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«On peut utiliser des fumigènes en toute sécurité»

Propos recueillis par Anthony Cerveaux
«On peut utiliser des fumigènes en toute sécurité»

Alors qu’un supporter stéphanois vient d’écoper d’une peine de 15 jours de prison ferme pour avoir allumé un fumigène à Bastia, la Norvège montre que le dialogue peut éviter d’en arriver à de telles extrémités. Au prix de démarches répétées avec le club, les pouvoirs publics et les pompiers, les supporters des clubs de Rosenborg BK et de Valarenga militent pour une nouvelle régulation concernant l’utilisation d’engins pyrotechniques dans les stades. Et ils ne manquent pas d’idées pour assurer que les fumigènes peuvent être utilisés en toute sécurité au stade. La législation concernant les fumigènes pourrait d’ailleurs changer dès la saison prochaine. Retour sur cette expérience unique en Europe avec Arne, membre de « Kjernen », groupe de supporters du club de Rosenborg BK.

Quelles ont été vos propositions concernant la pyrotechnie auprès de la Fédération norvégienne de football ?

Nous n’avions aucun contact avec la Fédération norvégienne de football (NFF), celui-ci a été établi à travers une sorte de collectif des supporters norvégiens, la NSA (Norwegian support alliance). Ce collectif a sollicité la NFF à l’automne 2009 à propos d’un projet visant à enrayer l’utilisation d’engins pyrotechniques illégaux et promouvoir leur utilisation dans un cadre légal.

Que pensait le club de votre démarche ?

Après plusieurs rencontres avec la NFF, on a décidé d’aller voir nos dirigeants afin de savoir comment ils réagiraient à une légalisation éventuelle de la pyrotechnie dans nos tribunes. Leur réaction a été extrêmement positive. Le club nous a donné son approbation en assurant qu’il nous soutenait. Ils ont vu ça comme un argument marketing qui leur permet de montrer que Lerkendal (stade de Rosenborg, ndlr) est un endroit où règne une grosse ambiance et qui vaut le détour. Et puis, ils préfèrent largement nous voir essayer de parvenir à une utilisation légale plutôt que de devoir payer des amendes auprès de la NFF parce que c’est illégal.

On sait que la pyrotechnie est interdite en raison de sa dangerosité. Comment avez-vous défendu la question de la sécurité ?

On a adressé une demande aux pompiers afin de leur expliquer ce qu’on voulait mettre en œuvre, c’est-à-dire le nombre de fumigènes utilisés, leur type et toutes les mesures de sécurité que l’on comptait prendre afin d’éviter tout incident dans la tribune. Les pompiers ont alors inspecté la tribune et ont jugé nos précautions suffisantes. Pour eux, rien n’allait à l’encontre de l’utilisation de fumigènes ou de feux de Bengale en tribune dans la mesure où l’on respectait les mesures de sécurité que nous avions promises.

Quelles sont ces mesures de sécurité ?

Dans le projet que nous avons adressé aux pompiers, il y a une aire de sécurité de 2×2 mètres dans laquelle sont allumés les fumigènes ou feux de bengale. On utilise aussi une bande en plastique pour sécuriser la zone. Une personne dans la tribune est chargée de récupérer les fumigènes et de les mettre dans un seau en métal lorsqu’ils s’éteignent. Et naturellement nous informons l’ensemble de la tribune avant le match qu’il va y avoir usage de pyrotechnie et qu’ils doivent se tenir en dehors des zones prévues à cet effet.

Quand ce dispositif a-t-il été mis en place pour la première fois en tribune ?

