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Recreativo de Huelva : le doyen espagnol revit sous perfusion de la mairie
Alors qu’il était au bord du gouffre il y a sept ans, le Recreativo de Huelva a été repris par la mairie. Cette opération peu orthodoxe a permis au doyen du football espagnol de rêver d’un retour en Liga. Mais au moment de jouer son accession en troisième division, il se retrouve au centre du jeu politique.
Depuis Palos de la Frontera, le petit port andalou où Christophe Colomb a largué les amarres pour l’Amérique, on peut voir une épaisse fumée bleue s’élever sur l’autre rive. Le nuage prend de la hauteur dans le ciel de la ville voisine de Huelva, avant d’être dispersé par le vent aux quatre coins de l’embouchure du Rio Tinto, dans le sud-ouest de l’Espagne. Certains habitants ont cru reconnaître les couleurs du Parti populaire (PP). En ce dimanche 28 mai 2023, jour d’élections municipales, la droite espère ravir la mairie de Huelva aux socialistes. Sauf qu’il est encore un peu tôt pour connaître le nom du prochain pape local. Cette fumée bleue ne vient pas d’un QG de campagne ou d’un rassemblement de militants. Son origine se trouve dans le sud de cette capitale de province de 142 000 habitants, aux abords du Nuevo Colombino, ovale de briques et de ciment posé au bout d’une série de terrains vagues. En milieu d’après-midi, les supporters du Recreativo de Huelva ont commencé à affluer vers le stade. Ils ont alors allumé des fumigènes pour encourager les Albiazules avant le match retour de leur demi-finale de barrage pour accéder à la Primera RFEF, la troisième division espagnole.
🏟️ Preparado para recibir un lleno histórico y rugir como nunca para empujar al equipo hacia la victoria. #APorElAscenso #TodosAlColombino pic.twitter.com/jS3JfO0B6E
— RC Recreativo de Huelva (@recreoficial) June 10, 2023
« C’est un moment capital puisqu’on pourrait retrouver un championnat plus en accord avec l’histoire et le niveau du club », fait remarquer Francisco Javier Muñoz González, secrétaire du Recreativo de Huelva et numéro 3 sur la liste du PP aux élections municipales. Près de 15 000 personnes vont assister à la rencontre face à la Gimnástica Segoviana, un chiffre supérieur aux affluences moyennes de Gérone, de Getafe, du Rayo Vallecano ou d’Almeria en Liga. Il faut dire que le Recre est un monument. Sa création remonte à 1889, une date fièrement imprimée sur le bus des joueurs qui fend la foule réunie devant l’enceinte. Or, les monuments, Huelva n’en compte pas beaucoup. Située à moins de 40 kilomètres du Portugal, la commune a été terrassée par le tsunami qui a suivi le séisme de Lisbonne, en 1755. Un siècle plus tard, la révolution industrielle a poussé des bataillons de Britanniques à déferler sur la région pour exploiter ses gisements de cuivre. Le médecin écossais William Alexander Mackay, qui officiait à la Rio Tinto Company, avait emmené un ballon dans sa valise. En 1889, il a fondé le Huelva Recreation Club, premier club d’Espagne à proposer du football.
