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« Pour le moment, Karim Benzema est présumé innocent »

Propos recueillis par Nicolas Jucha
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Dans l'affaire du chantage à la sextape, il y a ceux qui voient Karim Benzema coupable avant d'avoir été jugé par le tribunal correctionnel, et ceux qui dénoncent un acharnement contre le meilleur joueur français du moment. Et il y a aussi ceux qui n'arrivent pas à suivre les enjeux de la procédure entamée il y a cinq ans. Maître Martine Bouccara, avocate honoraire, spécialiste du droit pénal, nous explique les bases.

C’est quoi un réquisitoire définitif ?C’est un résumé écrit de l’accusation. Il n’y a pas de règles quant à la longueur, cela peut faire deux pages dans une affaire très « simple » , mais j’ai eu des dossiers où cela pouvait aller jusqu’à 500 pages. L’affaire commence par une accusation, le procureur représente la société et est cette partie accusatrice. Son premier acte est le réquisitoire introductif, son dernier le réquisitoire définitif. Entre les deux, il y a une enquête et une instruction du dossier. Dans son réquisitoire définitif, le procureur doit justifier sa position en s’appuyant sur les charges qu’il a réunies. Certaines charges ont pu ne pas être retenues, je pense dans le cas présent à Djibril Cissé, qui était concerné par l’affaire et a bénéficié d’un non-lieu.

Il est relativement banal, 90% des cas, qu’un procureur demande l’ouverture d’une enquête puis un renvoi devant la juridiction à la suite de l’instruction.

En quoi consiste l’étape qui transforme le dépôt d’un réquisitoire définitif en un « renvoi » d’un ou plusieurs prévenus devant la justice ? Le procureur n’a fait que requérir, « demander » , et c’est le juge d’instruction qui décide du renvoi ou non d’une personne devant la juridiction. Dans 80% des cas, le juge d’instruction va suivre le réquisitoire du procureur. Il est relativement banal, 90% des cas, qu’un procureur demande l’ouverture d’une enquête puis un renvoi devant la juridiction à la suite de l’instruction. Le réquisitoire définitif de juillet a donné une tendance forte, mais la présomption d’innocence demeure et le prévenu peut être relaxé par le tribunal à l’audience.

Si les charges reprises par le ministère public convainquent le juge d’instruction, il rend une ordonnance de renvoi, le cas de Karim Benzema.

Que Benzema soit dans les cinq personnes renvoyées, cela dit quoi de l’appréciation des faits par le juge d’instruction ? Le juge d’instruction prend le cas de chaque mis en examen un par un, ce n’est pas une décision globale. Intellectuellement, il va faire deux colonnes, une avec les éléments à charge, une autre avec les éléments à décharge. Si ce qui est à décharge a convaincu le juge d’instruction, il rend un non-lieu, le cas de Djibril Cissé. Si les charges reprises par le ministère public convainquent davantage le juge d’instruction, il rend une ordonnance de renvoi, le cas de Karim Benzema. Le juge d’instruction prépare le travail de la juridiction de jugement, devant amener un regard nouveau, son rôle est de dire si les charges existantes constituent des preuves.

Karim Benzema ainsi que son ancien agent Karim Djaziri ont réagi à l’annonce du renvoi en parlant de « mascarade ». Maître Sylvain Cormier, qui défend l’attaquant du Real Madrid, a lui parlé de « décision absurde » et « d’acharnement »… Cette communication peut avoir quel effet sur les débats à venir ?
Depuis une quinzaine d’années, de nombreux prévenus, que ce soit Balkany, Tapie ou Sarkozy, communiquent en amont des procès. Mais je vous fais remarquer que les magistrats se sont habitués à ce type de communication. Dans le procès Daval, une affaire ultra-médiatisée, le président de la cour d’assise a dit le premier jour : « Monsieur Daval, vous serez jugé indépendamment de la médiatisation de cette affaire. » Cela voulait dire que médiatisation ou pas, le juge entendait faire son travail correctement. La peine n’a d’ailleurs pas été aussi forte qu’imaginée dans les médias, où on voyait Daval condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Le juge a décidé en fonction des paramètres habituels et non en fonction de la médiatisation hors normes de l’affaire.

Sauf si le prévenu use du droit de ne pas parler, Benzema et Valbuena vont être des acteurs centraux le jour du procès.

