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Oswaldo Piazza : « Le Chaudron, ce n’est pas n’importe quel stade »

Propos recueillis par Flavien Bories
Oswaldo Piazza : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le Chaudron, ce n’est pas n’importe quel stade<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Oswaldo Piazza. L’Argentin avait la recette pour faire bouillir le chaudron. Ses grandes chevauchées réveillaient et ambiançaient Geoffroy-Guichard et ses coéquipiers. Finaliste de la Coupe des clubs champions 1976, le défenseur a remporté 3 championnats de France et autant de coupes nationales. Retour sur un international argentin, qui en 1978, aurait dû faire partie de l’équipe championne du monde.

Jeune, vous étiez bel homme !Oui, j’étais très beau. J’avais les cheveux longs. Et puis quand je suis arrivé en 1972 à Sainté, les visages typés étaient à la mode également. Certains cow-boys de film n’étaient pas très beaux, mais avaient beaucoup de succès parce qu’ils étaient typés.

Vous êtes né à Buenos Aires.Je viens d’une famille de sept enfants. Mon père était ébéniste. Ma mère n’avait pas le temps de travailler avec tout le boulot qu’il y avait à la maison. Papa est arrivé en Argentine à 12 ans d’Udine en Italie. À cause de la guerre, beaucoup d’Italiens et d’Espagnols sont arrivés en Amérique. Nous habitions dans la banlieue de Lanus.

Mon papa ne m’a jamais vu jouer, ne l’a jamais voulu. Il était tellement stressé à l’idée que je fasse des bêtises.

On était bien, on s’est apporté beaucoup de choses en tant que frères et sœurs, même si ce n’était pas toujours la joie. Papa devait travailler beaucoup, même le 1er mai. Il aimait son boulot, et maman faisait en sorte qu’il ne nous manque rien. Quand c’était le cas, on ne le remarquait pas. Mon père est mort dans la rue d’un infarctus à 58 ans. Il ne m’a jamais vu jouer, ne l’a jamais voulu. Il était tellement stressé à l’idée que je fasse des bêtises. Qu’on ait gagné ou perdu, si on avait encaissé des buts, il était au courant et me demandait toujours des comptes. (Rires.) Je pense qu’il ne regardait pas mes matchs pour me protéger de sa nervosité. J’avais un frère de quatre ans mon aîné, un gardien. Mon père est allé une fois le voir jouer et, à la fin du match, il a dit : « Jamais plus je n’irai vous voir. » Mais il était quand même content qu’on soit devenus professionnels. Il nous a appris ce qu’était le travail, les responsabilités et la convivialité dans une famille nombreuse.

Parlez-moi de vos quatre années à Lanus.Nous étions en grande difficulté. On avait eu une bonne année en 1968, puis on a commencé à peiner, on n’avait pas de bons résultats. En 1970, on est descendus en deuxième division. On est restés huit mois sans être payés. C’était difficile, d’autant que je me suis marié et que j’ai acheté une maison, anticipant l’argent que j’allais recevoir. Heureusement, ma femme travaillait, elle est psychologue. Quand on s’est marié, j’avais 22 ans, elle en avait 19. Même si on est remontés tout de suite, 1972 a été une mauvaise saison, mais Garonnaire était venu chercher un libéro à Buenos Aires. Il a observé l’Independiente, Boca, River, San Lorenzo, avait parlé avec beaucoup de joueurs à l’époque. Il lui restait deux jours et il a vu un match entre le premier Boca et Lanus, la lanterne rouge. C’est là qu’il m’a vu jouer. Il est tout de suite entré en contact avec les dirigeants. Le sélectionneur assistait également à la rencontre. Il m’a convoqué ensuite en équipe nationale.

Aller en Europe représentait beaucoup pour un joueur argentin ?Si vous demandiez aux joueurs, 90% auraient signé dans n’importe quelle équipe européenne. C’était un progrès énorme : une autre notoriété, plus d’argent, un contrat à temps plein. Déjà à 14, 15 ans, mon objectif était de partir en Europe. On se posait beaucoup de questions, car on quittait tout, mais je voulais réussir à Saint-Étienne, un club bien organisé.

