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Quand les antifascistes voulaient empêcher un match de la Roma à Paris

Par Nicolas Kssis Martov
Quand les antifascistes voulaient empêcher un match de la Roma à Paris

Ce mercredi, des ultràs de la Lazio du groupe Irriducibili ont choqué toute l'Italie avec une banderole en hommage à Mussolini, déployée à Milan. Preuve que le combat politique et la bataille idéologique s'invitent toujours dans le foot. Et depuis longtemps. Ainsi, le 29 décembre 1929, des militants communistes français et italiens exilés tentèrent eux d'empêcher un match de la Roma à Paris.

« Match Paris-Rome. À Buffalo magnifique démonstration contre le fascisme et la répression. » La Une de L’Humanité, le quotidien communiste, a de quoi intriguer aujourd’hui. En poussant la lecture, on comprend rapidement le véritable enjeu de cette rencontre : « Les sportifs ouvriers, jeunes et adultes, huent l’équipe mussolinienne, obligeant les organisateurs à interrompre la rencontre. » Les faits sont difficilement contestables. Même la feuille de droite L’Écho de Paris confirme les incidents, certes de manière bien plus mesurée. « Quelques incidents provoqués par des manifestations déplacées de spectateurs communistes obligent l’arbitre à interrompre la partie quelques instants. » Le journal préfère ensuite insister sur la victoire 5-4 de l’Entente parisienne, essentiellement composée de gars du Racing et du Stade français, sur leurs homologues transalpins. Les succès sur les formations étrangères, et notamment de la Botte, s’avèrent suffisamment rares alors pour ne pas bouder son plaisir à cause des états d’âme de quelques agitateurs bolchéviques.

« L’internationale monte. On chante Bandiera Rossa »

Le journal du PCF s’avère heureusement plus loquace sur le déroulé de la rencontre. « Les sifflets s’élèvent, les cris retentissent : « Vive Marty ! À bas le fascisme ! À bas Daudet ! Vive les soviets ! Vive la FST » (Fédération sportive du travail, représentante du sport rouge en France). L’internationale monte. On chante Bandiera Rossa. Les flics descendent les gradins que la foule évacue en protestant, comme on peut le penser ! En quelques instants, les spectateurs sont sur la pelouse ; le désordre est à son comble ; Les flics désemparés ne savent à qui s’en prendre. On doit interrompre la partie. Le stade est littéralement inondé de tracts de protestation. »

De fait, le sport est clairement alors un des théâtres d’opération de la grande guerre idéologique du XXe siècle. Dans l’Hexagone comme ailleurs. D’autant plus que, pour le cas qui nous intéresse ici, le PC tente de mobiliser les immigrés italiens qui arrivent de plus en plus nombreux en banlieue parisienne ou ailleurs, que ce soit pour des raisons politiques ou économiques. Ces immigrés prolétaires ont droit à leur presse, une édition dans la langue de Gramsci de L’Huma, leurs structures (MOE puis MOI), leurs hymnes, par exemple la Fratellanza Reggiana écrite par un certain Erino Soncini d’Argenteuil. Parmi eux, présent en ce froid jour d’hiver, Guido Bosseli, débarqué sur les bords de la Seine en 1926, militant des jeunesses communistes et au Club sportif ouvrier audonien. C’est pour toutes ces bonnes raisons qu’il déboule dans les travées de Buffalo, à Montrouge, pour faire barrage au fascisme qu’il connaît si bien. Il sera même arrêté provisoirement après le match.

Le foot fasciste malgré lui ?

« Ces événements n’ont rien d’extraordinaire, explique l’historien Paul Dietschy, auteur d’une Histoire du football (Perrin).Déjà l’année d’avant, lors des jeux universitaires (Universiades), la finale à Saint-Ouen du tournoi de football s’était conclue en bagarre générale entre les Italiens et leurs opposants. C’était une sélection « nationale ». Après, pour ce qui concerne les tournées des clubs italiens, elles ont peut-être une visée de propagande pour le fascisme, mais elles sont aussi dictées par des considérations financières, voire, lorsqu’elles se rendent en Amérique latine, afin de repérer des joueurs issus de la communauté italienne. Cela n’empêche pas les problèmes ou les échauffourées, comme lors de la rencontre en 1932 entre la Juventus, pas la plus identifiée au régime, et le Slavia de Prague. »

Il faut aussi recontextualiser ce que représente à l’époque la Roma, club monté de toutes pièces en 1927 par le régime fasciste, dans sa volonté de rééquilibrer un foot italien alors dominé par le Nord et de redonner à la ville de Rome sa gloire d’antan. Ironie de l’histoire, la seule équipe romaine à avoir refusé la grande fusion souhaitée par le régime fasciste était… la Lazio. « Et lors du premier titre de champion d’Italie de la Roma en 1942, une rumeur court que le club giallorosso avait été favorisé par le régime fasciste en tant que club de la capitale » , précise Paul Dietschy.

En attendant, nous revoici en 1929. Et le grand match de l’histoire ne fait que commencer. L’Humanité nous apprend dans la même édition du 30 décembre qu’à Lyon, pour la venue de Modena, « de nombreux italiens antifascistes sont venus crier leur dégoût au régime d’assassinat de Mussolini » . Le coup de sifflet final ne sonnera que lorsque le Duce finira pendu par les pieds à Piazzale Loreto, à Milan. Précisément là où certains ultràs ont tenté, ce mercredi 24 avril 2019, de jouer la prolongation.

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