Pedro, sang 9 pour la Seleção

BrésilGhana

Le 23/09/2022 à 20h30

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La scène se déroule dans un VTC, à São Paulo. La conversation, comme souvent, tourne autour du football, et bifurque rapidement sur la Coupe du monde. « Moi, je pense que Pedro devrait y être. Gabriel Jesus, ça fait des années qu’il est là, il ne fait rien », lâche le chauffeur. Pas de supportérisme ici, le chauffeur est supporter des Corinthians, club éliminé cette année de la Libertadores par le Flamengo de Pedro. « J’adore Tite, ce qu’il a fait aux Corinthians(qu’il a amené au graal de la Libertadores en 2012, NDLR),mais il a ses têtes. » Pourtant, le sélectionneur du Brésil a rendu les armes vendredi 9 septembre. Il a convoqué Pedro pour les derniers matchs de préparation à la Coupe du monde, se rendant finalement à l’évidence devant les performances du numéro 21 du Fla et laissant de côté… Gabriel Jesus.

Unanimité au Brésil

Car l’opinion de notre pilote, prononcée quelques jours avant la convocation, n’est pas infondée. Pedro, en 2022, a marqué 12 buts en 12 matchs de Copa Libertadores, au total 24 pions en 53 matchs, soit déjà plus qu’en 2020, sa saison la plus prolifique. Encore plus que par les chiffres, l’attaquant de 25 ans impressionne dans le jeu. « Il fait une saison excellente, et il est impossible de dire autre chose. Il est décisif, surtout dans les gros matchs », décrit Léticia Marques, spécialiste de Flamengo pour Globo Esporte. Au point de faire l’unanimité bien au-delà du Maracanã. Après un triplé de Pedro en demi-finales allers de Libertadores, Tiago Salazar, journaliste et éditorialiste spécialisé dans la couverture des Corinthians, lançait sur Twitter : « Débattre de la convocation de Pedro me paraît déjà une chose du passé, (…) la question est : est-ce que Pedro doit être le titulaire de la Seleção pour la Coupe du monde ? » Contacté par nos soins, Tiago argumente : « J’ai tweeté ça parce qu’on n’a pas de numéro 9 indiscutable en Seleção, comme on en avait l’habitude avec Careca, Romário, Ronaldo. Pedro est performant cette saison et si personne ne sort du lot, il mérite sa chance, ça ne fait aucun doute. »

Ligne par ligne, le Brésil est solide, candidat très sérieux pour ce Mondial, avec des valeurs sûres. Dans les buts, deux des meilleurs portiers au monde (Alisson et Ederson) se disputent la place de titulaire. La défense est bien en place avec trois centraux pour deux postes (Marquinhos, Thiago Silva, Militão), Danilo tient la corde à droite, Telles et Sandro se disputent le flanc gauche. Au milieu pour trois postes, on a Fabinho, Paquetá, Fred, Casemiro (ainsi que Guimarães). Sur les ailes, le choix est presque cornélien : Neymar, Antony, Raphinha, Vinicius Jr. Mais devant ? Tite a déjà testé Gabriel Jesus, Matheus Cunha, Gabigol, Richarlison et même Neymar. Lors de sa dernière interview, quelques jours avant la liste du 9 septembre, Tite a décrit l’utilisation qu’il voulait faire du Ney au Qatar : « Dans l’axe, c’est certain, pas sur un côté. Avec lui, au moins deux attaquants et un milieu qui se projette. Devant, il peut y avoir Gabriel Jesus, ou Richarlison. » Le sélectionneur n’exclut pas les compos avec un faux 9, mais préfère, dans les gros matchs, jouer avec une pointe. Gabriel Jesus mis de côté, et si Pedro… Problème : même si les autres attaquants potentiels de la Seleção n’ont pas apporté d’immenses garanties, le Flamengista n’a quasiment aucune expérience avec l’équipe nationale. À deux mois de la compétition, les sceptiques s’interrogent : est-ce vraiment le moment de tenter des nouveautés, alors que le Brésil, depuis la dernière Coupe du monde, affiche un bilan de 36 victoires pour 9 nuls et 3 défaites ? « Le joueur qui évolue en Europe, il a aussi naturellement une meilleure cote ici, pas nécessairement à raison, ajoute Pedrinho, ancien joueur et un des meilleurs consultants du pays (sur la TV Globo). La qualité de jeu est évidemment meilleure dans les grands championnats européens, ce qui nous fait parfois sous-évaluer le potentiel de certains joueurs du championnat brésilien. »