Jean-Michel Larqué disait de vous dans Nos années en Vert (éditions du Toucan) : « Oswaldo n’aime pas la solitude, et vivre au rythme d’un sportif de haut niveau, à la française lui était difficile. »

Je ne sais pas si j’aurais pu faire cette carrière à Saint-Étienne sans Jean-Michel Larqué, ni Ivan Ćurković. Même si on ne se comprenait pas, il s’est passé beaucoup de choses entre nous deux. On a beaucoup rigolé.

J’ai besoin de contacts. Je n’aime pas me chercher des excuses, j’assume mes ratés et à cette époque, à mes débuts, je faisais l’inverse de ce qu’il fallait. Puis on a fini par apprendre à évoluer ensemble et on n’a plus eu besoin de se parler, mais juste à se regarder. Mais au début, j’étais comme Jean-Michel le décrit et j’ai pu avancer grâce à lui. Il m’a énormément aidé. J’avais quelques difficultés avec la langue, mais heureusement il parlait espagnol. Je ne sais pas si j’aurais pu faire cette carrière à Saint-Étienne sans lui, ni Ivan Ćurković. Même si on ne se comprenait pas, il s’est passé beaucoup de choses entre nous deux. On a beaucoup rigolé. On était seuls dans le même l’hôtel. On faisait la route à pied pour aller manger, toujours dans le même restaurant. On ne savait pas faire autrement. Sur le chemin, on voulait se parler, mais on ne se comprenait pas. On arrivait pliés en deux, et la dame du restaurant nous demandait : « Qu’est-ce qui vous arrive, pourquoi vous rigolez ? » Mais on ne pouvait même pas lui expliquer.

Le déclic qui vous a permis de bien vous sentir à Saint-Étienne ?

Quand il est venu me chercher, Garonnaire m’a pris pour jouer libéro. J’ai eu du mal à m’adapter parce qu’on n’évoluait pas de cette façon en Argentine : avec l’association stoppeur plus libéro. On jouait en zone, comme aujourd’hui en Europe.

Le temps. Je n’étais jamais venu en Europe. Nous les Argentins sommes très attachés à nos habitudes. Mais Robert Herbin, notre entraîneur, a toujours voulu que je sois dans l’équipe. Je crois qu’au bout d’un certain temps, il était le seul. Même Garonnaire, qui m’avait choisi, n’y croyait plus, et je ne parle même pas du président. Quand il est venu me chercher, Garonnaire m’a pris pour jouer libéro. J’ai eu du mal à m’adapter parce qu’on n’évoluait pas de cette façon en Argentine : avec l’association stoppeur plus libéro. On jouait en zone, comme aujourd’hui en Europe. Vous savez, stoppeur est un poste très ingrat. Il faut marquer l’avant-centre, le suivre… mais j’ai eu de la chance de pouvoir parler avec Robert Herbin. Il était plus clairvoyant que moi : « Je pense que tu seras le stoppeur dont on a besoin, mais tu as besoin d’être au contact de l’attaquant. Dans ce registre, tu seras le plus fort. » J’ai accepté en baissant la tête, mais en le remerciant tout de même. Quand on voit le résultat, il avait raison, mais je lui ai tout de même demandé : « Puis-je quand même faire autre chose que de marquer l’avant-centre ? J’aimerais participer au jeu de l’équipe et porter le ballon. » Il était d’accord, mais encore me fallait-il montrer que j’étais capable de le faire. J’ai dû aussi affronter des attaquants redoutables, très, très forts.


Le plus coriace ?Ils l’étaient tous, même si les petits, le style Lacombe, Berdoll me mettaient beaucoup en difficulté. Mais on rencontrait également des grands attaquants, dont Edström, le Suédois de 2,03m qui jouait au PSV Eindhoven. On ne pouvait pas rivaliser dans les airs avec lui. Parfois, on était obligé de faire des choses pas très autorisées, comme lui descendre le short avant que la balle arrive. Ce n’était pas pour faire les malins, mais on était concentré. Il était tellement pudique qu’il s’occupait de son short et laissait passer le ballon. Pour marquer un avant-centre, il faut être très, très attentif. À l’époque, c’était souvent eux qui marquaient et ils étaient souvent très grands : Bianchi, Onnis, Skoblar… des battants. À l’époque, on regardait tous les matchs, on se demandait comment contrer tel ou tel joueur. En finale de Coupe d’Europe, Muller a cherché la faute et je l’ai commise, il m’avait observé. C’est un jeu où il faut être malin. Avec Christian Lopez, on était parfois pris au dépourvu par une balle en profondeur. On levait alors les bras pour signaler un hors-jeu inexistant. Bref, j’ai appris à prendre mes aises à ce poste et à apporter quelque chose dans le jeu à chaque fois que je le pouvais.

