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Outsiders krew : « Le mouvement ultra est très créatif »

Propos recueillis par Guillaume Navarro et Antoine Aubry.
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Ultras et artistes, Seb et Spag, deux Caennais membres du Malherbe Normandy Kop et amateurs de graffiti, sont partis dans des bidonvilles pour partager leur vision de l'art. Après l'Indonésie, le Kenya et le Népal, les voilà sur le point de partir pour la Colombie.

Tout d’abord, une rapide présentation, votre rapport au football et au Malherbe Normandy Kop (MNK) ?

Seb Toussaint : 26 ans, graffeur/peintre, supporter de Malherbe depuis mon enfance. Depuis 2006, je suis l’un des capos du Malherbe Normandy Kop.Spag : 26 ans, artiste photographe, supporter inconditionnel depuis bien longtemps, et l’un des photographes du Malherbe Normandy Kop. Depuis 2006 également.

Et vous êtes où en ce moment ?

On est chez nous à Caen, en train de préparer le prochain épisode de Share The Word qui se déroulera à Bogota, en Colombie dans quelques jours !

Est-ce que le graffiti et le mouvement ultra se ressemblent sur certains points ?

Ce sont deux mouvements presque tribaux, avec un ancrage au niveau du territoire. Dans le graff’ comme dans les tribunes de foot, on trouve plus de mecs passionnés que de mecs raisonnés. Ce sont aussi des mouvances méconnues et souvent mal vues du grand public.

Pour revenir sur le projet, racontez-nous la genèse de cette initiative ?

Après être rentrés d’un tour du monde en vélo effectué avec un troisième camarade du Malherbe Normandy Kop, nous avons eu l’idée de mêler nos 2 arts, la photographie et le graffiti, pour un projet qui pourrait nous immerger dans une communauté. On a eu cette idée de raconter la vie de bidonvilles en faisant parler les habitants. L’idée est simple : on demande aux gens de nous donner un mot que l’on peint ensuite sur leur maison. Le travail de photographie et de vidéo de Spag consiste à relater tout cela au monde extérieur. Le but de notre projet est de faire en sorte que notre art soit un pont entre le bidonville est le reste. Les habitants de ces quartiers ont, en général, très peu de contacts avec l’extérieur. Ils vivent de façon renfermée, rejetés par la société. Mais après quelques fresques et un peu de bruit dans la presse locale, les gens viennent voir le bidonville et sont souvent surpris par l’accueil des locaux !

On imagine que ce genre d’initiative coûte beaucoup plus qu’elle ne rapporte. Comment financez-vous ce projet et comment comptez-vous le pérenniser ?

Pour le moment, on a financé les trois premiers projets (en Indonésie, au Kenya et au Népal) nous-mêmes. On a voulu tester le projet pour voir s’il fonctionnait. Et on s’est rendu compte qu’il marchait très bien ! On n’a presque jamais eu de refus de la part de locaux, on est très bien accueillis et les gens, en général, adorent cet art. Donc on a décidé de continuer. Pour ça, on est en train de mener une campagne de financement participatif sur Internet à laquelle beaucoup de monde participe. On est déjà en train de penser à la suite en recherchant des sponsors et en prévoyant des expos…

La peinture et le dessin tiennent une large place dans le mouvement ultra. Votre activité en tribune vous a-t-elle aidés à la réalisation de ce projet ? D’ailleurs, comment êtes-vous arrivés dans le mouvement du graffiti ? Via la mouvance ultra ? Ou l’inverse ?

Seb Toussaint : J’ai toujours aimé dessiner, mais c’est au Malherbe Normandy Kop que j’ai réellement commencé à faire ça sérieusement. Dès mon arrivée, les anciens m’ont fait confiance pour tracer des phrases, des tifos, pour créer des écharpes, des T-shirts, et pour repeindre le local etc. Je ne suis jamais passé par une école d’art, je n’ai jamais pris un seul cours de dessin… Mon école, c’est le MNK. Je me suis mis à peindre de plus en plus et aujourd’hui, j’en fais mon métier. Spag : Moi c’est pareil. J’ai toujours fait de la photo, mais mon premier vrai travail de photographe a été en tribunes.