Nous avons proposé de faire un test, lors d’un match de Rosenborg. Des difficultés sont alors apparues lorsqu’il a fallu obtenir une autorisation pour ce test et, sans surprise, elles venaient de la NFF elle-même. Au sein de la Fédération, il y a quelques personnes obstinées qui pensent que le football norvégien se porterait bien mieux sans les fans, qui veulent seulement des familles sagement assises, qui tapent doucement dans leurs mains et acclament seulement quand il y a un but. Le test a donc été un peu retardé et a eu lieu le 5 mai 2010 lors d’un match face à Stabaek. L’autorisation est tombée seulement 4 heures avant le début du match… Autant dire que ça n’a pas été évident au niveau de l’organisation mais tout s’est bien passé. Pendant deux ans, nous avons renouvelé cette expérience à plusieurs reprises sans aucun problème ou incident. Pourtant, les personnes qui étaient contre l’utilisation de la pyrotechnie se sont mobilisées et nous avons soudainement perdu l’aval des pompiers, sous prétexte qu’on utilise des feux à mains normalement destinés à la sécurité en mer. Ce que nous avons toujours fait ! Nous avons alors adressé une demande de dérogation auprès de la direction de la protection civile. Celle-ci a répondu qu’elle ne voyait pas d’inconvénient à l’usage de feux à mains tant que nous le faisions en toute sécurité. Alors qu’on croyait avoir perdu, nous avons obtenu une nouvelle victoire avec cette autorisation.

Et avec les forces de police ?

Jusqu’à cette année, ils se sont montrés très coopératifs et avaient une attitude positive envers nous. Mais depuis le début de la saison, le département de la police a changé de directeur et celui-ci n’a pas du tout une approche compréhensive de la culture supporter. Il utilise tout ce qui peut être retenu contre nous. Il a récemment refusé une demande de notre part concernant un craquage de fumigène, qui avait pourtant été acceptée par les pompiers, le club et la NFF parce que quelqu’un a exhibé une bannière ACAB ( « All Cops Are Bastards » = « tous les flics sont des salauds » ) en tribune. Selon lui, c’est une phrase politique qui est interdite dans un stade. Pour moi, c’est de la censure. Et puis les vieux grincheux de la Fédération norvégienne essaient de stopper une éventuelle légalisation par tous les moyens car ils craignent des sanctions de l’UEFA en retour. La NSA, de son côté, fait un lobbying important pour faire passer cette nouvelle régulation qui autoriserait l’usage de la pyrotechnie. Espérons qu’elle sera opérationnelle dès la saison prochaine !

Vous avez pensé à d’autres initiatives si celle-ci n’aboutit pas ?

Oui on s’est dit que si certains de nos membres suivaient une formation pour l’utilisation d’engins pyrotechniques afin d’obtenir un certificat officiel, personne ne pourrait les empêcher de les utiliser. Nous avons éclairci cette question, d’un point de vue légal, avec le club et les pouvoirs publics. Et c’est alors la personne qui détient un certificat pour allumer des fumigènes qui est le responsable légal de ce qu’il fait, pas le club, ni la Fédération. Je ne sais pas comment ça marche dans d’autres pays, mais cette opportunité nous paraît très intéressante !

Ce modèle pourrait-il s’étendre au reste de l’Europe ?

Je dirais oui et non. Oui parce qu’il est vraiment possible d’allumer des fumigènes sans aucun risque à partir du moment où c’est un peu organisé. Non, parce qu’il y a beaucoup trop de groupes de supporters en Europe qui n’accepteraient jamais une régulation contraignante sur l’utilisation de la pyrotechnie. Ils veulent juste pouvoir craquer des fumigènes quand bon leur semble.

Et en Europa League, que comptez-vous faire ?

Puisque l’UEFA a une législation très stricte et une vision très négative de la pyrotechnie dans les stades – alors même qu’ils l’utilisent dans leur publicité – nous avons décidé de ne pas en utiliser lors de nos matchs en Europa League. Surtout parce que cela coûte de l’argent au club. Mais si l’UEFA nous donnait la possibilité de lui montrer comment on peut utiliser des fumigènes en toute sécurité, nous serions ravis de le faire !

Photo : Copyright Tifo Trondheim

Propos recueillis par Anthony Cerveaux

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