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Poisson cru, bagarre et Gangnam Style : la folle vie de Kim Min-jae

Par Léon Geoni et Maxime Renaudet
Poisson cru, bagarre et Gangnam Style : la folle vie de Kim Min-jae

Il n’a mis que quatre mois pour s’imposer comme l’un des meilleurs défenseurs de Serie A. De Tongyeong à Naples en passant par Pékin et Istanbul, Kim Min-jae a tracé sa route. Aujourd’hui, pour son premier Mondial, le voilà prêt à rouler sur le Qatar. Portrait d’un colosse habitué au poisson cru et au signe de croix.

Au moment de s’envoler pour le Qatar, quelques jours avant de souffler ses 26 bougies, Kim Min-jae s’est peut-être remémoré le jour où son histoire avec la sélection nationale sud-coréenne a commencé. C’était il y a dix ans. À l’époque, il venait d’être appelé avec les U17 de son pays. Une convocation à laquelle il ne se rendra pas en avion, mais dans un camion-citerne rempli de poisson frais et conduit par son patriarche Kim Tae-gyun, qui a roulé ce jour-là près de sept heures sur l’autoroute afin de déposer son fils. Normal, ses parents tiennent à l’époque un petit restaurant de sushis à Tongyeong. Une ville du sud célèbre pour ses huîtres et son pain au miel, et baptisée la « Naples de Corée du Sud », car on y parlerait plus fort et on y serait plus bordélique que dans le reste du pays. Un surnom prémonitoire, puisque c’est à Naples que Kim Min-jae a débarqué cet été, avant d’exploser aux yeux de l’Europe et de devenir l’un des deux Sud-Coréens les plus attendus de ce Mondial.

 Lors de sa deuxième saison avec le Jeonbuk, les gens commencent à se dire : et si c’était lui, le prochain grand défenseur sud-coréen ?

« Il paraît surhumain »

Avec deux parents sportifs – son père était judoka, sa mère athlète – il n’y avait aucune raison que Kim Min-jae ne sue pas dès son plus jeune âge. Comme son frère aîné, il commence le football à l’école primaire. Le jeune Kim a déjà un tempérament de guerrier, au point de débarquer un beau jour dans la classe de son frangin pour refaire le portrait des camarades qui le victimisent. Bagarreur à l’école et à la maison, il l’est également sur le terrain, où son niveau de jeu lui ouvre les portes de la Suwon Technical High School, où est passé un certain Park Ji-Sung. Puis, à tout juste 20 ans, soit six mois après avoir arrêté ses études pour le foot, il rejoint le Jeonbuk Hyundai Motors, l’un des meilleurs clubs du pays. « À son arrivée au Jeonbuk, son talent sautait aux yeux, rembobine Paul Neat, journaliste anglais installé en Corée du Sud depuis dix ans. Il avait le même style de jeu que maintenant, tout en confiance. »

Il est alors élu meilleur jeune du championnat, et ses qualités apparaissent au grand jour : vitesse, projection vers l’avant, anticipation et solidité. « C’est un« freak »de 1,90 m pour 85 kg, d’où son surnom de« Monstre », ajoute Paul Neat. Il est tellement rapide et puissant qu’il paraît surhumain. » Autant de qualités qui lui ouvrent les portes de la sélection en 2017, ce qui ravit les habitants de Tongyeong, lesquels accrochent des banderoles à son effigie dans toute la ville. Hélas, ces mêmes portes se referment violemment un an plus tard quand il doit renoncer au Mondial en Russie à cause d’une blessure. Il se rattrapera en remportant les Jeux asiatiques quelques mois plus tard, ce qui lui permet d’être exempté du service militaire complet.

 À l’entraînement, c’est quelqu’un qui pouvait paraître lymphatique. Il n’avait pas besoin de se forcer pour être au niveau en Chine.

De la Chine au Bosphore, encore plus fort

« Lors de sa deuxième saison avec le Jeonbuk, les gens commencent à se dire : et si c’était lui, le prochain grand défenseur sud-coréen ?, rejoue Neat. Il allait partir dans un meilleur championnat que la K-League, c’était évident. » Toutefois, en janvier 2019, il fait un choix étonnant : s’engager au Beijing Guoan, en Chine. Par manque d’opportunités européennes ? Ou pour l’argent ? Paul Neat a sa petite idée : « C’était sûrement un choix financier. Même Kim Young-gwon, son coéquipier en sélection, qui avait passé 5 ans au Guangzhou Evergrande, lui a déconseillé. » Pourtant, le joueur restera un an et demi près de la Cité interdite, où il côtoie Gilles Rousset, alors adjoint de Bruno Genesio. « À l’entraînement, c’est quelqu’un qui pouvait paraître lymphatique. Il n’avait pas besoin de se forcer pour être au niveau là-bas, mais je pense que ça l’a desservi, car il s’est un peu endormi. » Résultat : son expérience chinoise est contrastée. D’un côté, de bonnes performances défensives et des résultats collectifs à la hauteur (2e puis 3e du championnat). De l’autre, des critiques publiques adressées à ses coéquipiers sur le stream d’un commentateur local. « Après, le Covid est arrivé. Il a été obligé de partir de Corée, alors que sa femme était sur le point d’accoucher, raconte Gilles Rousset. Il en a souffert, car il n’a pas vu naître sa fille. »

