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« Pour les jeunes, le PSG est le monde de l’illusion »
Comme chaque année, en cette période de préparation, les Titis se voient offrir l’opportunité de briller au fil des matchs amicaux du PSG, avant de - pour la plupart - rentrer dans le rang une fois la saison venue. Choyés par leurs supporters, ces derniers ont ainsi toujours eu une place privilégiée dans le cœur des suiveurs du club de la capitale, en dépit d’une direction rarement tendre avec ses protégés. Un paradoxe antérieur à QSI, que tentent d’analyser les principaux concernés.
Le casting :
Boukary Dramé : défenseur du PSG entre 2005 et 2007 (38 matchs).Tripy Makonda : défenseur du PSG entre 2008 et 2011 (27 matchs).Guy Lacombe : entraîneur du PSG entre 2005 et 2007.Anthony Vivien : président de l’association « Titis du PSG » , à l’origine du terme « Titi ».
Aux racines du « Titi »
Boukary Dramé : « Titi », c’est la définition d’un petit mec débrouillard. Un gars qui réussit à s’en sortir dans une ville aussi compliquée que Paris. Et c’est ce qui nous définit nous, les « Titis parisiens » . Nous sommes parvenus à grimper les étapes jusqu’à signer professionnel chez nous, dans notre ville, dans notre club. On représente l’identité parisienne.
Tripy Makonda : Il y a forcément une forme d’attachement à la région parisienne. Contre d’autres clubs d’Île-de-France, on connaissait la valeur qu’avait le match. Sans être péjoratif, un joueur qui vient d’une certaine campagne, il aura peut-être du mal à s’inscrire dans le climat parisien. Ce terme de « Titi », c’est Anthony Vivien qui l’a mis au goût du jour. C’était le moment où on commençait vraiment à s’intéresser à la formation parisienne, et cette expression a commencé à s’inscrire dans notre quotidien.
Anthony Vivien : Ça remonte à août 2006, au lendemain du titre de champions de France U18 avec la génération Chantôme, Sankharé, Mulumbu, etc. J’avais été très déçu de la couverture de ce titre par le club, alors qu’il n’avait pas l’habitude d’avoir de tels résultats avec ses jeunes. C’est là que tout a commencé, ce titre a servi de tremplin à plusieurs jeunes. J’ai donc voulu mettre ça en avant, il fallait trouver un surnom comme pour les Minots de Marseille, les Gones de Lyon ou les Ch’tis dans le nord. Il y a des codes, on ne porte pas le maillot du PSG comme celui du PFC, de Créteil, du Red Star…
Guy Lacombe : Paris a cette richesse-là, avec de très nombreux joueurs dans 30 kilomètres carrés à la ronde… Tous les Parisiens et de la banlieue sont des Titis, ils s’identifient à travers ça.
Une place à part au PSG
Dramé : Je signe pro à l’été 2005, sous les ordres de Vahid Halilhodžić, quelques semaines avant qu’il ne soit licencié. Je me souviens que pour avoir droit à ce contrat, on a dû batailler ferme avec la direction. Si on avait deux joueurs qui signaient pro en l’espace de cinq ans, nous étions déjà contents. Que cette problématique soit toujours d’actualité ne me surprend donc qu’à moitié, car le club a souvent déconsidéré ses jeunes.
Makonda : En fait, les jeunes sont au centre du projet sans l’être. Même si la formation n’est pas centrale pour les professionnels, elle l’est pour les jeunes. Les clubs qui vont venir toquer à la porte pour les recruter sont souvent des clubs de haut niveau. On l’a vu récemment avec Nkunku ou Diaby.
Vivien : Le centre de formation du PSG a toujours été d’un très bon niveau. Par exemple, lors du titre de champions de France de 1986, la moitié de l’effectif est issue du centre de formation.
Lacombe : Lorsque je suis arrivé, je savais que le centre de formation travaillait bien. Bien sûr, en tant qu’ancien formateur, j’ai eu tout de suite un œil sur la formation, et avec Bertrand Reuzeau, on a bien collaboré. Les Titis, au moins, ils ont l’esprit club. Après moi, Paul (Le Guen) a eu besoin de deux ans pour changer l’effectif, ça a pris du temps, mais il commençait déjà à y avoir des Titis qui étaient importants. Ensuite, quand les Qataris sont arrivés, c’était beaucoup plus difficile pour les jeunes joueurs. Mais malgré tout, il y a plusieurs exemples : Sakho, et par la suite, Kimpembe, Rabiot…
Vivien : L’erreur commise par Nasser a été de dire : « On va trouver le nouveau Messi. » Il aurait plutôt dû dire : « On va trouver le nouveau Luis Fernandez ou le nouveau Clément Chantôme », trouver un exemple issu de la formation du PSG pour montrer aux jeunes que c’est un peu plus atteignable.
Fin des années 2000, période charnière
Dramé : Entre 2005 et 2008, on est à la rue. Les dirigeants nous disaient que pour sauver le club, il leur fallait des joueurs d’expérience. Ils misaient sur plein de mecs de l’étranger, mais beaucoup n’étaient pas forcément concernés par l’avenir du club. Alors que de l’autre côté, les Titis se contentaient de miettes. À la moindre erreur, tu retournais faire des footings avec la réserve.
Makonda : Même dans les clubs formateurs, tu n’as pas non plus tant de jeunes issus de la formation qui s’imposent. C’est souvent un ou deux joueurs, pas plus. Regarde Danzé à Rennes. Mais le plus dur reste de s’imposer sur la durée.
Dramé : Pourtant, les coachs nous voulaient. Laurent Fournier et Paul Le Guen mettaient de vrais coups de pression aux titulaires, en leur disant qu’ils n’hésiteraient pas à faire jouer des jeunes, vu le niveau affiché par l’équipe. Mais la direction freinait toujours tout.
