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  • 20 ans des attentats du 11 septembre 2001

Quand Nantes et Troyes jouaient en Coupe d’Europe le 11 septembre 2001

Par Christophe Gleizes
Quand Nantes et Troyes jouaient en Coupe d’Europe le 11 septembre 2001

11 septembre 2001, le monde a les yeux braqués vers New York. Le monde entier ou presque. Dans le même temps, Troyes et Nantes sont engagés en Coupe d'Europe. Retour avec les principaux intéressés sur une journée pas comme les autres, qui marquait l'entrée dans le XXIe siècle et posait plus que jamais la question de l'importance à accorder au football en temps de catastrophe.

Pierre-Yves André sait très bien ce qu’il faisait le 11 septembre 2001. Ce soir-là, son équipe du FC Nantes est opposée à la Beaujoire au PSV Eindhoven de Johann Vogel et Mateja Kežman, en phase de poules de la Ligue des champions. Les Nantais s’imposent 4-1 lors d’une soirée hors du temps, où l’ambiance en tribune est à la modération malgré la belle victoire sur la pelouse. « Bien sûr que je m’en souviens. Je marque le premier but sur une jolie passe en profondeur côté gauche d’Olivier Quint ; je suis face à face avec le gardien, et ma frappe lui passe entre les jambes. » Le premier passeur, Wilfried Dalmat, et Marama Vahirua donneront ce soir-là plus d’ampleur à la correction. Pourtant, rien ne prédisposait les Nantais à jouer leur meilleur football, au terme d’une journée riche en interrogations. « Ce jour-là, on était au vert à l’hôtel, et on a appris la nouvelle à la télé. Nous étions tous très choqués par les images, on s’était posé la question de savoir si on allait jouer, mais la décision ne nous appartenait pas. À partir du moment où rien n’a été fait dans ce sens, on s’est montrés professionnels. Plus le moment du match approchait, plus nous étions pris par l’enjeu. Ce match, cela faisait plusieurs jours que nous étions baignés dedans, et sans faire offense aux gens qui ont perdu la vie, c’est vrai que nous étions en quelque sorte dans un cocon. Nous étions préparés pour jouer ce match et on a donc fait la part des choses », explique l’ancien attaquant avant de conclure de sa voix posée : « C’est sûr que quand on n’est pas touchés personnellement, on a plus de détachement. »

« Quand j’ai vu les tours aux infos, c’était surréaliste, franchement je n’y croyais pas du tout. J’étais comme monsieur tout le monde, cela ne me semblait pas réel. Je m’en souviens bien, c’était juste entre la sieste et la collation, on s’est retrouvés à cinq ou six joueurs dans une chambre, à se demander si le match allait être rejoué », se remémore Gharib Amzine. L’ancien milieu troyen a lui aussi foulé la pelouse le jour fatidique ; un magnifique Troyes-Ruzomberok, brillamment remporté 6-1 par l’ESTAC. Sur le terrain, c’est la démonstration face à des Slovaques dépassés, avec un triplé de Boutal, un doublé de Loko et une merveille de Meniri. « Sincèrement, nous étions tous très attristés, mais une fois plongés dans le match, on ne pense plus à rien, sauf au ballon. Peu d’éléments extérieurs peuvent nous perturber. Le fait de jouer peut être pris comme une échappatoire. En revanche, à la fin du match, c’est vrai qu’on a relativisé malgré la victoire. » Quant à savoir si le match aurait dû être repoussé, le Marocain avance un avis tranché : « Je pense que oui, car c’est une tragédie. Cela ne change rien qu’on remette le match à un autre jour. Par solidarité, je pense que l’on ne devrait pas jouer dans ces cas-là, même si concrètement ça ne change rien, car on n’est pas sur place et directement concernés. Après, ce sont les instances dirigeantes qui décident. » Son homologue nantais confirme : « À mon avis oui, on aurait dû repousser. Je fais souvent le parallèle avec Bastia, où un collectif demande à ce qu’aucun match ne soit joué le 5 mai à la suite du drame de Furiani. Après, il y a tellement d’enjeux économiques liés à une journée de Ligue des champions que c’est une décision difficile à prendre, même en cas de drame. »

Confrontées à un choix délicat, les instances dirigeantes ont pris ce jour-là la décision de ne pas reporter les matchs prévus dans la soirée. En milieu d’après-midi, le directeur général de l’UEFA Gerhard Aigner annonce ainsi dans un communiqué : « L’UEFA souhaite exprimer sa profonde tristesse et sa stupéfaction vis-à-vis des tragiques et terribles évènements qui ont eu lieu aujourd’hui aux États-Unis. Nos pensées et nos cœurs vont à toutes les victimes de ces terrifiantes attaques, et nous adressons notre compassion la plus sincère à leurs familles et leurs amis. Les matchs de la journée se dérouleront comme prévu, mais une minute de silence sera observée à la suite de ces évènements. » En revanche, les matchs programmés le lendemain seront tous repoussés, sans exception : « L’ampleur de cette tragédie, la douleur et la tristesse dans laquelle elle nous plonge, nous force à réfléchir. L’UEFA souhaite respecter la souffrance ressentie par les familles qui ont perdu un proche en repoussant les matchs prévus cette semaine. » La requête plutôt déplacée du PSV Eindhoven, qui demandera par la suite à rejouer la rencontre, arguant que le contexte du match aurait contribuer à déstabiliser ses joueurs, sera, elle, rejetée, les deux équipes « ayant évolué dans les mêmes conditions ».

