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Pourquoi le foot est-il meilleur que la bière ?

Par Eric Carpentier, à sec
Pourquoi le foot est-il meilleur que la bière ?

Belgique-Irlande, c'est aussi le moussico. Si le foot et la bière sont inséparables, l'un domine l'autre, et c'est bien entendu le foot. Car une bière sans match est toujours moins fraîche.

Vous suivez l’action avec attention : le verre qui prend place sous la tireuse, la main qui se pose sur la pompe, et le jet, mousseux d’abord, puis de cette inimitable couleur d’or. Le précieux liquide tapisse la paroi du verre, se masse, puis gonfle, gonfle jusqu’à la hauteur parfaite. Le surplus est délicatement retiré à l’aide d’une spatule en bois entièrement dévouée à la touche finale. Un fin liseré de mousse couronne l’œuvre du barman. Il vous tend le demi-litre comme on offre un cadeau. Le regard amoureux, vous vous apprêtez à poser vos lèvres sur votre bière, douce ou amère selon votre désir. Cette gorgée s’annonce magnifique.

Elle finit à terre. Parce qu’au même moment, votre attaquant a déglingué la lucarne à la dernière minute d’une finale bouillante. L’explosion de saveur n’a pas lieu sur vos papilles, mais dans tout votre être. Vous hurlez votre bonheur, embrassez l’inconnu d’à côté, levez les yeux au plafond, vous atteignez les étoiles. La binouze ? Oubliée. Cette gorgée perdue n’est rien. Au mieux vous aurait-elle arraché un râle de satisfaction, peut-être un sourire entendu avec le barman. Une émotion de sentimental romantique, un Rousseau s’extasiant devant une feuille qui pousse. Mais ce but, lui, c’est un shot de tequila direct au fond du gosier, un truc qui vous tord, vous brûle, qui vous fait vivre vraiment. Une éruption volcanique. Franchement, qui a déjà rêvé d’être Jean-Jacques ? Poursuivre les convulsions façon Haroun Tazieff, voilà une vie digne d’être vécue.

Probably the best in the world ?

Quand la réclame vante une pisse « probablement la meilleure au monde » , elle nous parle d’un monde aseptisé, débarrassé de ses aspérités qui le rendent unique et multiple dans un même mouvement. Elle nous parle d’une Grèce 2004, pire, d’un France-Roumanie 2008. Un football sans saveur dont le seul but est de désaltérer notre soif de jeu sans y parvenir finalement. Passée l’excitation du premier quart, la suite n’est qu’une descente vers la déception, vers ce final tiède et sans bulles que l’on appelle le regret. On éteint la télé avant Anne-Laure Bonnet, on pose ce verre au fond duquel traîne un reste de jus, et l’on se lève. Ne pas boire cette dernière gorgée est un acte de rébellion intime, le premier pas vers le plein accomplissement de soi. D’abord balancer des patates de forain sur un terrain incertain. Ensuite s’envoyer des mètres de vodka dans un bouge obscur. Marquer, chanter, oublier. Vivre.

Une existence bruyante et folle. A-t-on déjà entendu parler de « football-trappiste » ? Pour évoquer un match à huis clos, peut-être. Mais, que ce soit dans le France-Yougoslavie épique de 1960, dans le football total des Oranje de 1974, ou dans le but de Wiltord un dimanche 2 juillet 2000 à 21h49, à chaque fois est retenu le champagne, qu’il soit sabré ou rebouché. Les palmarès internationaux sont formels : le Brésil, l’Allemagne, l’Italie ou la France sont les princes du monde. Des pays qui ont inventé la cachaça, le Jägermeister, la grappa et le calva. L’Angleterre et la Belgique ? Rien ou si peu. Des larbins biberonnés au houblon. La bière est une boisson de prolétaire quand le football est le sport roi.

C’est l’heure du match à Manchester, ça lève des pintes en Bavière !

Mais les contraires s’attirent, et le foot et la bière sont liés à jamais. De la Guinness de Liverpool à la Brahma de Flamengo, de la Paulaner de Munich à la Jupiler du Standard, le monde vide les fûts pendant que les joueurs font le foot. À Lille, les Brits ont battu un record en descendant 2 000 litres en une matinée, aux 3 brasseurs. Dieu pour la reine et maître Kanter pour tous. Il y a de la monarchie d’apparat dans la bière, un cocon rassurant, un chaperon assommant, là où le foot est un communisme libératoire, une ode à l’égalité créatrice, collective et inconsciente. Le foot est un cadavre exquis grisé par les vapeurs distillées quand la bière est le plaisir minuscule d’un Philippe Delerm.

Les partisans de la roteuse, défaits par le lyrisme, se tournent alors vers le scientifique, arme des faibles. Pas un jour sans son étude « boire de la bière favorise la récupération ! » , en fait TPE d’étudiants américains sponsorisés par Budweiser. Sauf que, sur le terrain, la réalité est implacable : trop de bières avant, c’est la galette pendant ; trop de bière pendant, c’est que vous êtes sur le banc ; et trop de bière après, ce sont de vagues abdos à peine dessinés et déjà envolés. Quant à récupérer une dignité perdue dans les petits ponts rentrés par cet ailier boosté au whisky-coca, le doute est permis. Ce rot étouffé, joues gonflées et main sur le bide, n’a aucune classe. Pas plus que cette urine sans fin, traversant le trottoir en passant par vos pompes pour terminer en marre sur la chaussée. Soyons sérieux : vous feriez moins tache en maillot de l’Évian TG dans une réception par Nadine de Rotschild.

Alors les brasseurs du monde peuvent bien accoler leurs logos aux compétitions les plus glorieuses – l’Euro, la Ligue des champions, le championnat belge –, cela ne les auréolera pas pour autant de leur prestige. Une remarque qui vaut aussi pour la pizza, d’ailleurs. Oui, la petite musique mythique allume aussitôt l’étoile verte dans l’imaginaire collectif. Cela s’appelle le marketing. Un Label 5 on the rocks à l’Olympic, voilà un acte de bravoure. Profitez-en vite. Parce que passés les portiques, c’est Amstel Free pour tout le monde. Libre, mais surtout vidée de son identité. De la bière sans alcool… A-t-on déjà imaginé foot sans buts ?

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Par Eric Carpentier, à sec

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