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Qatar, libertés en chantier

Par Adrien Candau
Qatar, libertés en chantier

Alors que le Qatar a annoncé mardi 4 septembre assurer au moins partiellement à ses travailleurs étrangers de pouvoir quitter le pays, le Royaume tente de faire des efforts significatifs dans le domaine des droits de l'homme depuis quelques années. Signe que l'organisation du Mondial 2022 attribuée à l'Émirat a su faire bouger quelques lignes.

L’information est venue tout droit de l’agence officielle qatarie. Mardi 4 septembre, le Qatar se félicitait de l’adoption d’une loi mettant partiellement fin au système exigeant qu’un travailleur immigré obtienne une autorisation de son employeur pour pouvoir quitter le pays. Pas une mince affaire, dans un État peuplé par 2,6 millions d’âmes, dont deux millions ont le statut de travailleurs étrangers. Et dont une bonne partie s’affaire actuellement sur les chantiers des stades du Mondial 2022. Un Mondial qui a orienté le faisceau des projecteurs sur le Qatar, son droit du travail archaïque et a induit quelques changements marquants au sein de l’Émirat.

Kafala, es-tu là ?

Pour comprendre le nœud de l’affaire, il faut d’abord évoquer le rapport de force entre les employeurs qataris et les salariés étrangers qui existait jusqu’ici légalement dans l’Émirat. Le Qatar imposait en effet à ces derniers une mise sous tutelle obligatoire, la Kafala, une disposition qui est issue du droit musulman. Sommairement, cette dernière implique que tout travailleur étranger a l’obligation d’être sponsorisé par une entité locale : une entreprise ou un simple citoyen, le plus souvent l’employeur du travailleur concerné. L’autorisation du parrain était notamment obligatoire pour quitter le pays, alors que la Kafala assujettit les travailleurs étrangers à leurs employeurs, qui peuvent leur imposer des conditions de travail assimilées à de l’esclavage moderne par les organisations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International.

Ce système rigide et solidement implanté au sein de la société qatarie a dû néanmoins se réformer, après que les médias et diverses organisations ont décidé de zieuter de près le sort des ouvriers œuvrant sur les chantiers du Mondial 2022. En 2014, un rapport de la Confédération syndicale internationale évaluait ainsi à près de 1200 le nombre de travailleurs immigrés décédés au Qatar depuis 2010, alors que le nombre de morts déplorées sur les chantiers du mondial 2022 ne cessait en parallèle de rythmer l’actualité et de choquer l’opinion publique.

Le temps des réformes

De quoi inciter l’Émirat à imaginer quelques réformes : outre l’introduction d’un salaire minimum pour les travailleurs immigrés en novembre 2017, le Royaume avait déjà annoncé en grande pompe la fin du système de parrainage imposé par la Kafala en 2016. Un changement semble-il cosmétique, comme l’expliquait alors Amnesty International. Sabine Gagnier, chargée de plaidoyer entreprises et droits humains au sein de l’organisation dénonçait ainsi « une fausse réforme. Il n’y a que le mot « parrainage » qui n’apparaît plus. Les employés migrants risquent toujours d’être exploités. » Selon les nouvelles réglementations, les travailleurs étaient en effet toujours tenus d’obtenir un permis pour sortir du pays, auquel leur employeur peut s’opposer. Le cas échéant, les salariés pouvaient néanmoins exposer leur demande à une commission gouvernementale, chargée d’examiner les recours formés par les travailleurs lorsque leur employeur s’oppose à leur départ.

Un changement trop subtil pour réellement inverser le rapport de force entre salariés et patrons. Les autorités qataries s’en sont visiblement rendu compte : la loi édictée le 4 septembre dernier par l’émir du Qatar retire désormais aux employeurs tout pouvoir d’interdire aux travailleurs migrants de quitter le territoire. Une avancée majeure, notamment pour les ouvriers participant à la construction des infrastructures de la Coupe du monde. « L’organisation de la Coupe du monde de football peut contribuer à transformer les conditions de travail dans le pays… Il reste toutefois beaucoup à faire et l’abolition totale de l’autorisation de sortie est l’une des nombreuses étapes à franchir » , se réjouissait ainsi Stephen Cockburn, directeur adjoint du programme Questions mondiales à Amnesty International.

De la théorie à la pratique

« L’idée que la Kafala est partie pour de bon est cependant un non-sens, elle imprègne toujours le Qatar à 100% » , relève Nicholas McGeehan, chercheur spécialiste du Golfe à Human Rights Watch. Si les réformes sont désormais théoriquement adoptées, veiller à leur application effective s’annonce en effet corsé. Les travailleurs étrangers du Royaume restent relativement peu protégés par un code du travail plutôt léger et pourraient bien hésiter à dénoncer les employeurs qui pourraient transgresser la nouvelle loi : « Le rapport de forces est tel que c’est impensable pour les travailleurs de se plaindre. Ils savent que les mesures de rétorsion sont possibles » , expliquait ainsi un expatrié occidental employé par le comité d’organisation de la Coupe du monde au Monde diplomatique.

Sans compter que la loi de septembre n’est pas sans failles : en vertu de ce texte, 5% du personnel d’une entreprise devrait toujours obtenir une permission de l’employeur pour quitter le territoire. « Mais surtout, les employés de maison, qui sont exclus du droit du travail qatari, ne sont pas concernés par cette nouvelle législation » , relève Nicholas McGeehan. De quoi rayer de l’équation 174 000 travailleurs domestiques migrants, qui restent à la totale merci de leurs employeurs. Reste que si le tableau n’est pas idyllique, l’attribution du Mondial au Qatar aura au moins contribué à secouer quelques cages : « La route sera encore longue, concède Nicholas McGeehan. Mais c’est un vrai pas en avant. »

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Par Adrien Candau

Propos de Nicholas McGeehan recueillis par AC, ceux de Sabine Gagnier issus du Monde.fr

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