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Rabiot, poupée désir

Par Maxime Brigand
Rabiot, poupée désir

Obligé de glisser sa tête dans un couloir de Bruxelles cette semaine pour éteindre la polémique naissante à propos de son refus d’évoluer dans un rôle de sentinelle, Adrien Rabiot est revenu dans une maison de verre où les négociations sur sa prolongation de contrat font une nouvelle fois grincer les dirigeants du PSG. Comme s’il était condamné à vivre en permanence entre deux portes.

Porté par un mètre quatre-vingt-huit d’élégance, il allait à toute allure, dans un mélange d’insouciance et d’imprudence, les pieds relâchés et le buste levé. Le 12 septembre dernier, coincé contre le mur de la salle de presse du Celtic Park, à Glasgow, Unai Emery, avait même décidé de lâcher les freins au moment d’évoquer le début de saison bonbon d’Adrien Rabiot : « La progression d’Adrien est bonne, il est capable de grandir beaucoup. Il a cette humilité pour grandir. Un match comme celui-ci peut l’aider dans son évolution. » De ce match qui n’en était pas un – une victoire aussi sèche que brutale (5-0) –, l’international français avait été la lumière, la mèche d’où explosaient les différentes bombes offensives parisiennes. Dans les chiffres, cela avait donné une copie référence : 92% de passes réussies, une passe décisive, une poignée d’interceptions et une liberté créative déjà entrevue à l’écoute des premières notes d’une saison qui doit être celle de sa prise de pouvoir. Sur l’échiquier, Rabiot était alors installé à la gauche d’un triangle partagé avec Thiago Motta et Marco Verratti, position publiquement revendiquée au point de voir Emery sortir dans la presse durant l’été pour le confirmer : « Il préfère évoluer en 8 et on va faire en sorte qu’il joue dans cette position. » Une lutte de plus dans l’histoire d’un homme devenue par nature une course en solitaire.

« Partir sera mon cadeau de Noël »

Comme s’il fallait se protéger avant les actes, Adrien Rabiot avait un jour prévenu les sensibles dans un entretien donné au Parisien : « Quand on a une passion comme c’est mon cas et qu’on a le potentiel qui va avec, on a envie de la vivre à fond. Et je ne vois pas en quoi le fait d’être jeune change quelque chose. » Sur sa route, un premier repère qui sert de mise en perspective. Un jour où la chrysalide s’était définitivement brisée, une nuit de novembre 2015, au Bernabéu : entré au quart d’heure de jeu, sans échauffement, pour remplacer un Marco Verratti blessé, Rabiot secoue le milieu du Real du haut de ses 20 ans et est même tout proche de marquer au bout d’un superbe enchaînement contrôle poitrine-volée dont la course s’était terminée sur le poteau de Keylor Navas. Le gosse est désormais pris au sérieux et décide de filer, quelques semaines plus tard, dans le bureau de son patron avec son contrat et des sourcils froncés. Sa décision est claire : s’il ne gratte pas plus de temps de jeu, il ira voir ailleurs dès le mercato suivant. Comme un gosse se roulant par terre pour une sucette qu’il ne finira même pas, Rabiot augmente la dose en faisant le malin devant la caméra de Téléfoot quelques jours plus tard : « Le président m’aime bien. Partir sera mon cadeau de Noël. » Ce jour-là, en refusant de lui marcher sur les doigts, le PSG a perdu la main.

À quoi mesure-t-on le fameux « poids de l’institution » ? Probablement à la capacité de ses dirigeants à tenir les joueurs – ici les employés donc – dans un cadre défini qui commence et s’arrête au respect de ladite institution. On ne joue pas avec elle, on ne lui fait pas du chantage, on ne s’en sert sous aucun prétexte. Détail : au PSG, Adrien Rabiot est plus qu’un joueur, c’est une caution, l’exception qui confirme la règle selon laquelle les jeunes du centre de formation parisien n’ont pas leur place en équipe première. Pour en arriver là, celui qui est depuis devenu international A (4 sélections) a lutté dans des épisodes que l’on déguste avec du pop-corn sur un fauteuil molletonné avec pour actrice principale Véronique, la maman, devenue principale conseillère et dont le rôle est de couver au maximum un gosse en quête de repères depuis ses débuts chez les pros. Pour tout le spectacle servi au public, Rabiot a été puni par moments – une mise à l’écart pendant un temps du groupe professionnel, une réintégration avec mise à disposition de l’équipe réserve, un temps de jeu réduit, le tout pour le forcer à signer un contrat qui se retrouve aujourd’hui de nouveau sur la place centrale du village sans Abraracourcix qu’est le PSG moderne.

Tony Yoka et la soufflante d’Emery

Un peu moins de deux ans ont passé depuis l’épisode post-Bernabéu. Deux années au cours desquelles Adrien Rabiot a changé de statut et a poussé le symbole Blaise Matuidi sur le palier. Et Emery, dans tout ça ? Justement : depuis son arrivée au PSG, l’entraîneur espagnol fait jongler Rabiot entre son poste de relayeur et celui de sentinelle où le Français se retrouve forcé à prendre les choses en main, à densifier son jeu, le réinventer. Dans le PSG feu d’artifice, Adrien Rabiot serait alors l’ordre, la maîtrise, l’équilibre. Reste qu’entre l’accélération et l’organisation, le bonhomme semble enfin vouloir choisir son rôle, au point de mettre cet argument en balance dans la prolongation d’un contrat qui s’étire pour le moment jusqu’en juin 2019. Rabiot ne voulait plus jouer sentinelle ? Emery l’a installé devant la défense à Dijon (1-2) où le milieu a empilé les erreurs cumulées à une attitude capricieuse, ce qui a poussé l’entraîneur espagnol à lui rentrer dedans en privé selon plusieurs sources. Après la rencontre, le Français avait décidé d’oublier, filant au combat de son pote Tony Yoka au Zénith et laissant sa mère faire miroiter un Antero Henrique avec qui elle n’a toujours pas fixé de rendez-vous pour un café prolongation. Les conditions sont claires : pour prolonger, le clan Rabiot exige cette fois que le fils soit fixé sur le côté – ce qui correspond davantage à son style de jeu – et qu’une doublure à Motta soit recrutée cet hiver.

Alors oui, après la soufflante d’Emery, Adrien Rabiot a été obligé de dissiper le flou cette semaine lors du déplacement du PSG à Anderlecht – « je n’ai jamais dit que je ne voulais pas jouer en tant que sentinelle » –, mais l’important est ailleurs : cette polémique ouvre une nouvelle fois les failles béantes qui séparent le PSG d’un très grand club en matière d’autorité. Parce qu’un joueur ne devrait pas décider du poste auquel il évolue de cette manière, parce qu’Henrique ne devrait plus laisser passer ce genre de choses et parce que Rabiot semble évoluer au-dessus de ses employeurs depuis déjà trop longtemps, comme s’il était dans une bulle où tout lui est dû, comme s’il marchait seul façon Jean-Jacques Goldman. Adrien Rabiot a raison de vouloir se fixer à un poste, qui plus est celui de relayeur où il représentera demain un gros morceau du futur des Bleus, il n’a pas raison de l’imposer de la sorte, et le PSG se doit d’être désormais inflexible, quitte à prochainement lui préparer ses valises. Conduire avec insouciance c’est bien, le faire avec une ceinture de sécurité, c’est mieux. Au risque de se perdre dans le décor.

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