Vous étiez réputé pour vos grandes chevauchées. Je vous cite : « Je courais tout droit, pas besoin de dribbler. J’ai même vu des adversaires s’écarter sur mon passage de peur que je leur rentre dedans. » J’ai dit ça parce que j’ai entendu dire : « Piazza dribblait un, deux joueurs » , mais je ne dribblais pas, enfin, je l’ai fait jusqu’à 13, 14 ans. Mais j’avais une tactique qui m’a permis d’ajouter quelque chose à un poste que je juge ingrat.

Parfois avec un seul une-deux, j’arrivais à me retrouver devant le gardien. Mais ça permettait surtout de réveiller l’équipe lorsqu’elle s’endormait.

Je savais que si j’anticipais la passe donnée à l’avant-centre adverse et le fait que tous les adversaires étaient en position d’attaque, ce serait plus facile. Mes enjambées allaient deux fois plus vite puisque les milieux et les défenseurs adversaires ne pouvaient plus couvrir leur gardien. Parfois avec un seul une-deux, j’arrivais à me retrouver devant le gardien. Mais ça permettait surtout de réveiller l’équipe lorsqu’elle s’endormait. À ce moment-là, le public commençait à pousser, pousser. Mais j’y arrivais aussi parce que Bathenay prenait ma place. Jeanvion et Farison ne montaient pas non plus. Il fallait se couvrir. C’est pour ça que j’ai réussi à marquer plusieurs buts. Heureusement que j’ai ajouté cela à mon jeu, sinon je n’aurais pas pris de plaisir à ce poste.

En finale de Coupe de France 1975 face à Lens, vous marquez dans ce style.L’ailier adverse avait frappé le poteau ou la transversale. C’était une réaction d’orgueil. Je monte avec le ballon, une-deux avec Revelli et je marque du gauche. J’étais tellement content. Mais ensuite, j’ai dû me taire. Un autre but est arrivé de nulle part, reprise de volée magnifique de Jean-Michel. À la fin du match, je lui dis : « De toute façon, mon but était le plus important… mais tu as fait taire tout le monde avec le tien, merde ! » (Rires.) Le geste technique de Jean-Michel est magnifique. De toute façon, il ne fait pas les choses à moitié, il faut qu’elles soient faites parfaitement.


À Glasgow, après la finale, vous étiez fâché au point de ne pas aller chercher votre médaille.Je ne le regrette pas. J’étais contrarié. Une finale se joue pour être gagnée. On peut dire qu’on aurait mérité, mais il faut gagner. Je pense qu’on a tout fait pour ça, mais ils ont eu cette faute à 25, 28 mètres… Si on est arrivés là, c’est qu’on avait du mérite. Personne ne croyait en nous au début, à part nous-mêmes. Plus on avançait, plus on avait de force. On était de plus en plus solidaires. Arriver en finale et perdre comme ça, j’étais très triste. Si vous me dites que je n’ai pas bien fait de ne pas applaudir les gagnants, vous avez raison, mais pour la médaille, non.

Vous deviez participez à la Coupe du monde 1978, mais on vous a appelé de France, car votre femme avait eu un grave accident.