Faut-il parler du football en temps de catastrophe ?

Le lendemain matin, alors que la planète entière est en émoi, on ne trouve pas un signe ou une référence à la catastrophe dans la presse sportive. L’Équipe titre « Nantes du bon pied » le 12 septembre, occultant totalement la tragédie de la veille, avant, sous le feu des critiques, de se « rattraper » le lendemain avec sa célèbre Une, « Le Temps du recueillement » . Cet exemple tragique montre bien à quel point l’actualité du sport peut être déconnectée de ce qui se passe dans le monde. Un écueil sur lequel ne sont pas tombés à l’époque Les Cahiers du football : le magazine interrompt alors ses publications pendant quelques jours, « la rédaction ayant égaré son envie de parler de football et d’eau fraîche ». Une décision justifiée en ces termes : « … La violence physique et symbolique inouïe des attentats aux États-Unis crée brièvement les conditions d’une prise de conscience de ce rapport très particulier entre la misère du monde et nos sentiments pour le football, dont le caractère totalement dérisoire apparaît aujourd’hui en toute évidence. Ceux qui ont apprécié au cours de cette semaine de pouvoir s’extraire pour quelques heures de ce cauchemar en regardant un match en auront peut-être une idée. Les autres qui en auront perdu l’envie savent que la vie continuera et que l’envie reviendra, même si ce ne sera plus exactement dans le même monde. »

Aujourd’hui, comme en 2001, se pose plus que jamais la question de la place et de l’importance du football dans l’actualité. Celle-ci, hypertrophiée, dépasse la seule occurrence des guerres, attentats ou autres catastrophes et ne concerne pas seulement la presse spécialisée. Ian Plenderleith est chroniqueur à When Saturday Comes, l’un des magazines de football les plus réputés d’Angleterre. Dans une tribune très remarquée, publiée en 2011 au moment de l’accident nucléaire de Fukushima, ce grand passionné estime alors que « le football ne devrait pas supplanter les vraies tragédies ». Avant de pousser un coup de gueule envers la hiérarchie de l’information des journaux anglais, selon lui distordue : « Autrefois, le sport connaissait sa place dans le cycle de l’information. Il était fermement condamné aux dernières pages, sauf en cas de résultat exceptionnel. Vous saviez que quelque chose d’extraordinaire s’était produit quand l’info sportive dominait ou même si elle se glissait en une. Maintenant, sur les journaux papier et surtout sur internet, on nous demande d’accepter que la couverture live d’un tour de Coupe d’Angleterre entre Manchester United et Arsenal mérite une place aux côtés du tsunami meurtrier au Japon et des explosions qui s’en sont suivies dans une centrale nucléaire.[…]La raison en est simple, ces publications sont très populaires auprès des lecteurs. Mais juxtaposer un article sur une tragédie de grande ampleur avec un simple évènement sportif adresse un message pervers comme quoi les deux sont aussi importants.[…]Je lis souvent et apprécie le commentaire live d’un match, mais pourquoi ne pas mettre un simple bandeau Sport ou Football au sommet de la page pour m’y amener ?[…]Cela enlèverait cette perception comme quoi nous devons traiter la guerre, les tremblements de terre, les révolutions et les catastrophes environnementales avec la même attention que les récents sauts de forme de deux des meilleures équipes anglaises. »

Le football ne devrait pas supplanter les vraies tragédies…

Bill Shankly, l’ancien entraîneur de Liverpool, a un jour eu à la télévision ces mots légendaires, et probablement légèrement ironiques : « Le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est quelque chose de bien plus important que cela. » Une saillie plus profonde qu’il n’y paraît et qui rappelle que l’information sportive se doit d’être relayée pour les passionnés quelles que soient les circonstances. Le problème, poursuit Ian Plenderleith, c’est qu’à « lire les sites des principaux journaux britanniques, on peut se demander combien de rédacteurs ont encadré cette phrase au-dessus de leurs bureaux, les poussant à l’appliquer au pied de la lettre quotidiennement ». Il y a des jours comme ça où on se dit que le football est aussi dérisoire qu’un but de Wilfried Dalmat en Ligue des champions. Et où le monde du ballon rond devrait se rappeler qu’il n’est pas aussi rond que la terre entière.

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Réédition d'un article publié en septembre 2013.

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