On peut envisager une confrontation entre Benzema et Valbuena pendant l’audience ? Durant la phase d’instruction à l’audience, où les différentes parties peuvent se poser des questions, cet échange entre Mathieu Valbuena et Karim Benzema est possible, ce sera un moment clé avec probablement l’audition des écoutes téléphoniques. Les avocats doivent exprimer leur talent pour préparer au mieux leur client, qui seront soumis à un stress important, et dont les réponses aux questions devront convaincre. À l’audience pénale, les clients sont entendus, ce qui est une différence majeure avec ce qu’il se passe devant d’autres juridictions. Sauf si le prévenu use du droit de ne pas parler, Benzema et Valbuena vont être des acteurs centraux le jour du procès.

En amont de cette décision de renvoi, il y a eu une joute entre les avocats des deux camps, la défense de Benzema essayant de faire invalider l’enquête pour « déloyauté » . Attaquer la procédure sur la forme, est-ce un aveu de culpabilité ?Non, on a dépassé cette vision dans les sociétés judiciaires actuelles, il est communément admis que si une procédure est mal faite, elle mérite d’être annulée. Les règles de procédures dans une démocratie ont vocation à être respectées. « L’homme de la rue » (sic) peut peut-être penser que trouver un vice de procédure pour se défendre, c’est admettre une culpabilité sur le fond. Les avocats et les magistrats, qui sont des professionnels, sont détachés de cela. Pour eux, la nullité d’une procédure, ce n’est parfois que justice. Même s’il est vrai que c’est toujours la défense qui a intérêt à soulever la nullité d’une procédure, puisque les éléments à charge sont contre elle. Dans le dossier du chantage à la sextape envers Mathieu Valbuena, il se peut que les avocats de la défense n’abandonnent pas ce point durant l’audience.

Il faudra tenir compte aussi de la sanction d’exclusion d’équipe de France et des conséquences collatérales.

La peine maximale pour tentative de chantage est de cinq ans d’emprisonnement…Je ne suis pas juge. De la prison, cinq ans après les faits, serait-elle appropriée ? Il faudra tenir compte aussi de la sanction d’exclusion d’équipe de France et des conséquences collatérales. La vie sociale, les dégâts occasionnés sur la vie des prévenus peuvent être pris en compte par les juges. L’enjeu peut être aussi son casier judiciaire, les éventuelles conséquences de celui-ci pour le reste de sa carrière.

Michel Moulin, un candidat à la présidence de la FFF, a indiqué que s’il était élu, il envisageait d’imposer au sélectionneur de rappeler Karim Benzema en équipe de France. Il a dit : « Benzema n’est pas pédophile, il n’a tué personne. Aujourd’hui, il est présumé innocent »
C’est un problème de fédération sportive, avec une réglementation propre que je ne connais pas. Michel Moulin a raison sur un point, tant que Karim Benzema n’est pas condamné, il est présumé innocent. Il est présumé innocent tant qu’il n’est pas condamné et que les voies de recours n’ont pas été expirées. Seule une condamnation définitive vaut. Mais il ne faut pas confondre la justice d’un côté – présomption d’innocence – et le fonctionnement d’une fédération sportive, qui est comme une entreprise avec sa discipline interne. Il y a deux niveaux de réflexion : la présomption d’innocence porte sur le plan pénal, les mesures conservatoires prises par une institution, une entreprise ou une fédération sportive doivent traiter l’urgence du moment. La fédération peut un jour regretter sa décision s’il s’avère que monsieur Benzema est relaxé devant le tribunal correctionnel. Et cela peut valoir une réparation.

Ce qui vaut ici pour la fédération française vaut pour n’importe quelle administration ou entreprise. La fédération a pris une décision, c’était de sa responsabilité et elle ne pouvait s’y soustraire.

Mais les décideurs doivent prendre leurs responsabilités, le risque de s’être trompés…La procédure a déjà duré cinq ans, la fédération française de football ne pouvait pas éviter de se prononcer sur une affaire qui agitait son équipe nationale avant une grande compétition. Tout le monde peut comprendre qu’un joueur de l’équipe nationale, mis en examen pour une affaire de ce type qui touche un de ses partenaires dans cette même équipe de France, c’est forcément un problème. Surtout pour une compétition jouée à domicile. Ce qui vaut ici pour la fédération française vaut pour n’importe quelle administration ou entreprise. La fédération a pris une décision, c’était de sa responsabilité et elle ne pouvait s’y soustraire. Le problème est toujours entre le temps judiciaire, qui est long, ici cinq ans, et le temps de prise de décision de certaines instances, qui doivent agir au jour le jour.

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Propos recueillis par Nicolas Jucha

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