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Paolo Virzì : « En Italie, le football est un conte populaire »

Propos recueillis par Julien Duez, à Montpellier
Paolo Virzì : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>En Italie, le football est un conte populaire<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Récemment honoré d’une rétrospective de son œuvre lors du dernier Festival du cinéma méditerranéen (Cinemed), Paolo Virzì (55 ans), héritier contemporain de la comédie italienne à l’ancienne, en a profité pour disserter sur le football. Une thématique présente discrètement dans ses films, mais qui compte beaucoup dans sa vie personnelle.

Paolo, quand vous étiez petit, vous jouiez au foot dans la cour de votre immeuble à Livourne. Vous n’avez jamais eu d’ambitions dans ce domaine avant de vous tourner vers le cinéma ?Hélas, ma relation avec le football est faite avant tout de frustration, car je n’ai jamais été un bon joueur. J’en souffrais, car en Italie, tous les enfants rêvent d’être footballeurs, et tous mes amis étaient plus forts que moi. Rêver d’un futur dans ce milieu était impossible, il a donc fallu que je fasse autre chose pour compenser.

Je me sers du football dans mes films pour raconter une époque, un contexte sociologique et historique. Et le Mondiale représente à la fois une tragédie nationale et une catastrophe humaine pour tout le peuple italien.

Comment s’appelait votre première idole ?Michele Vitulano. Pour les jeunes de mon époque, c’était une icône. C’était un vrai gaucho argentin avec de grosses moustaches. Il y a une légende à son propos selon laquelle, un jour, il a marqué un but du gauche si puissant qu’il aurait déchiré les filets adverses ! C’est devenu un mythe pour toute la ville, car il a passé toute sa carrière à Livourne, alors que le club était en D3. Sa fille (Carina, N.D.L.R.) est devenue arbitre internationale, et lui, il est devenu un vrai Livournais, il a entraîné des équipes de jeunes du club, avant de mourir d’une attaque cardiaque en 2009, alors qu’il faisait son jogging. (Le traducteur intervient : « Je me permets également de préciser que le virage sud du stade Armando-Picchi porte son nom aujourd’hui. » )

Elles ressemblaient à quoi les parties de votre enfance ?C’étaient des matchs inoubliables avec les copains qui duraient très longtemps. On inventait des scénarios incroyables, on prétendait qu’on jouait sur la pelouse de Wembley ou de Santiago-Bernabéu. J’y fais allusion dans mon film Ovosodo (sorti en 1997, N.D.L.R.). Piero, le personnage principal, joue au ballon au moment où l’Italie affronte l’Allemagne en finale du Mondial 1982. C’est un moment historique puisque la Squadra Azzurra s’apprête à remporter sa troisième étoile. Mais pour Piero, le moment historique se situe ailleurs : en allant récupérer la balle derrière un muret, il relève la tête vers le balcon de sa voisine et il aperçoit une chatte pour la première fois de sa vie.


En somme, vous utilisez le prétexte du football pour parler d’autre chose. On le voit d’ailleurs dans votre dernier film, Nuits magiques, sorti l’été dernier en France, et qui se déroule sur fond de Coupe du monde 1990. J’essaye de reconstruire un petit morceau de la passion de mes compatriotes pour le football. En Italie, le football est un conte populaire qui signifie beaucoup pour les gens, il accompagne leur vie. Je m’en sers dans mes films pour raconter une époque, un contexte sociologique et historique. Le Mondiale représente à la fois une tragédie nationale et une catastrophe humaine pour tout le peuple italien, à travers cette défaite à Naples, en demi-finales face à l’Argentine. Mais c’est vrai que Nuits magiquesqui n’est autre que l’hymne du Mondial 90 chanté par Gianna Nannini et Edoardo Bennato – ne parle pas du monde du football, il parle de celui du cinéma.


