Poulain dodeline dans l’arrière-cour d’une ancienne ferme et fait les présentations avec celui qu’elle décrit comme un assassin, mais qu’elle a fait animal domestique. Reno, donc : un sanglier de 140 kilos ( « mon mari dit ça, mais je crois bien qu’il fait un peu plus » ), démarche nonchalante et grognement agressif, recueilli par les Poulain six ans auparavant, un samedi de jour de chasse en Limousin. « C’est le chirurgien qui me l’a ramené, rembobine Josiane en balançant des arlequins dans l’enclos, sans enlever le film plastique. Il l’avait trouvé à la chasse, blessé, tout petit. Moi, je pensais qu’il allait crever. Mon mari est chasseur, il me l’a dit. « Oh, il va crever. » Bah non. Il a été élevé sous la cheminée, comme je fais à mes chiens. Il allait faire ses crottes et son pipi sur les journaux. » Baptisé Reno « parce que j’aime bien l’acteur Jean Reno, et parce qu’ils se ressemblent » , le petit sanglier a depuis tenté de défoncer la porte du salon et cessé de porter les enfants sur son dos : il a grandi. « On prend un bâton quand on y va maintenant, témoigne Josiane en caressant pourtant le groin de l’animal à travers le grillage. Il veut pas nous faire de mal, mais il aime jouer ou alors il croit qu’on a à manger dans nos poches. S’il« machine » sa tête comme ça, c’est vite fait : ses défenses, c’est des lames de rasoir. Et il a ses moments de folie. Il tourne en rond comme ça, il jappe. « Bou-hou-houho », qu’il fait. « T’es un peu fou toi aussi dans ta tête », je lui dis. Quand il est comme ça, personne peut l’arrêter, pendant 15 ou 30 minutes, il court partout et finit par se jeter dans sa piscine pour se refroidir le sang. Sinon il est mignon. »

Dormir, manger, jouer au foot, manger, dormir

Malgré les coups de folie, Josiane regarde toujours son bébé avec les yeux de l’amour. « Tu as vu ce qu’il est beau, et son poil lisse, dit celle qui parle beaucoup de son mari, plus encore de son sanglier.J’adore le brosser, je le coiffe avec une étrille. Il veut bien que j’lui caresse sa gueule, son dos tout ça, mais l’endroit que j’ai envie de toucher, c’est les oreilles bien sûr, car c’est le seul endroit qui est doux. Il me laisse un peu, mais après il commence à me faire « rhhhhhhh ». Alors là, j’ai compris, j’arrête. » Car quand Reno s’énerve, mieux vaut lever les jambes : par inadvertance ou par colère inopinée, Reno a transformé la partie du jardin qui lui est réservée enno man’s land. Des blocs de ciment fracturés à coups de défenses, de la boue, des trous béants et, au milieu, des dizaines de cadavres : des ballons de foot. Avant d’être un des seuls sangliers domestiques de France, « le » Reno est en effet d’abord un joueur de ballon. « Tout ce qui est un peu rond, il s’amuse avec. Des balles de tennis, des bouteilles vides, un bidon. Il joue tout le temps au football. » Devant son double album photo ouvert sur la table en bois de la cuisine, alors que le mari parle bicyclette ( « T’as regardé le tour d’Espagne ? Qu’est-ce que c’est beau, ce tour » ), Josiane déroule les souvenirs de jeu. Reno avec un ballon de foot. Reno en plein match. Reno et le Joga Bonito. « Son geste préféré, c’est de prendre le ballon comme ça avec son groin, le balancer en l’air, courir derrière, et le rattraper. Après il recommence. » « Il a longtemps joué avec les enfants, dit-elle. Les gosses jouaient au ballon et lui, il courait derrière, il allait le chercher. Maintenant, il ne peut plus jouer avec. Mon petit-fils qui a 10 ans, je lui dis : « N’y va pas, si jamais il veut te tarabouler, on sait jamais. » L’autre jour, il a fait tomber sa balle de tennis, on l’a jamais retrouvée. Reno a dû la manger. »

Avec l’âge est effectivement venu l’appétit. Bananes, gâteaux, BN, tartes aux fruits, rats, croquettes, pain et confiture d’abricot au petit dej’, nouilles, dates, noisettes, poissons, œufs tous les soirs, pattes de poules, le sanglier avale tout. Josiane confesse : Reno est moins agile qu’avant. Et préfère désormais avaler les balles que jongler avec. « Il en a bien mangé plus d’une vingtaine. Oooooh oui. Le premier qu’on avait acheté, on l’avait pris en cuir. Et après, on a acheté des similis à 4-5 euros chez Décathlon, mais il les a eues quand même. J’en rachetais à chaque fois, il fallait bien qu’il joue avec quelque chose. Et après, quand je l’ai raconté à mon mari, il m’a dit « oh, je vais boire du pinard en cubi. »Donc, maintenant, il joue avec des cubis. C’est un joueur, ah ça oui. En même temps, il a que ça à faire. » Vrai. Dormir, manger, jouer au foot, manger, dormir : le quotidien d’un joueur de foot est aussi celui de Reno, qui s’en accommode en grognant et qui sèche parfois, lui aussi, l’entraînement. « Monsieur ne veut pas jouer tous les jours, défend Josiane, en brossant le crin de la bête.Il y a des jours où tu as envie de jouer au foot et des autres non. Quand le temps est mou comme ça, le Reno, il aime pas trop. »

4 ans d’illégalité

La romance entre Josiane et son sanglier a pourtant bien failli prendre fin en septembre 2013. Élever une bête de 140 kilos qui dévore des cadavres est en effet prohibé par le code pénal et, après quatre ans de vie dans l’illégalité, Josiane et Gérard Poulain se sont fait moucharder. « Un sacré con, celui qui a fait ça, vrombit la maîtresse de l’animal.Mais on savait bien qu’un jour où l’autre un jaloux nous dénoncerait. » Heureusement pour Josiane, dans cette France où l’on tutoie à la troisième personne ( « il veut un autre café ? » ) et où l’on parle des « fédéraux » , il y a une loi au-dessus de celles de la République : la loi des notables de province. « Quand les fédéraux sont venus, ils étaient quatre, plus un flic. Mais j’ai pas eu de problèmes, parce que celui qui a trouvé Reno, c’est le chirurgien, quelqu’un de très connu à Limoges. Quand je l’ai dit aux fédéraux, il m’ont regardé et m’ont dit« Oh, ça n’ira pas loin cette histoire. » Maintenant, on est légal, faut juste qu’on lui fasse une bague à l’oreille et on est tranquilles. » Manière de parler : un sanglier vivant entre 25 et 30 ans, Josiane et Gérard ne sont pas près de voir cet enfant encombrant quitter la maison. « C’est vrai qu’on pourrait penser que c’est un peu un cadeau empoisonné, reconnaît Josiane. Mon mari, il va plus en vacances. Mais il aime ça, il s’assoit sur une chaise, son cochon pas loin de lui. Et il regarde les oiseaux. »

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Par Pierre Boisson

PS: article publié en 2013 et réactualisé en décembre 2015.

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