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Quand la Corée du Nord fait des films de foot

Par Christophe Gleizes
Quand la Corée du Nord fait des films de foot

Qu'on se le dise, la Corée du Nord aime le football. Et le cinéma. C'est donc tout naturellement que Kim Jong-il encourage en 1978 la production de Centre Forward, petit bijou de propagande en noir et blanc. À quelques heures du choc face à la Thaïlande, retour sur la genèse « du meilleur film nord-coréen de football de tous les temps ».

Football et cinéma n’ont pas pour habitude de faire bon ménage. Leur collaboration récente se révèle même douloureuse. Les chefs-d’œuvre que sont Trois Zéros ou Les Seigneurs, en passant par les merveilles Goal II, Victory ou Esprit d’équipe, sont autant de preuves de la perversion capitaliste quand il s’agit de capter l’essence même de ce sport subtil et corsé. Or, s’il est un homme à avoir résisté aux règles universelles du marché, c’est bien Kim Jong-il. Dur sur l’homme, leader de vestiaire, l’ancien dictateur était aussi réputé pour son amour démesuré du septième art. Aussi est-ce bizarrement vers la Corée du Nord qu’il faut se tourner pour trouver trace d’un long-métrage au style épuré incluant un joueur et un ballon. Sorti en 1978, le film Centre Forward est une ode en noir et blanc aux crochets courts et aux frappes petit filet. Entre deux scènes de matchs où s’alternent en finesse plans larges et vues rapprochées, on y chante amour de la Patrie, rédemption personnelle et soumission au Juche.

Vidéo

Pour bien comprendre la genèse de ce film trop longtemps censuré, il faut remonter au Mondial anglais de 1966. Étrillés d’entrée par l’URSS, les protégés du sélectionneur Myung Rye-hyun sont au bord du gouffre. Fierté oblige, ils vont pourtant signer un exploit mémorable, digne des plus grandes épopées. Grâce à une discipline défensive quasi militaire, ils parviennent à faire déjouer le Chili avant de s’imposer à la surprise générale contre l’Italie, dans un match décisif, grâce à un but légendaire de Pak Doo-ik. Sensation à Middlesbrough, hallucinations collectives à Pyong-Yang. En quarts de finale, une première pour un pays asiatique, les Chollimas prennent feu et mènent 3-0 contre le Portugal, après 25 minutes de jeu. Le moment choisi par Eusébio pour entrer en scène. L’attaquant de Benfica claque un quadruplé monumental en moins de trente minutes, et le Portugal s’impose finalement 5-3, après une belle frayeur. Terminus des rêveurs.

Naissance du projet

Qu’importe, les Nord-Coréens se sont découvert des héros à célébrer. Ainsi qu’un penchant tout neuf pour le ballon rond, que Kim Jong-il compte bien faire fructifier. À l’époque, le « cher dirigeant » n’est encore qu’un fils à papa un peu fêlé, nommé dès 1973 directeur de la propagande, entre autres attributions. Grand amateur de James Bond et de John Rambo, condamné au culte d’Elisabeth Taylor, le puriste possède une collection de 20 000 vidéos. Et a comme lubie de développer l’industrie cinématographique dans son pays isolé. « Kim Jong-il nous a expliqué que ce serait bien de faire un film sur le sport, et en particulier sur les joueurs de football, témoignait Han Yu-il, assistant-cameraman un peu coincé. Grâce aux conseils et à l’inspiration de notre Leader, l’équipe du film a passé plusieurs jours avec de véritables footballeurs dans un complexe sportif. Nous nous entraînions avec eux jusqu’à la nuit tombée. » Ainsi démarre le projet fou « du meilleur film nord-coréen de football de tous les temps » , tel que l’affirme la bande-annonce du DVD.

Kim Il-sung supervise et oriente. La réalisation est confiée à Kim Kil-in, à ne pas confondre avec la rappeuse américaine Lil’Kim, et Pak Chong-song, une valeur sûre du cinéma asiatique. Appelés pour la bonne cause, quelques vétérans de 1966 entraînent les acteurs aux pieds carrés à faire trois passes devant la caméra, sous des températures glacées. Après quelques mois, le bijou est prêt. Prévisible, le scénario est centré sur l’ascension au club de Taesongsan de Cha In-son, un attaquant rapide mais maladroit. Pour son premier match professionnel, le jeune remplaçant se rate plusieurs fois devant le but, tel un Pocho Lavezzi. « Il joue comme s’il avait une jambe de bois » , hurle le public coréen, amateur de conciliabules et d’indignation collective. La défaite entérinée, les choses dégénèrent carrément dans le vestiaire. « Tu as été stupide, tu as très mal joué, lui balance un coéquipier, fin psychologue. Tu n’as rien fait, tu as tout mal jugé, tu n’as fait que courir comme un dératé devant le but. Le match était un sacré bordel à cause de toi. »

De zéro à héros

In-son a de la chance : dans la réalité, certains ont été envoyés aux travaux forcés pour moins que ça. Vexé, l’humble buteur va faire amende honorable, et chercher la dure voie du succès dans le travail acharné. La suite n’est qu’un hymne politique à l’effort et à l’entraide de 77 minutes qui séduit par sa qualité photographique, son rythme et sa rareté. Au travers des dialogues, on en apprend davantage sur l’intimité nord-coréenne et l’importance des femmes, sa sœur danseuse, la grand-mère blagueuse, qui soutiennent et inspirent le héros, ainsi que sur le style de vie hiérarchique et formel d’un des pays les plus fermés au monde. Entre lucarnes nettoyées, chansons patriotes et sacrifices personnels, la morale est anachronique et intemporelle : travailler plus pour gagner plus. Certes. Mais le véritable enseignement de cette merveille, c’est qu’une histoire mal engagée peut quand même bien se terminer, au nord du 38e parallèle.

Par Christophe Gleizes

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