Existe-t-il un réservoir artistique chez les supporters ?

Carrément ! Le mouvement ultra est très créatif. Entre les gens qui rédigent les zines, qui peignent les tifos, qui dessinent les gadgets… D’ailleurs, le gars qui réalise la musique pour nos vidéos n’est autre que l’un des batteurs du groupe (celui qui accompagne les chants au tambour, ndlr) en train de devenir un très bon producteur de musique et qui joue en même temps dans un groupe de pop-rock en Angleterre. Lorsqu’on aura un peu plus de moyens, on prendra avec nous une personne de plus pour nous aider. Cela sera quelqu’un du groupe, quelqu’un de la famille qui a notre mentalité et l’expérience de bosser sur des tifos.

Les clichés montrent les ultras comme des sauvages incultes et violents. Votre initiative prouve que ce n’est pas forcément le cas… Est-ce que certains médias s’y sont intéressés ?Dans les pays dans lesquels nous travaillons, les médias s’intéressent à notre travail. En Indonésie, le premier quotidien du pays a publié un gros article sur nous. Deux de leurs journalistes ont passé deux journées avec nous dans le bidonville. On a aussi eu pas mal d’articles et d’interviews sur des sites web anglais, mexicains, américains, russes, japonais… Mais en France, hormis La Grinta, seule la presse locale en Normandie s’est intéressée à nous.

À l’heure où les ultras pâtissent d’une image détestable, gagneraient-ils à multiplier ce genre d’initiatives ?

Les ultras sont déjà à l’origine de nombreuses initiatives intéressantes, en France, et même partout dans le monde. Ce sont des gens solidaires qui ont un vrai cœur. Mais hélas, la plupart des médias préfèrent parler d’événements plus vendeurs…

Et quel regard portent vos potes du MNK sur ce projet ?

Ils sont géniaux ! Toujours là pour nous soutenir, pour nous aider à installer une exposition, pour parler de nous à leur entourage, pour aider à récolter des fonds, ou pour nous envoyer des messages d’encouragements dans les moments les plus durs. C’est une grande famille sur qui on pourra toujours compter. Lors de la soirée de lancement de notre vidéo sur notre projet au Kenya, notre leader s’est levé et nous a félicités dès la fin de la vidéo. Ça veut dire beaucoup pour nous, surtout venant de la part d’un homme qui nous a toujours poussés à aller de l’avant dans nos projets.

Lors de vos excursions, une large part est donnée à l’échange, à la solidarité, à la participation des enfants. C’est un peu le quotidien (du moins presque) d’un groupe ultra, non ?

On se le dit souvent : un bidonville, c’est un peu comme un groupe ultra. Il y a les leaders charismatiques, les têtes pensantes, les gens créatifs, les suiveurs et beaucoup d’atypiques. Et tout ce petit monde se respecte un minimum et s’entraide. Et lorsqu’il y a un problème, les gens des bidonvilles n’ont ni recours à la police ni au tribunal. Ils règlent ça entre eux, et le dernier mot sera pour le leader. Chez les ultras, c’est pareil. Et on peut ajouter, toutes proportions gardées évidemment, qu’il y a aussi ce sentiment d’être seuls contre tous. Cela existe tant chez les ultras que chez les habitants des bidonvilles, qui sont mal vus par le reste de la population.

Ici en Europe, les quartiers défavorisés que vous visitez peuvent renvoyer à une image plutôt hostile. On les imagine comme des zones de non-droit, où toute personne extérieure est en danger car considérée comme une menace. Comment se déroule votre immersion dans ces quartiers ? Comment y êtes-vous accueillis ? Êtes-vous surpris ?