Les protagonistes principaux, Antonino, Eugenia et Luciano, sont trois jeunes scénaristes partis à la conquête de Rome. Leur parcours est mêlé de jalousie, de rivalité, d’ambition, de concurrence… On a un peu le sentiment qu’ils avancent au même rythme que la Squadra Azzurra pendant la compétition. Je suis surpris de tous les liens que vous faites entre ces deux milieux. Je n’y avais pas pensé moi-même. Mais une fois que le film est terminé, mon nom reste sur l’affiche, mais l’histoire ne m’appartient plus, elle appartient au spectateur. Ceci dit, il est vrai que les personnages avancent ensemble, unis par le même rêve, comme les Italiens avec leur équipe nationale. Nuits magiques, c’est le conte d’une désillusion. Et la plus grande désillusion, ça a été cette élimination en demi-finale.

Reproduire un match dans une fiction, c’est quelque chose de très difficile à construire. C’est impossible à cadrer et à mettre en scène, car le ballon est un objet rond qui bouge dans tous les sens en permanence. Finalement, cela paraît toujours faux.

Vous ne pourriez pas réaliser un film où le ballon tiendrait le rôle principal au lieu de seulement l’insérer en filigrane ?Je l’ai déjà fait en tant que producteur, en 2006, avec Le jeu le plus beau du monde. C’est un film réalisé par quatre metteurs en scène et divisé en quatre épisodes qui montrent chacun une facette différente du football : un agent qui amène un joueur africain en Italie, la vie d’un troisième gardien, un petit Napolitain qui part chez les jeunes de la Juve et une amitié qui devient sexuelle entre deux joueuses de la Lazio. En somme, tout se passe derrière le rideau, à aucun moment le jeu en lui-même n’est mis en avant.

Pourquoi ?Reproduire un match dans une fiction, c’est quelque chose de très difficile à construire. C’est impossible à cadrer et à mettre en scène, car le ballon est un objet rond qui bouge dans tous les sens en permanence. Finalement, cela paraît toujours faux. Dans À nous la victoire par exemple, les actions et les buts de Pelé sont complètement irréels ! En fait, le foot n’est pas un sport cinématographique, contrairement à la boxe, parce que c’est une danse, une chorégraphie. On peut interrompre une scène et la retourner sans problème.

Les footballeurs font-ils de bons acteurs ?Bien sûr, ce sont des stars ! Francesco Totti ferait un formidable comique par exemple, on l’a d’ailleurs vu dans plusieurs pubs. Mais jusqu’à présent, je pense que seul Éric Cantona a prouvé qu’il était un bon acteur, avec Looking For Eric. Mais précisément parce que c’est Cantona, il est bourré de charisme.

Dans un autre registre, on a vu Aurelio de Laurentiis (Naples) et Massimo Ferrero (Sampdoria) s’essayer tant à la production cinématographique qu’à la présidence d’un club de foot. Les passerelles entre les deux ne manquent pas.De Laurentiis, il fait de moins en moins de films. Tout son argent passe dans le football. Je l’ai vu au San Paolo, tout le monde l’adule comme une divinité ! À mon avis, quand il a découvert la joie d’être aimé et célébré dans sa ville, ainsi que la gloire que pouvait lui apporter le football, il a abandonné le cinéma pour se concentrer pleinement sur son rôle de président du Napoli. Il a probablement redécouvert un plaisir que les films ne lui apportaient plus. Peut-être aussi parce que la formule qui a fait son succès (le « cine-panettone » , des comédies légères qui sortent souvent pendant la période de Noël, N.D.L.R.) a fini par s’essouffler. Des acteurs comme Christian De Sica ou Massimo Boldi sont devenus des vieux comédiens un peu pathétiques. Les scripts des films étaient toujours construits avec les mêmes ingrédients : le cul, la chatte, la bite, le pet, le rot… Aujourd’hui, ils ont 65 ans, forcément, ça ne passe plus aussi bien qu’avant.