Chemin tortueux en club

Pedro n’est pas une évidence, malgré un talent qui a toujours été reconnu : il n’a pas le statut de « crack » . « Ce n’est ni un mec très rapide, ni un bon dribbleur », résume Tiago Salazar. C’est une des raisons pour lesquelles il n’a enfilé le mythique maillot or et vert qu’une seule fois. C’était le 13 novembre 2020, pour les 14 dernières minutes d’une victoire face au Venezuela (éliminatoires CDM, 1-0). L’autre raison, c’est que Pedro a du mal à s’imposer en club. Formé au Fluminense (le rival du Flamengo), il a été acheté par la Fiorentina en 2019 (11 millions d’euros) pour ne pas y jouer : quatre apparitions en six mois. Lors du mercato d’hiver, le Fla se jette sur celui qui était déjà un grand espoir du foot brésilien.« C’est une des transactions les plus chères de l’histoire du club(14 millions d’euros)  », précise Léticia Marques. Une saison 2020 aboutie, même s’il ne débute pas toujours les matchs, lui ouvre les portes de la Seleção et puis… rien. Pedro reste remplaçant en club derrière Gabriel Barbosa Almeida, dit « Gabigol » , star des Rouge et Noir. À l’été 2021, une onde de « Free Pedro » déferle sur l’internet brésilien, le club est l’objet de critiques. « Il n’avait pas de temps de jeu, et pourtant le club a refusé de le libérer pour les Jeux olympiques. Il n’était pas du tout satisfait sur le plan personnel non plus », ajoute la journaliste de Globo. Des milliers d’internautes proposent alors des destinations de transfert, critiquent la gestion du club de Rio, s’insurgent de ce talent gâché. En novembre, Flamengo perd la finale de la Libertadores contre Palmeiras, Pedro fait banquette, ne joue pas une minute. Début 2022, ce Palmeiras fait une immense offre au Fla (20 millions d’euros) pour l’attaquant. Offre refusée. « Hors de question d’abandonner un si grand investissement, surtout à un rival direct », détaille Léticia Marques. Il ne devient pas titulaire pour autant et commence la saison 2022 comme remplaçant de luxe de Gabigol. Départ impossible, changement dans la hiérarchie improbable, Pedro est dans la tenaille, jusqu’à une arrivée salvatrice.

Dorival stoppe la migraine

Le 10 juin 2022, Doríval Junior remplace Paulo Sousa en tant qu’entraîneur principal de Flamengo. Le technicien à la figure et aux lunettes rectangulaires débloque la situation. « Jusqu’ici, aucun des entraîneurs de Pedro au Flamengo ne pensait qu’il était possible de l’aligner avec Gabigol, c’était soit l’un soit l’autre, raconte Léticia Marques. Mais Dorival Junior, en arrivant, a très vite eu une conversation avec Pedro, lui garantissant qu’il serait utilisé, qu’il fallait qu’il reste au club. » Dorival dialogue avec Gabigol et d’autres cadres du vestiaire, notamment des talents offensifs (De Arrascaeta, Everton Ribeiro). Il convainc tout le monde d’adapter son jeu pour laisser une place à Pedro. Gabriel s’est réinventé pour former ce duo d’attaquant, et ça fonctionne. Sur les 29 matchs disputés depuis l’arrivée de Dorival, Pedro en a joué 26, dont 16 comme titulaire, notamment tous les matchs de phase finale de Libertadores, la compétition majeure et objectif n°1 du club. Lors des 24 matchs qu’il a disputés sous les ordres de Dorival Junior, Pedro a marqué 16 buts, pour 7 passes décisives. Trois mois après le changement d’entraîneur, Tite convoque Pedro.

Trois jours avant de dévoiler sa liste, le sélectionneur auriverde était invité par TNT Sports. : « C’est un gars qui a les caractéristiques typiques du numéro 9. Le Fred version 2022, c’est Pedro. C’est un joueur de dernier ballon, de finition. » Sans être ni très rapide ni très fort en un contre un, Pedro est vu comme un attaquant de pointe à l’ancienne. « Fort dans les airs, fort en pivot, avec une technique épurée, une excellente science du placement », décrit Tiago Salazar. « C’est un avant-centre né, il est létal dans la surface », ajoute Léticia Marques. Une sorte d’Olivier Giroud à la brésilienne ? « En toute honnêteté, pour moi, il est meilleur que Giroud, explique calmement Pedrinho. Ce que Tite aime chez lui, c’est l’intelligence de jeu, le fait de créer de l’espace pour les autres par ses déplacements, de penser le jeu en général. » Du côté des fans du Flamengo, on préfère le comparer au Marseillais Gerson. Gerson qui, lui aussi, n’a pas réussi à percer en Italie. Gerson qui, lui aussi, est revenu jouer au Brésil, au Flamengo, raflant plusieurs trophées avant de retraverser l’Atlantique avec plus de succès. Pedro aurait reçu de l’intérêt de clubs espagnols, anglais et portugais. Selon certains sites bien informés, le prix de vente potentiel aurait été fixé à 50 millions d’euros.

Le 7 septembre 1822, Pedro I^er proclamait à São Paulo l’indépendance du Brésil et devenait son premier empereur. Le 9 septembre 2022, deux siècles et deux jours plus tard, un homonyme aux cheveux décolorés a fait son retour en sélection. Le pays rêve de trouver en Pedro Guilherme Abreu Dos Santos son empereur des surfaces.