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« Rabiot ne vous la fera jamais à l’envers »
Le 23 juin dernier, en pleine Coupe du monde, paraissait la dernière interview en date d'Adrien Rabiot. Réalisée juste avant le refus du Parisien de figurer parmi la liste des suppléants de Didier Deschamps, et publiée dans la revue Sport-Étude, créée par David Bellion, elle méritait bien que l'on s'y attarde en compagnie de l'ancien Bordelais.
Le monde des retraités du football se divise en deux catégories. Il y a ceux qui restent au bord des terrains, professionnels ou amateurs, et ceux qui les commentent derrière un micro. Deux grandes cases dans lesquelles David Bellion a refusé d’entrer, préférant créer la sienne : celle de directeur créatif du Red Star. Et parfois, en marge de ses activités autour du club du 93 tout juste promu en Ligue 2, l’homme de 35 ans saisit les aventures que cette vie lui offre. Pour l’amour du beau, tout simplement. C’est ainsi qu’en juin dernier, l’ancien Bordelais, en duo avec le photographe Julien Soulier, lançait Sport-Étude, une revue bimestrielle gratuite de 20 pages, dont chaque numéro sera consacré à un sportif.
« Avec Julien, on s’est dit que ce serait cool de créer un titre sur le sport, lié à la mode et à la culture. Un magazine qui traiterait la personnalité de grands sportifs, pour comprendre comment ils se sont formés. On a décidé que j’allais les habiller, que Julien allait les photographier, et que Loïc Rechi – ancien rédacteur en chef deSnatch– allait écrire, expose Bellion. L’intérêt du magazine est de découvrir les sportifs en dehors de leur milieu professionnel, parce qu’ils sont souvent considérés comme des robots. On les connaît les jours de match, mais ce qui m’intéresse, c’est ce qu’ils font les six autres jours de la semaine. » Et c’est Adrien Rabiot qui a l’honneur de faire la Une du premier numéro. Réalisée trois jours avant l’annonce de la liste des 23 futurs champions du monde par Didier Deschamps, et de leurs 11 réservistes, cette interview est donc la dernière en date donnée par le milieu de terrain du Paris Saint-Germain.
« Un esprit de famille qui force l’admiration »
Si Adrien Rabiot faisait partie des sportifs ciblés par David Bellion pour faire la couverture de Sport-Étude, c’est avant tout parce que l’ailier passé par Manchester United aime « son style sur le terrain, son allure » . « Et puis parce qu’on entend beaucoup de choses sur sa mère et lui, donc j’étais intrigué » , concède celui qui s’est mué en styliste pour l’occasion. Et c’est peu dire qu’il n’a pas été déçu. Lorsqu’il évoque ses échanges et sa rencontre avec Adrien et Véronique Rabiot, David Bellion n’a que du sucre en bouche. Il décrit « des gens super, avec un esprit de famille qui force l’admiration, droits dans leurs bottes, bien élevés, pudiques, qui ne posent aucune condition, qui n’ont pas besoin de donner des interviews pour rétablir telle ou telle vérité. Ce sont des gens vrais, qui ne montent pas des stratégies de communication pour obtenir plus. » En somme, les Rabiot mère et fils seraient tout le contraire de ce qu’on raconte sur eux. Mieux, « Adrien est quelqu’un qui ne vous la fera jamais à l’envers. Il raisonne comme un homme, pas comme un footballeur. Et j’admire ça » , ponctue David Bellion.
À l’intérieur de la revue, le texte de trois pages consacré au « Duc » , rédigé après son annonce de se retirer de la liste des suppléants pour le Mondial, garde la même tonalité. D’ailleurs, l’auteur prévient d’entrée : « Adrien Rabiot a eu le droit à une onction médiatique qu’on ne souhaiterait à personne. Rien que pour ça, que l’on cautionne ou pas sa décision, on a envie de se ranger de son côté. » Au fil des 17 571 signes qui composent le portrait, qu’on peut facilement qualifier d’hagiographique, on apprend qu’Adrien a toujours eu le sentiment qu’il aurait un destin à part, « dans le sens où devenir footballeur professionnel, c’est ce(qu’il a)toujours voulu faire depuis tout petit » .
Plus loin, en évoquant une embrouille avec Zlatan Ibrahimović à l’été 2015, le jeune homme assène qu’il « n’aime pas qu’on(lui)fasse des reproches, et encore moins quand c’est injustifié » . Mais c’est lorsqu’il défend son pote Serge Aurier, malmené durant ses dernières semaines au PSG, que les paroles de Rabiot sonnent le plus juste : « Le problème, c’est que les gens à l’extérieur se font souvent une image erronée de nous sur la base de ce qui se raconte, sans chercher à approfondir, à voir les personnes telles qu’elles sont réellement. C’est parfois dur. »
« Il n’a pas pris cette décision sur un coup de tête »
Concernant la décision du jeune homme de claquer la porte de l’équipe de France, David Bellion fait partie de ceux qui comprennent « Adri » , comme le surnomme sa maman. D’abord, parce qu’en tant qu’ancien joueur de haut niveau, l’ex-coéquipier de Cristiano Ronaldo sait que « beaucoup d’éléments ne sont pas à la portée du spectateur, qui ne voit que le match du week-end, et des articles durant le reste de la semaine. Il y a énormément de paramètres. Les gens qui ne connaissent pas le football se disent« Ah, il y a un joueur qui a refusé la sélection », tandis que ceux qui sont dans le milieu sont touchés d’une autre manière. »
D’un point de vue plus terre à terre, il comprend également que Rabiot trouve le choix de Deschamps illogique d’un point de vue sportif. Car après tout, c’est bien son droit. « Depuis tout petit, on lui explique qu’on va en équipe de France grâce à ses performances en club. C’est un joueur qui a été indispensable au système du PSG ces dernières années, et un des meilleurs de sa génération dans le monde. Donc il a dit« au revoir », et il n’a pas besoin de revenir dessus. Ce qui est fascinant lorsqu’on discute avec Adrien, c’est que c’est un grand joueur qui parle de football avec passion et amour, tout en sachant qu’il y a autre chose dans la vie. C’est cette ouverture d’esprit qui lui a permis de prendre cette décision incomprise par beaucoup. Il n’a pas pris cette décision sur un coup de tête, c’est quelqu’un de lucide. »
Enfin, Bellion tient à rétablir quelques vérités, pour achever sa défense de celui qui serait convoité par le Barça. « J’ai entendu que c’était un enfant pourri-gâté, c’est n’importe quoi ! Il est poli, discret, à l’écoute. Tout le monde fait des choix de vie parfois incompréhensibles pour les autres, mais c’est personnel. Il pense que sa non-sélection est illogique, et ça se respecte. Dès que la liste des vingt-trois est sortie, tout le monde était surpris qu’il n’y soit pas, c’était le principal sujet de discussion. Et tout de suite, on a dit :« C’est parce qu’il ne veut pas jouer 6. »Il n’a jamais dit ça. Il a laissé entendre qu’il était plus à l’aise en 8, ça ne veut pas dire la même chose, les mots ont un sens. Et ce qui est certain, c’est que ce n’est pas parce que la France est championne du monde qu’il a eu tort. » Sauf qu’à l’instar de Payet et Koscielny, Emmanuel Macron l’aurait peut-être invité à la finale. Ça fait toujours bien, d’avoir un Duc à ses côtés.
Par Mathias Edwards
crédit photos : Julien Soulier.
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