Justement, les protagonistes de Nuits magiques appartenant à la vieille génération évoquent l’idée d’une décadence du cinéma italien au tournant du siècle. Paradoxalement, à cette même époque, le football italien est considéré comme le meilleur du monde, contrairement à aujourd’hui ; comme s’il était lui aussi devenu décadent. C’est un débat trop sérieux pour moi, mais je ne crois pas qu’on puisse parler de décadence du football pour autant. C’est une culture pop qui bouge en permanence et reflète souvent la culture de l’instant en Italie, au même titre que le cinéma ou la chanson. Toutes les formes de culture tendent à évoluer, surtout en ces temps de globalisation. On le voit dans ce qu’on mange, ce qu’on achète, ce dont on rêve… Ce n’est pas un phénomène forcément négatif, les différences et les particularités d’autrui nous apportent aussi une richesse. S’y opposer signifie parfois devenir nationaliste et chauvin, et ça, je n’aime pas.

Quel regard portez-vous sur les incidents racistes qui émaillent les tribunes italiennes ? En avril dernier, beaucoup ont été choqués de la réaction de Leonardo Bonucci qui n’avait pas pris la peine de défendre son coéquipier Moise Kean, victime de cris de singe de la part de supporters de Cagliari.

Sérieusement, comment un grand pays de 70 millions d’habitants peut avoir peur de quelques centaines de désespérés qui arrivent en bateau ?

C’est terrible, mais en même temps, cela reflète énormément ce que les propagateurs de haine comme Salvini ont diffusé dans le pays, notamment du point de vue de la question de l’immigration. On a créé et construit un sentiment de peur, et je crois que c’est devenu le principal problème de notre pays aujourd’hui, c’est très grave. Et pourtant, dans la réalité, l’Italie est très loin d’être envahie, il suffit de regarder les chiffres. Sérieusement, comment un grand pays de 70 millions d’habitants peut avoir peur de quelques centaines de désespérés qui arrivent en bateau ? Ce qui me rassure, c’est qu’aujourd’hui, dans les écoles primaires, les enfants sont habitués à vivre avec cette multiculturalité. Ce sont probablement eux qui nous apprendront le vivre-ensemble.

Le club de votre ville natale, Livourne, s’est érigé en contre-modèle. Pas seulement au niveau du racisme, mais de la politique en général. Il y a dix ans, vous déclariez à la Stampa que les Livournais étaient « des Sioux face aux bourges de Rome » . Oui, dans l’esprit de la petite vengeance politique et sociale d’une ville profondément prolétaire au sein du monde du football qui est celui de l’argent. Je me souviens de la remontée du club en Serie A en 2004 : 12 000 tifosi livournais se sont déplacés à San Siro pour y affronter le Milan (2-2, un doublé de Seedorf contre un autre de Lucarelli, N.D.L.R.) et ils portaient tous des bandanas sur la tête pour se moquer de Berlusconi (qui avait adopté cette curieuse excentricité vestimentaire, N.D.L.R.). Au match retour, j’étais au bord du terrain avec une caméra dans le cadre d’un documentaire. Depuis trois jours, je filmais l’attente et la tension du public. Quand Corrado Colombo a marqué le seul but de la rencontre, de joie, j’ai lâché ma caméra et je suis allé l’embrasser. Adriano Galliani, le président du Milan, a dit : « Mais qui c’est, cet enculé ? » , quand il a vu une personne habillée normalement courir le long du terrain pour fêter le but avec les 20 000 supporters du stade.

Aujourd’hui, vous continuez de suivre le Livorno ?Pour être honnête, non. Je l’ai fait quand ils étaient en Serie A, mais je ne regarde plus trop de football, hormis la Coupe du monde. L’année dernière, j’ai emmené mon fils voir la Roma avec des copains à lui et je trouvais ça très rigolo de voir qu’il connaissait tous les joueurs et moi aucun. À un moment, il me dit : « Qu’est-ce que tu regardes papa, c’est par là que ça se passe ! » , parce que je passais plus de temps à observer le spectacle des gens dans la tribune plutôt que le match. C’est ça le vrai spectacle. Surtout à Rome, c’est très théâtral.

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Propos recueillis par Julien Duez, à Montpellier

Photos : Eric Catarina/Cinemed et IconSport.

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