Tout dépend du lieu. En Indonésie ou au Népal, l’immersion a été plutôt facile. Il y a des choses et surtout des personnes à respecter, mais ce n’est pas bien compliqué. Au Kenya, on a travaillé dans un très grand bidonville (environ 300 000 personnes) et le contexte est beaucoup plus pauvre et violent. Il y a d’énormes problèmes de sida, de drogues, de gangs, d’armes à feu… Il a fallu la jouer fine et prendre un peu de temps. On a d’abord identifié les leaders charismatiques, à qui on a expliqué notre projet. Très vite ils ont pu nous protéger, et, même s’il nous est arrivé de nous faire agresser dans des ruelles, on s’en est toujours bien sorti en étant patient, calme, et en ayant de bonnes relations avec les bonnes personnes. Mais il faut dire que l’immense majorité des habitants de ce bidonville a été super accueillante, ce qui nous a beaucoup aidés.

Vous avez forcément une anecdote à nous raconter…

Au Kenya, dans le bidonville de Mukuru où l’on a travaillé, une rumeur s’est répandue à notre égard et a failli écourter le projet. Certains membres de la communauté pensaient que l’on était des agents du FBI venus espionner les terroristes d’Al-Shabaab (la branche somalienne d’Al-Qaïda), et que le projet artistique était simplement notre couverture… Un jour, certains membres de la communauté nous ont dit de dégager et nous ont fait comprendre de ne plus jamais revenir. On a pesé le pour et le contre, et on a décidé de poursuivre le projet car nous étions défendus par une majorité de personnes. Au final, ça s’est bien passé, mais ça a été chaud…

Ces quartiers, c’est aussi le cliché des gamins qui jouent au foot dans la rue toute la journée. Le football tient-il vraiment une place importante dans leur vie ? Qu’est-ce que ça signifie ?

Dans tous les bidonvilles, les gamins jouent au foot. Au Kenya, ils jouent avec un noyau d’avocat enveloppé dans du scotch, au Népal avec des petites balles en plastique dur, mais peu importe, le football est partout. C’est un moyen de penser à autre chose, de partager un moment entre potes… Et nous, ça nous permet de nous entraîner pour le tournoi annuel du groupe !

Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Les voyages forment tout court. On a beaucoup voyagé à vélo, et aujourd’hui on commence à bien connaître l’environnement des bidonvilles et des quartiers défavorisés. Voyager permet de prendre du recul sur le monde et sur soi-même. On ne voit pas tout de la même façon après avoir passé un mois dans un immense bidonville africain. On relativise sur beaucoup de choses, évidemment.

Que pensez-vous du graff’ « vandale » ? À ce propos, connaissez-vous Boris, le graffeur bulgare récemment envoyé en prison à Paris ?

Le graff vandale, c’est l’essence même du graffiti. C’est de l’art sauvage et spontané avec une multitude des styles qui varient d’une ville à l’autre, c’est très intéressant. On essaye de garder le côté spontané du graffiti dans notre travail, en ne réalisant aucun « sketch » à l’avance. On préfère y aller direct, avec l’inspiration du moment. On a récemment appris ce qui est arrivé à Boris. On est forcément déçus, car il nous a bien fait marrer. Il a un sens du l’humour qui fait du bien. Après, nous ne sommes pas surpris qu’il se soit fait choper, mais faire de la prison pour avoir étalé de la peinture, ça reste un scandale !


Autre question : lors de vos périples, est-ce que vous suivez les résultats du SMC non-stop ? Ou vous coupez avec le foot ?

Bien sûr, on écoute toujours les matchs à la radio lorsqu’on est à l’étranger, et dès qu’on est de retour à Caen, on est au stade, au capo pour Seb, et derrière l’appareil photo pour Spag… Comme depuis des années !

Vous n’avez jamais songé à monter un projet sur Caen ?

Nous sommes justement en train de mener une action au niveau local, dans un quartier de Caen où il y a énormément de prostitution. On fait la même chose que dans les bidonvilles, on demande à ces femmes de nous donner un mot, que l’on peint ensuite sur leurs camionnettes. Le contexte n’est pas le même que dans des quartiers défavorisés, mais c’est une communauté marginalisée, parfois même détestée, qui a beaucoup de choses à exprimer. Pour l’instant on a peint 3 mots : « Amour » , « Rêve » et « Fashion » . C’est important pour nous de faire de l’art dans notre ville !

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