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Populaire, cette Indian Super League ?

Par Paul Pradier, à Mumbai
Populaire, cette Indian Super League ?

À écouter médias et observateurs locaux, ce nouveau championnat indien créé de toutes pièces à coups de millions de dollars est une énorme réussite populaire. Exagéré ? Très largement…

Il est 19h, dimanche dernier à Mumbai. Au Big Bang Bar, dans le quartier huppé de Bandra West, la jeunesse dorée indienne a les yeux rivés sur l’affiche de Premier League du jour : Southampton-Manchester City. Le match est diffusé sur par moins de sept écrans géants. Dans un coin du bar, une autre affiche est retransmise sur une seule et unique télé. Le leader de l’Indian Super League, le Chennai FC de Marco Materazzi, se déplace à Cochin pour affronter David James et son équipe du Kerala Blasters FC. Personne ne regarde. À proximité de cet écran, des couples et des groupes de filles papotent. Chennai s’impose 1-0 et devient la première équipe officiellement qualifiée pour les play-offs. Dans l’indifférence totale.

« Pourquoi regarder ce match pourri ? »

« Pourquoi perdre mon temps à regarder ce match pourri alors qu’au même moment, le 2e et le 3e de Premier League s’affrontent ? » explique Krish, la vingtaine, barbe fournie, avec son maillot floqué « Kun Agüero » sur le dos. Pourtant, comme lui, ils étaient, selon le « médiamétrie » local, plus de 56 millions à regarder la première semaine d’Indian Super League en octobre dernier. Pour le seul match d’ouverture, ils étaient quelque 24 millions, certainement autant intéressés par le grandiose spectacle d’avant-match que par la rencontre elle-même. « J’ai regardé un petit peu au début, mais c’était seulement par curiosité » , raconte-t-il, comme s’il avait besoin de se justifier. Depuis, Krish n’a pas suivi le moindre match d’ISL. Au mois de novembre, ils n’étaient « plus que » 11 millions par semaine à regarder l’Indian Super League. Les organisateurs du tournoi, le groupe de marketing sportif américain IMG et la compagnie indienne Reliance Industries (pétrochimie, télécommunications) n’ont pas lésiné sur les moyens pour satisfaire les téléspectateurs. Ils se sont associés au groupe Star Sport, qui diffuse les matchs sur huit de ses chaînes, et en cinq langues différentes (anglais, hindi, bengali, malayam et kannada). « Pour commenter les matchs en anglais, ils ont fait venir le Britannique John Helm, une pointure » , se réjouit V. Anand, journaliste au Times of India, qui couvre les rencontres du Mumbai City FC. Pour lui, la popularité de l’Indian Super League est indéniable. Petit bémol : il compare sans cesse l’ISL à la I-League, ce championnat professionnel indien créé en 2007. Peu retransmis à la télévision, il se joue dans des stades vétustes devant une moyenne inférieure à 4 000 spectateurs et ne bénéficie d’aucune couverture médiatique.

« La moyenne de spectateurs est la 4e au monde ! »

Au contraire, l’ISL et ses stars internationales sont partout : sur les affiches publicitaires, dans les spots télévisés… « Plus d’un million de supporters indiens se sont rendus dans les stades ! » s’enthousiasme un communiqué de presse envoyé par l’Indian Super League la semaine dernière, après la rencontre entre NorthEast United FC et le Chennai FC. « Avec près de 24 000 supporters par match, il y a plus de monde dans les stades d’ISL qu’en Serie A italienne, poursuit le communiqué, la moyenne de spectateurs est la 4e plus élevée au monde, derrière la Bundesliga, la Premier League et la Liga ! » Les journaux et sites internet ont tous crânement repris ces chiffres, fierté nationale oblige. Ce qui n’est pas précisé, c’est que l’ISL ne compte que huit équipes. Comparer l’affluence aux championnats européens et leurs vingt équipes est donc fantaisiste. De plus, des villes comme Calcutta ou Cochin, où le football est populaire depuis des lustres, rehaussent, à elles seules, fortement cette moyenne (plus de 45 000 supporters par match dans ces deux villes). Enfin, pour chaque rencontre d’ISL, des milliers d’invitations sont offertes et les billets bradés. Tout est fait pour gonfler les chiffres.

Les classes moyennes, enjeu stratégique ?

Cependant, le football en Inde est un sport bien plus populaire qu’on ne l’imagine. Partout dans les rues – à Mumbai, Goa ou Calcutta – des milliers de gamins jouent – pieds nus – pendant des heures sur des terrains vagues. Mais eux ne connaissent pas l’Indian Super League. Ils n’ont pas les moyens d’aller au stade et ne possèdent pas de télévision. S’ils jouent, c’est parce qu’ « une balle de football, ça coûte bien moins cher qu’une batte de cricket et l’équipement qui va avec » explique Anil, 13 ans, dans un anglais hésitant. De l’autre côté de la hiérarchie sociale, les Indiens fortunés se gavent à la Premier League anglaise. Alors l’Indian Super League et son faible niveau, ça ne les fait vraiment pas rêver. Pour se faire une place dans le cœur des Indiens, c’est très certainement vers les classes moyennes que l’Indian Super League doit se tourner. Éduqués au cricket, ils peuvent, grâce à ce tournoi, découvrir un nouveau sport dans de bonnes conditions. Chez eux, grâce à la qualité des retransmissions TV, ou dans les stades, rénovés spécialement pour l’occasion. Bien sûr, L’Indian Super League n’en est qu’à ses débuts. Mais le retour sur investissement prendra beaucoup du temps.

Par Paul Pradier, à Mumbai

⇒ Pour en savoir plus sur l'ISL, reportage aux petits oignons à découvrir dans le SO FOOT #122, en kiosque depuis ce jeudi 4 décembre.

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