Makonda : Il y a ce match à Valenciennes en 2007 (où Le Guen titularise Arnaud, N’Gog, Sankharé et Ngoyi et donne le brassard à Mamadou Sakho) qui a changé certaines choses. Avec le match contre Lyon la semaine suivante, où il y a de nouveau plusieurs jeunes qui commencent et ne sont pas loin d’accrocher les champions de France. C’était vraiment un super groupe.
Vivien : Cet épisode aurait pu être un coup d’épée dans l’eau. Je pense surtout à Sakho qui est ensuite capitaine en Coupe d’Europe aussi. Le vrai déclic, c’est Chantôme et Mulumbu avec Guy Lacombe, qui est un entraîneur formateur et a été le premier à faire confiance aux jeunes. Il était toujours aux entraînements, accoudé sur la rambarde.
Lacombe : Disons qu’on commençait à leur donner une plus grande importance. On avait une bonne relation avec les éducateurs, et je donnais beaucoup d’importance à leurs avis. Aux jeunes aussi, on commençait à leur donner une plus grande importance. Mamadou Sakho, ce n’était une surprise pour personne. J’ai encore son premier entraînement en tête, il n’avait pas fait dans la dentelle. (Rires.) Moi, ce dont j’ai envie, c’est que mon équipe gagne, donc je prends le joueur qui sera le plus performant.
Vivien : Sur les dix dernières années, à part Adrien Rabiot et Presnel Kimpembe, personne n’a joué beaucoup de matchs. C’est une anomalie. Dans ce PSG version 2022, alors qu’on a supprimé l’équipe réserve, on demande à des jeunes d’être plus forts, de plus en plus tôt, tout en sachant que l’équipe première n’a jamais été aussi forte. Le fossé est encore plus grand qu’avant. Je ne suis pas sûr que dans les dix ans qui viennent, il y en ait beaucoup qui intègrent l’équipe première.
Makonda : Aujourd’hui, c’est un gouffre. Il y a un monde entre les U19 et les pros. Tu peux être au-dessus du lot en U17, mais si tu ne fais pas un travail ciblé, ce n’est pas possible.
Une étiquette lourde à porter
Dramé : Avec la dimension prise par le PSG, les moyens à sa disposition et tous les gros noms qui y évoluent désormais, on se dit que si un Titi signe pro et qu’en plus il gratte un peu de temps de jeu, c’est qu’il est vraiment exceptionnel.
Vivien : Le PSG fait beaucoup parler, dès qu’un jeune arrive dans le groupe, on va beaucoup plus en parler qu’ailleurs. Je ne sais pas si on peut parler de « fantasme » , mais, aujourd’hui, le PSG, c’est un peu le monde de l’illusion pour les jeunes.
Dramé : Après, il y a toujours eu plus d’indulgence envers les Titis qu’envers une recrue. Parce que les supporters savent qu’un Titi, bon ou mauvais, sera toujours plus impliqué qu’un joueur de l’extérieur. On a un attachement sans faille au maillot. Avant d’être joueurs, Sakho, Sankharé, Mulumbu, Makonda ou Mabiala, ce sont des supporters. Ils ne trichent pas.
Lacombe : Quand on voit l’effectif du Paris Saint-Germain, il faut reconnaître aussi que c’est particulièrement difficile. Et pourtant, je reste convaincu que ces jeunes formés au club restent des atouts. Je ne suis pas dans le secret des dieux au club, mais quand on voit les joueurs partis flamber en Allemagne, peut-être que le PSG aurait pu les conserver plus longtemps…
Vivien : Un gardien ou un avant-centre peut-il espérer jouer en pro au PSG ? En tout cas, ils ne peuvent pas se contenter d’un 32e de finale de Coupe de France. Quand Carlo Ancelotti fait jouer Rabiot, il lui donne du temps de jeu sur des gros matchs. Ce n’est pas un jeune qui va déstabiliser toute une équipe. J’aimerais que la section masculine s’inspire de celle des féminines, qui a eu de meilleurs résultats avec Baltimore, Geyoro, Katoto et Morroni sur le terrain.
Dramé : Il y a un trop gros décalage entre l’identité que souhaitent avoir les supporters, en fédérant leurs joueurs, et ce que la direction propose depuis plusieurs années. À Paris ou en banlieue, on se reconnaît entre gens du même quartier. Donc quand l’un de nous signe en professionnel, qui plus est à Paris, c’est une identification forte et une fierté absolue pour tout le monde.
Lacombe : C’est vrai que le joueur a envie de rendre ça, il ne veut pas passer pour un con dans sa ville. Ce sont des leviers sur lesquels l’entraîneur peut jouer. Le lien entre les joueurs et les supporters se fait plus facilement.
Makonda : Que les supporters souhaitent voir les jeunes de la formation réussir, c’est normal. La formation pour eux, c’est l’âme du club.
Vivien : C’est un peu comme voir un membre de notre famille jouer. T’as l’impression que c’est ton propre fils qui entre sur le terrain. Ça me rappelle Maxime Partouche, quand il entre sur le terrain (le 18 mai 2008 contre Bastia en Coupe de France, NDLR), tout le stade chante son nom. Ce sont des moments qui marquent une vie.
Makonda : Aujourd’hui, tu as beaucoup de monde qui vient voir les matchs des U17 ou des U19. À notre époque, on n’avait pas ça, il y avait juste les parents qui venaient. Il y a aussi cette attache avec la formation parce que les supporters pensent qu’au niveau professionnel, ils ont enlevé quelque chose.
Propos recueillis par Adel Bentaha et Tom Binet