Le Recreativo Huelva, de gauche à droite
Aujourd’hui, la province andalouse est réputée pour « sa gastronomie, les montagnes de l’arrière-pays et le pèlerinage d’El Rocío, énumère Miguel Barroso, journaliste à Huelva FM. Mais le Recreativo est notre plus grande fierté. » Sans lui, « Huelva ne serait pas Huelva », ajoute Francisco Javier Muñoz González. Malgré quelques piges dans l’élite, marquées par une finale de Coupe du Roi en 2003 et une huitième place de Liga en 2007, l’ancien club de Florent Sinama-Pongolle et Santi Cazorla a passé le plus clair de son temps en deuxième division. Tombé dans les tréfonds du football amateur ces dernières années, où il a failli succomber à plusieurs crises, il rêve de retrouver son rang. Mais cela passe d’abord par une victoire contre la Gimnástica Segoviana. Tout juste promu en Segunda RFEF la saison précédente, le Recreativo de Huelva s’est offert la possibilité de monter une deuxième fois d’affilée en terminant dauphin de sa poule, une place synonyme de barrages. Après avoir accroché le nul à l’aller de la demi-finale (0-0), les hommes d’Abel Gómez jouent gros sur le retour disputé à domicile. « Je préfère ne pas penser à ce qui arriverait en cas d’échec », souffle Miguel Barroso. Pendant cette rencontre à haut risque, le journaliste garde un œil sur son portable afin de consulter les premières estimations des élections. Car à Huelva, le scrutin fait figure de deuxième match en coulisse : son vainqueur pèsera de tout son poids sur la destinée du Recre.
Fait unique en Espagne, la mairie de Huelva dirige le club depuis qu’elle a exproprié son ancien propriétaire en 2016. « Le Recreativo est une marque, un emblème et une vitrine pour que la ville soit reconnue partout dans le monde », a justifié le maire, Gabriel Cruz. Devenu le principal maître à bord, le premier édile a cependant décidé de redistribuer un peu de pouvoir. Le 12 avril 2023, en pleine campagne municipale, il a annoncé que les membres du conseil d’administration seraient bientôt élus par les supporters. Le Recreativo de Huelva allait ainsi devenir la première société anonyme à confier le choix de ses dirigeants aux fans. Seulement voilà, Gabriel Cruz a depuis été vaincu par la droite. Ce dimanche 28 mai 2023, alors que le milieu sénégalais El Mouhamed Mbaye délivre le Recreativo à la 122e minute de la rencontre face à la Gimnástica Segoviana, envoyant les siens en finale de barrages, les premières estimations donnent Gabriel Cruz battu. Son revers est confirmé le lendemain. C’est le Parti populaire de Pilar Miranda qui remporte les municipales de Huelva, et prend ainsi le contrôle du Recreativo. Ce changement de direction est-il synonyme de changement de cap ? « Je suis dans l’expectative, car c’est sous la droite que le club a accumulé les dettes », rappelle Miguel Barroso.
Les conservateurs avaient pourtant de grandes ambitions pour le « Decano », le doyen. Quand il s’installe à l’hôtel de ville, en 1995, Pedro Rodríguez González (PP) trouve les comptes du Recreativo de Huelva dans le rouge. Il décide alors de vendre les terrains du stade contre 16,2 millions d’euros, puis utilise cet argent pour racheter 98,2 % des parts du Recreativo. Le doyen du football espagnol passe une première fois sous pavillon de la mairie. Dotés d’une nouvelle enceinte qu’ils doivent louer à la ville, les Albiazules vivent leur âge d’or. Ils retrouvent la Liga en 2002, échouent en finale de la Coupe du Roi et, portés par des joueurs comme Santi Cazorla, Martín Cáceres ou Florent Sinama-Pongolle, accrochent même une honorable huitième place en 2007. Il suffit hélas d’un coup de vent pour faire vaciller ce bel édifice. Relégué en deuxième division en 2009, le Recreativo de Huelva est placé en redressement judiciaire dès l’année suivante.
Des tréfonds à l’espoir
Faute de pouvoir répéter le tour de passe-passe de 1999, Pedro Rodríguez González décide de vendre le Recre à Pablo Comas, le patron de Gildoy España. Nouvelle erreur. « La gestion de Gildoy était catastrophique tant sur le plan sportif qu’économique », maugrée Francisco Javier Muñoz González. Non seulement la dette n’est pas réduite, mais le fisc, qui réclame 13,5 millions d’euros au club, met ses comptes sous embargo. « Le Recreativo devait survivre sans budget », se souvient Alejandro Lopez, cofondateur de l’association de fans Recre Trust, qui est actionnaire minoritaire. « On se débrouillait pour payer les joueurs en mains propres, on leur fournissait du matériel, on finançait leurs déplacements. Ça pouvait s’arrêter à tout moment. » À l’arrivée au pouvoir de Gabriel Cruz en 2015, le Decano est relégué en troisième division. En octobre 2015, près de 8000 supporters prennent la rue pour demander à Comas de réagir. Prêts à tout pour sauver une institution incapable de payer ses salariés, les membres du Recre Trust font preuve d’une ingéniosité que ne renierait pas l’ancien maire Pedro Rodríguez González. Ils obtiennent que le Recreativo de Huelva soit classé au patrimoine culturel d’Andalousie en tant que « bien d’intérêt culturel », au même titre que l’Alhambra de Grenade.