Sur la route, à un péage, ma femme a eu un accident. Sept fractures pour elle, double fracture du crâne pour la petite. J’ai eu le médecin qui m’a dit que c’était grave. J’ai pris l’avion en disant à Menotti : « Ne comptez pas trop sur moi. »

On était en avril 1978. Le président de la Fédération argentine avait fait le voyage pour parler avec le président Rocher, lui demander si je pouvais participer à la Coupe du monde. Ils se sont mis d’accord sur un contrat. Cette année-là, on n’avait pas fait une bonne saison, mais Menotti, le sélectionneur, est venu me chercher et on a fait le voyage ensemble. Quand je suis arrivé à Buenos Aires, c’était la folie. Jennifer, ma deuxième fille, venait de naître. Ma femme est allée se reposer à Cannes avec mon autre fille et une amie de la famille. Elle avait subi une césarienne à Salon-de-Provence. Sur la route, à un péage, elle a eu un accident. Sept fractures pour elle, double fracture du crâne pour la petite, et ma fille a dû se faire recoudre la bouche. J’ai eu le médecin qui m’a dit que c’était grave. J’ai pris l’avion en disant à Menotti : « Ne comptez pas trop sur moi. » Aujourd’hui heureusement tout va bien, mais à l’époque, on ne se savait pas ce qui allait se passer. Quinze jours après, j’ai appelé le coach en lui disant définitivement : « Je ne pourrai pas jouer. » C’était ma seule Coupe du monde, la seule que j’aurais pu jouer, mais ma famille était plus importante.

Comment avez-vous vécu la victoire de l’Argentine ?C’était un peu masqué par les disparus, 20 000, 30 000 ? À ce moment-là, tout le monde n’était pas conscient de ce qui se passait. De toute façon, en Argentine, on a connu plusieurs fois ce genre de situations dans notre histoire. Avant, dès que la situation ne plaisait pas aux militaires, ils sortaient avec les tanks dans la rue, et les civils mouraient. Malgré tout ce qui s’est dit dans la presse, il ne faut pas retirer le mérite de l’équipe nationale. On peut dire qu’on a été avantagé, notamment contre le Pérou, mais je pense que lorsqu’on joue à domicile, on a toujours des avantages, même si ça ne devrait pas exister. Le staff et les joueurs ont tout de même du mérite. Si on écoutait les gens, on a toujours été champions du monde, alors que ce n’était pas le cas. Là, le coach avait démontré qu’en faisant bien les choses… parce qu’on est un pays qui fait toujours tout à la dernière minute, on manque d’organisation… Lui a montré qu’en s’organisant, on pouvait gagner des choses.


Au moment de la prise de pouvoir du général Videla, vous étiez en France.Je cherchais à organiser des réunions à la Maison de la culture avec des Paraguayens, des Chiliens, des Uruguayens, tous les immigrés. Je faisais partie des personnalités qui pouvaient nous représenter. C’était un moment difficile. On voulait avoir des contacts avec nos familles et il fallait faire la queue. Parfois, il y avait 30 personnes avant vous. On avait toujours la peur au ventre parce qu’on savait qu’il se passait des choses tristes pour l’histoire de l’Argentine.

Quelques mois après votre départ de Saint-Étienne, vous êtes venu faire vos adieux au stade Geoffroy-Guichard.

Parfois, les gens devaient venir à 4h du matin pour avoir un billet. Il fallait faire la queue, et il n’y avait pas plus de deux tickets par personne. Le public stéphanois a prouvé qu’il était le meilleur public de France.

Le Chaudron, ce n’est pas n’importe quel stade, n’importe quel terrain. J’avais une communion extraordinaire avec le public. Je sentais qu’à chaque fois que les choses n’allaient pas et que je prenais le ballon, c’était comme s’il me portait vers l’avant. Vous savez, à l’époque, il n’y avait pas Internet. Parfois, les gens devaient venir à 4h du matin pour avoir un billet. Il fallait faire la queue, et il n’y avait pas plus de deux tickets par personne. Le public stéphanois a prouvé qu’il était le meilleur public de France. Il avait des valeurs, on s’identifiait à eux comme eux s’identifiaient à nous. Il y a des choses qu’on ne pourra jamais oublier. Quand on se balade dans la rue, parfois des jeunes viennent nous voir pour nous parler de nos matchs. On leur dit : « Mais tu ne nous as pas vu jouer. » « Oui, mais papa ou papy nous ont raconté, et puis on a vu des vidéos. » Ça nous prend à la gorge. C’est un plaisir énorme de voir qu’ils se souviennent de nous.

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Propos recueillis par Flavien Bories

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