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Plaisir Iličić
Josip Iličić a la tronche d'un méchant de James Bond période Roger Moore, des bras interminables qu'il promène comme deux encombrants tentacules et passe une bonne partie de ses matchs les mains sur les hanches. Une dégaine disgracieuse, qui contraste avec le jeu du bonhomme : quand le Slovène touche le ballon, il y a souvent quelque chose de sensuel qui se passe.
Éric Cantona l’avait dit et professé il y a des années : « Le ballon, c’est comme une femme, il aime les caresses. » Nul ne sait si Josip Iličić a potassé les maximes du King, mais une chose est sûre, l’icône mancunienne n’est pas le seul capable de provoquer des frissons charnels balle au pied. Bien sûr, il y a les artistes absolus, Zidane, Totti et tutti quanti, qui jouent systématiquement le port altier, torse bombé, foulées décontractées et regard d’acier en prime. Et puis, il y a ceux qui ne ressemblent à rien de prime abord, créateurs de l’ombre, petits épicuriens du football appréciés dans les clubs où ils daignent se pointer, mais plus ou moins ignorés ailleurs. Josip Iličić fut longtemps de ceux-là.
The Artist
À 32 piges consommées, on loue enfin son blase en dehors d’Italie, lui qui évolue pourtant en Serie A depuis le début de la décennie. Pourquoi maintenant ? De l’autre côté des Alpes, Iličić fait pourtant parler de lui depuis son arrivée à Palerme, en 2010. L’histoire retiendra qu’il a inscrit ses deux premiers buts italiens contre l’Inter et la Juve. Jolie carte de visite. Trois années en Sicile, puis une signature à la Fiorentina, où, dès son arrivée en 2013, il s’impose comme l’un des joueurs frisson de la formation toscane, alors pilotée par Vincenzo Montella. L’un des plus irréguliers, aussi, ses 11 buts en 46 matchs de Serie A lors des exercices 2013 et 2014 laissant circonspect sur le plan statistique. C’est seulement à la suite de l’arrivée de Paulo Sousa à la tête de la Fiorentina en 2015 que le Slovène semble véritablement passer un cap : celui qui évoluait prioritairement sur l’aile est replacé comme attaquant de soutien, dans une formation en 3-5-2.
Il peut alors exprimer plus volontiers ses qualités naturelles, dans un rôle de trequartista, qui colle parfaitement à son profil hybride et créatif. Et si la sauce monte à Florence, elle prendra réellement toute sa saveur après la signature d’Iličić à l’Atalanta, à l’été 2017. Aligné à son poste de prédilection, en retrait de l’attaquant (d’abord Andrea Petagna, puis Duvan Zapata), Iličić décolle avec la Dea, en plantant respectivement 11 et 12 pions en championnat, lors de ses deux premiers exercices bergamasques. Cette saison, il en compte déjà 15 et incarne à lui seul le football décomplexé, inventif et presque anticonformiste de l’Atalanta, qui impose son identité stylistique à une Italie du football où la manière reste anecdotique au regard du résultat.
Grand-mère d’enfer
Les chiffres sont flatteurs, mais Josip Iličić n’est précisément pas un joueur de statistiques. Plutôt un esthète qui n’en a pas l’air. Grande courgette d’un mètre 90 à la gestuelle nonchalante, son corps transpire une gravité bizarre, comme un type qui vit un cran au ralenti. « Ses coéquipiers l’appellent la Grand-Mère, il est toujours fatigué » , se marre son coach, Gian Piero Gasperini. Souvent vu les mains sur les hanches, le dos courbé, le visage marqué, l’attaquant bergamasque promène aussi une paire de bras interminables, qui lui donnent un air un tantinet alien sur le pré. L’illusion de son jeu n’en est que plus forte : faux lent, faux flemmard, le Slovène est un technicien de première catégorie. Sa qualité de contrôle, son jeu en une touche, ses dribbles ciselés, sa frappe de balle puissante et son sens inné du collectif en font un joueur aussi complet qu’imprévisible entre les lignes. Valence l’a appris à ses dépens, le 19 février dernier, en huitième de finale aller de C1 : l’ex-Florentin avait alors doublé la mise d’une frappe atomique, un match finalement aisément remporté par les siens.
Heureux qui comme Josip, n’a pas fait de beau voyage
La divine idylle entre Iličić et la Dea a pourtant failli s’achever l’été dernier : si le football du Slovène a quelque chose de romantique, ce dernier assume pour autant de ne pas être un grand sentimental : « Je ne pense pas encore à l’avenir, mais je n’ai jamais dit que je resterais à l’Atalanta pour la vie, confiait le bonhomme à la Gazzetta dello Sport fin janvier dernier. L’année dernière, j’étais très près de partir. Je voulais aller plus loin, jouer pour gagner le Scudetto… Je suis allé voir la direction de l’Atalanta et je leur ai dit : « Soit je peux gagner, soit je vais ailleurs. » Le premier à m’appeler pour m’arrêter était Gasperini. Je ne sais pas ce qui se serait passé si j’étais parti, mais je suis heureux d’être resté. Si je n’étais pas heureux, je ne pourrais pas faire ce que je fais actuellement avec l’Atalanta. » Bien lui en a pris : ce mardi face à Valence, la Dea peut se qualifier pour le premier quart de finale de C1 de son histoire. Et permettre ainsi à Josip Iličić de continuer à jouer sur la scène continentale son drôle de football, si étrange et si raffiné à la fois.
Par Adrien Candau
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