S’appuyant sur ce nouveau statut, Gabriel Cruz fait voter l’expropriation de son propriétaire, Pablo Comas, coupable de retards de paiement à l’égard du Trésor public. À ce jour, Comas conteste sans relâche la légitimité de la manœuvre devant les tribunaux. Toujours est-il que la municipalité prend les commandes et, en 2018, conçoit un plan de sauvetage de 3,8 millions d’euros. Alors membre de l’opposition dans les rangs du Parti populaire, Pilar Miranda fait partie des rares à voter contre l’aide au conseil municipal. « L’idée, c’est d’abord de rembourser le Trésor public et la Sécurité sociale, détaille Gabriel Cruz. Puis, on veut recapitaliser la dette, c’est-à-dire la transformer en actions grâce à une augmentation de capital. Ainsi, le club ne sera plus endetté qu’envers la municipalité. » Seul problème, les résultats ne suivent pas sur le terrain, loin s’en faut. En 2021, le doyen du football espagnol dégringole en cinquième division. La presse parle de « décomposition », de « naufrage » et de « plongée dans l’abîme ».
🎥 𝗕𝗲𝗵𝗶𝗻𝗱 𝘁𝗵𝗲 𝗦𝗰𝗲𝗻𝗲𝘀
🎬 Lo que no se vio del #CacereñoRecre
💙 Un viaje trepidante en busca del primer paso de #LaGranFinal
🎞️ Mañana, a por el capítulo definitivo.
▶️ ¡Dale al play y disfruta! #APorElAscenso #VamosDecano pic.twitter.com/QcAQ9vmaFB
— RC Recreativo de Huelva (@recreoficial) June 10, 2023
Tenu à bout de bras par la ville, le Recre a depuis réussi à remonter au quatrième échelon. Grâce à sa victoire face à la Gimnástica Segoviana, il a aujourd’hui l’occasion de vivre une deuxième promotion d’affilée. Lors du match aller de la finale de barrage, les Albiazules ont ramené le point du nul de Cáceres (0-0), une commune de 95 000 âmes située en Estrémadure, à la lisière du Portugal. Le retour se joue ce dimanche 11 juin au Nuevo Colombino. Tout le club est concentré sur cet objectif. Ensuite, viendra le temps des tractations en coulisses. Samedi 17 juin, Gabriel Cruz passera la main à Pilar Miranda. Qu’est-ce qui va changer au Recre ? « Nous voulons que le club soit dirigé par des spécialistes du football, de la gestion économique et financière et de la stratégie des entreprises », indique Francisco Javier Muñoz González, numéro 3 sur la liste de Miranda. Comprendre, les supporters peuvent dire adieu au droit de vote pour le conseil d’administration que leur promettait le maire sortant. En d’autres termes, la gauche voulait donner le pouvoir « aux abonnés », la droite fait confiance « aux spécialistes ». Une chose est sûre, la mairie va devoir continuer d’administrer un club dont l’endettement global n’a pas été réduit, en espérant le voir retrouver le monde professionnel pour équilibrer ses comptes. Il serait donc bien avisé de commencer par battre Cáceres, ce dimanche au Nuevo Colombino. Le match aura lieu à 20 heures, à guichets fermés. Mais le ciel de Huelva est déjà bleu.
Par Servan Le Janne
Tous propos recueillis par SLJ