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Plein la tête

Par Alexandre Doskov
Plein la tête

Le KO de Kylian Mbappé a brutalement rappelé que le football est un sport de contact. Problème : les joueurs sont très peu sensibilisés aux blessures à la tête et aux commotions cérébrales, et se mettent parfois en danger sous l’œil impuissant ou quasi indifférent des staffs médicaux.

Faute, pas faute ? Penalty, pas penalty ? Carton rouge, pas carton rouge ? Kylian Mbappé était assommé sur la pelouse, Anthony Lopes guettait du coin de l’œil pour voir si M. Turpin tripotait ou non sa poche à cartons, et tout le monde commençait déjà à donner son avis sur la sortie du gardien lyonnais. On déboulait sur les réseaux, tables de lois et règlements en bandoulière, pour expliquer comment Lopes devait être puni. On débattait de l’intentionnalité ou non du contact, de s’il jouait le ballon ou non avant la collision. Et le pauvre Kylian dans tout ça ? Dans la soirée, le PSG avait tenu à rassurer tout le monde : le garçon allait bien, juste un mauvais coup sur la tête, et il serait bientôt de retour sur les terrains. Comme s’il ne s’agissait que d’une gueule de bois un peu tenace qu’on élimine avec un peu de repos et du doliprane.

Sauf que Mbappé n’est pas rentré du Parc OL avec une simple bosse sur le crâne. Comme beaucoup de joueurs avant lui, il a été victime d’une commotion cérébrale. Le voir revenir si vite après son KO n’est ni dangereux ni exceptionnel. Le docteur Vincent Gouttebarge, chef du service médical du FIFPro (le syndicat international des joueurs professionnels) et très actif sur le sujet, rassure d’entrée de jeu : « Un joueur commotionné doit suivre un protocole avant de savoir quand reprendre une activité sportive, mais il peut très bien rejouer une semaine après avoir subi la blessure. 80% des commotions guérissent naturellement en huit ou dix jours. » Ouf de soulagement. Mais Mbappé a la chance d’avoir été parfaitement traité dans un club aux petits soins pour ses poulains. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

Trous de mémoire

Mbappé a eu droit au traitement cinq étoiles : sortie du terrain après le KO, soins rapidement administrés, puis visite chez le docteur Jean-François Chermann, nec plus ultra de la neurologie qui officie à Paris dans les belles rues du Monopoly. Mais souvent, l’opération capote dès la première étape, celle où le joueur tamponné est censé être remplacé. Avec à la clé quelques histoires absurdes. Comme celle de Bernd Leno, gardien de Leverkusen, qui a mangé un ballon lancé à 100 km/h en pleine tête en août 2016. Il termine le match sur la pelouse, et jure ensuite qu’il n’a « aucun souvenir de ce qu’il s’est passé entre la 21e et la 35e minute » .

En France, Léo Dubois prend un gros taquet en septembre 2015 à la 20e minute de jeu et passe au confessionnal après le coup de sifflet final : « Je ne m’en souviens même pas. En fait, je me suis réveillé sur le terrain à la 33e minute. » L’exemple de black-out le plus dingue reste celui de Christoph Kramer, milieu de terrain allemand titulaire lors de la finale du Mondial en 2014 et culbuté par Ezequiel Garay en début de match. Joachim Löw attend la demi-heure de jeu pour le remplacer, et Kramer livre ce témoignage hallucinant : « Je ne me souviens plus du tout de la première mi-temps. Je pensais avoir quitté le terrain aussitôt après le choc. Je ne sais même pas comment je suis rentré au vestiaire. Dans ma tête, le match commence à la deuxième mi-temps. » Le neurologue américain Michael Lipton, professeur au Albert Einstein College of Medicine et auteur de plusieurs études sur les commotions cérébrales dans le football, s’en désole : « Des joueurs qui ont une commotion cérébrale en plein match et qui continuent à jouer parce qu’ils ne s’en aperçoivent même pas, malheureusement, ça arrive très régulièrement. »

Le football à la traîne

Plusieurs facteurs peuvent expliquer qu’un joueur ne s’aperçoive pas qu’il est commotionné. L’adrénaline du match, l’envie de continuer à jouer coûte que coûte, mais aussi et surtout le manque de connaissance sur le sujet. Le piège est de croire qu’une commotion n’arrive qu’en cas de KO, alors que la victime reste consciente dans 80% des cas. « Dans le football, les commotions sont beaucoup moins fréquentes que dans d’autres sports de contact comme le hockey sur glace ou le rugby » , estime le docteur Gouttebarge. « Elles représentent moins de 1% des blessures. Le manque de sensibilisation et d’éducation sur le sujet joue un rôle dans le fait que les joueurs n’en parlent pas souvent. Ils ne sont simplement pas capables de reconnaître une commotion. »

Cependant, si les joueurs ne sont pas toujours prompts à demander le changement après un coup reçu à la tête, le fait que les staffs médicaux soient si peu prudents (ou qu’ils n’aient pas leur mot à dire) est un réel problème selon le syndicat FIFPro, qui a alerté la FIFA à de nombreuses reprises. Depuis 2006, on demande aux arbitres de flanquer un carton rouge aux joueurs qui utilisent leurs coudes dans les duels aériens. Une mesure qui a permis de réduire le nombre de commotions dans les compétitions internationales, mais la route est encore longue. Vincent Gouttebarge avertit : « Le football est très en retard par rapport aux autres sports sur ce point. Nous tentons d’améliorer les conditions pour les joueurs, pour que le football mette en place une procédure de référence pour gérer les commotions qui arrivent en plein match. »

La tête pas si dure

En bref, c’est toute une éducation qui est à refaire. Et au-delà des coups de coude dans la tête en plein match, plusieurs scientifiques tirent aussi la sonnette d’alarme par rapport au jeu de tête, qui causerait des dommages irréversibles. Une étude publiée en 2016 dans la revueEbio Medicinea fait passer des tests de mémorisation à des footballeurs après vingt corners joués de la tête. Verdict : leur mémoire était 41 à 67% moins bonne qu’au repos. Des altérations temporaires, mais qui peuvent devenir plus graves en cas de répétition sur le long terme. Reste que même après avoir longtemps étudié l’affaire, Michael Lipton affirme que l’on ne peut justement rien affirmer.

« Quelques études ont montré qu’il y avait peut-être un lien entre des commotions arrivées pendant une carrière et des dommages neurocognitifs sur le long terme. Cependant, plus de recherches doivent être faites. On ne sait pas encore à quel point on peut jouer de la tête sans se blesser, il reste pas mal d’incertitudes autour de ce sujet qu’on connaît finalement assez peu. » Même la mort à 59 ans de l’ancien attaquant anglais Jeff Astle pour cause de maladie cérébrale dégénérative, et alors que le joueur lui-même avait déclaré que son Alzheimer était lié aux têtes bombardées pendant sa carrière, n’a pas changé grand-chose. Utilisation du conditionnel, liens de cause à effet pas formellement établis… Comme pour les stéroïdes et les crises cardiaques, tout le monde est conscient que quelque chose cloche, mais personne n’est en mesure d’amener des preuves irréfutables. Toujours est-il qu’aujourd’hui, de très nombreux clubs interdisent le jeu de tête aux enfants. En revanche, rien n’est encore prévu pour les empêcher de croiser la route d’Anthony Lopes.

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Par Alexandre Doskov

Propos de Michael Lipton et de Vincent Gouttebarge recueillis pas AD

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