Sa fille ne verra guère Pékin, puisqu’à l’été 2021, Kim refuse une prolongation de contrat et quitte un Empire du Milieu trop petit pour lui depuis longtemps. Il reste en Asie, mais n’est qu’à un détroit du Bosphore du Vieux Continent : à Fenerbahçe, il n’a besoin que d’une saison pour justifier son surnom de Monstre. Marcel Tisserand, son coéquipier en défense centrale, peut en témoigner : « Cédric Bakambu, qui avait joué avec lui en Chine, ne m’en avait dit que du bien. En Turquie, c’était un nouveau championnat pour lui, il était un peu timide, mais il s’exprimait par son talent ». Dès janvier, son nom apparaît dans des rumeurs de transfert, notamment du côté du Vésuve. Cristiano Giuntoli, le directeur sportif du Napoli, veut le signer à l’hiver, mais le club manque de liquidités. Du côté d’Istanbul, Kim confirme, et Tisserand se régale à ses côtés : « C’est un joueur qui va vite, agile des deux pieds. Il a très peu de défauts, à part parfois de la précipitation sur certaines situations, mais ça va venir avec le temps. »

En Turquie, c’était un nouveau championnat pour lui, il était un peu timide, mais il s’exprimait par son talent. 

Comme un poisson (cru) dans l’eau

Présent dans l’équipe type de Süper Lig, le colosse est rapidement à l’étroit à Istanbul. « S’il était brésilien ou français, sans doute que beaucoup plus d’équipes auraient voulu le signer après sa saison à Fenerbahçe, explique Paul Neat. Comme c’est un joueur asiatique, les clubs ont hésité. » Pas le Stade rennais, entraîné par son ancien coach à Pékin, Bruno Genesio. Un accord semblait scellé cet été, le club breton ayant même trouvé une école pour sa fille, mais au dernier moment, le Coréen a fait volte-face et s’est engagé avec le Napoli. Un épisode un peu étrange qui soulève quelques questions sur la volonté réelle du joueur et le rôle de ses agents dans ce transfert…

Quoi qu’il en soit, son choix s’avère pour l’instant payant. Car dans la Botte, le Monstre marche sur l’eau : 20 matchs disputés en entier sur 21 possibles toutes compétitions confondues, 17 victoires, un trophée de meilleur joueur de Serie A en septembre, et des interventions défensives à faire pâlir tous les bombers d’Italie. Vous en voulez encore ? Le garçon est le joueur qui réalise le plus de passes par match – pareil pour celles vers l’avant – et se place 2e en nombre de duels gagnés de la tête. Kalidou Koulibaly est déjà oublié. À Naples, le colosse a trouvé crampon à son pied, et Marcel Tisserand n’est pas surpris : « La Turquie n’était pas un championnat qui le mettait assez en valeur. À Naples, il a beaucoup plus de libertés offensives, et j’ai l’impression qu’il est un peu plus leader, qu’il prend un peu plus les choses en main. »

 C’est un garçon très drôle, surtout depuis qu’il apprend l’italien. Parfois, vous l’entendez crier « Finito » ou « Mamma mia ».

Installé à Posillipo, quartier huppé de l’ouest napolitain, ce fan de cyclisme a trouvé à Naples un environnement qui lui sied à merveille, lui le catholique qui arbore dans son dos un immense tatouage d’une scène biblique, et sur son torse, un Carpe Diem démesuré. Il y a aussi trouvé une équipe à laquelle il s’est rapidement intégré, bien aidé par son bizutage lors duquel il a chanté le « Gangnam Style » et fait rire tous ses coéquipiers. « C’est un gars très drôle, surtout depuis qu’il apprend l’italien, confiait Juan Jesus au micro de DAZN. Parfois, vous l’entendez crier « Finito » ou « Mamma mia ». C’est un gars en or, mais aussi un guerrier qui n’abandonne jamais et qui est vraiment sympa. » Tellement sympa que Kim s’est excusé sur Instagram après sa seule boulette de la saison, une perte de balle face à l’Udinese. Allez, un camion-citerne rempli de poisson frais ramené au centre d’entraînement, et tout sera pardonné.

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Par Léon Geoni et Maxime Renaudet

Tous propos recueillis par LG et MR, sauf mention.

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